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pour elle. On ne doit pas donc être furpris que les Francs & que les Bourguignons euffent recours fi volontiers aux confeils & à l'arbitrage de Syagrius.

Les uns & les autres, il eft vrai, avoient déja leurs Loix Nationales; mais ces Loix, autant que nous pouvons en être inftruits, n'étoient encore que des Coutumes non écrites. Leur loi n'étoit, comme le dit Sidonius, qu'une lyre mal montée. Nous avons rapporté ci-dessus un paffage d'Ifidore de Séville, qui dit pofitivement qu'avant le regne d'Euric, les Vifigots n'avoient point de loi écrite, quoiqu'il y eut déja plus de foixante ans qu'ils étoient établis dans les Gaules, & que ce fut ce Prince qui fit mettre le premier par écrit les anciens Us & Coutumes de fa Nation. Il ne paroît point que la Loi des Bourguignons ait été rédigée par écrit avant l'année cinq cens, où Gondebaud, comme nous le dirons, publia le Code que nous avons encore, & qui porte fon nom. Quant aux Loix des Francs, je crois que la premiere de leurs compilations, qui ait été mife par écrit, fut celle qui fe fit par les ordres & par les foins des fils de Clovis. Ce furent eux, autant qu'il eft poffible de le fçavoir, & c'est ce que nous expoferons plus au long dans la fuite, qui réduifirent en forme de Code la Loi Salique & la Loi Ripuaire. D'ailleurs les Loix fuivant lefquelles vivoient les Bourguignons & les Francs en quatre cens quatre-vingt, ftatuoient uniquement fuivant les apparences, fur les conteftations qui pouvoient naître parmi ces Nations Germaniques dans le tems qu'elles habitoient encore au-delà du Rhin, où elles ne connoiffoient gueres la proprieté des fonds; en un mot, dans le tems que ces Nations étoient encore fauvages à demi. Ainfi ces Loix ne décidoient rien fur cent questions qui devoient naître tous les jours depuis que les Nations dont je parle s'étoient tranfplantées dans la Gaule, & que les particuliers dont elles étoient compofées y poffedoient en proprieté des terres, des maifons, des meubles précieux, des efclaves à qui l'on avoit donné une éducation qui les rendoit d'un grand prix, & plufieurs autres effets de valeur arbitraire, & prefqu'inconnus au-delà du Rhin. Les pactes des mariages que les Francs & les Bourguignons domiciliés dans les Gaules, y contractoient en époufant quelquefois des filles d'autre Nation que la leur, & qui leur apportoient en dot des biens confidérables dont elles étoient héritieres, ne pouvoient plus être des contrats auffi fimples que l'avoient été ceux de leurs ancêtres, ceux dont parle Tacite. Les fucceffions étoient

devenues plus difficiles à partager, principalement entre les héritiers en ligne collatérale. Enfin la Loi des Francs & celle des Bourguignons, qui jufques-là avoient été comme les autres Nations Germaniques, des Peuples parmi lefquels chaque particulier étoit fon propre artifan dans la plupart de fes befoins, & faifoit valoir lui-même fon champ, ne pourvoyoit pas aux conteftations qui, depuis que les uns & les autres ils s'étoient établis dans les Gaules, devoient y naître chaque jour, foit touchant le falaire des ouvriers de profeffion, & les hono raires dûs à ceux qui exerçoient les arts liberaux, quand on s'étoit fervi de leur miniftere, foit enfin concernant l'exécution des Baux de quelque nature qu'ils fuffent.

Ainfi le Jurifconfulte Romain verfé dans une Loi qui ftatuoit fenfément fur les conteftations qui pouvoient s'émouvoir concernant toutes ces matieres, étoit un homme cher, un homme refpectable pour tous nos Barbares, principalement quand il pouvoit leur expliquer en leur propre langue les motifs de ses décisions, & leur en faire fentir toute l'équité. Il étoit pour eux un homme auffi admirable que l'a été pour les Chinois le premier Aftronome Européen, qu'ils ont vû prédire les éclipfes avec précision, & faire fur des principes démontrés, des Calen driers juftes & comprenans plufieurs années. Enfin un Romain tel que le Jurifconfulte dont je parle, devoit faire fouhaiter à nos Barbares, d'être toujours conduits par un Roi auffi jufte & auffi éclairé que lui. Voilà en partie pourquoi les Francs Saliens avoient après la deftitution de Childéric, choifi Egidius pour les

gouverner.

Qui fçait fi comme nous l'avons infinué déja, le deffein de ceux des Romains des Gaules, qui étoient bien intentionnés pour le Capitole, & qui ne défefperoient pas encore de fa deftinée, n'étoit point alors de détacher les perfonnes d'entr'eux qui étoient les plus capables de s'acquerir l'amitié &, la confiance des Barbares pour la gagner, afin qu'elles puffent les engager enfuite à s'entredétruire. C'étoit le moyen de se défaire du Visigot par le Bourguignon, du Bourguignon par le Franc, & de renvoyer enfuite ce dernier vaincu pour ainfi dire, par fes propres victoires, au-delà du Rhin. Je fçai bien que les Romains du cinquième fiécle de l'Ere Chrétienne, étoient bien inférieurs en courage & en prudence, aux Romains du cinquiéme fiecle de l'Ere de la fondation de Rome. Mais nous voyons par l'Histoire, & la raifon veut que cela fût ainfi, qu'il y avoit encore dans les

Gaules à la fin du cinquième fiecle de l'Ere Chrétienne plufieurs Romains capables d'affaires, & hommes de réfolution. Aurontils vû patiemment leur patrie en proye à des Barbares, Hérétiques ou Payens, à qui la mauvaife adminiftration des Empereurs avoit donné le moyen d'y entrer, & le loifir de s'y cantonner? Comme il étoit évident que la paix ne feroit jamais folidement rétablie dans les Gaules, tant qu'il y auroit plus d'un Souverain, tous nos Romains n'auront-ils pas fongé aux moyens propres à faire paffer leur pays fous la domination d'un feul maître. Si quelques Romains, comme Arvandus & comme Séronatus, ont cru que pour parvenir à ce but, il falloit livrer à Euric la partie des Gaules qui obeïffoit encore aux Empereurs, d'autres Romains meilleurs compatriotes, auront penfé que l'expédient le plus fûr pour rétablir la paix dans les Gaules, étoit d'en chaffer les Barbares par le moyen des Barbares mêmes. Le projet aura femblé poffible à ces bons Citoyens, qui auront fait toute forte de tentatives pour l'exécuter. Il eft vrai que les Barbares demeurerent à la fin les maîtres des Gaules, mais cela prouve feulement que les menées, dont je parle, ne réuffirent point, & non pas qu'elles n'ayent point été tramées, & que Sidonius n'entende point parler à la fin de fa Lettre à Syagrius de quelque projet de pareille nature; Parce que depuis plus de deux cens trente années, divers Peuples Barbares ont toujours été fucceffivement les maîtres des plus belles Provinces de l'Italie, & le font encore aujourd'hui: S'enfuit-il que fes habitans naturels dont j'emprunte ici les expreffions, n'ayent point tâché de fe défaire d'une Nation étrangere par l'épée d'une autre, toutes les fois qu'ils ont cru les conjonctures favorables au projet de fe délivrer de toutes ces Nations?

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Je reviens à Clovis. Il dût craindre que s'il donnoit à Syagrius le loifir de s'accréditer davantage, ce Romain n'abufât de l'autorité qu'il s'acquéroit fur l'efprit des Saliens pour les engager deftituer leur Roi. Il étoit naturel que le fils de Childéric craignît qu'on ne mît à fa place le fils d'Egidius, comme on avoit mis Egidius à la place de Childéric. Peut-être auffi la querelle vintelle de ce que Syagrius fe fera prétendu indépendant dans fon gouvernement, & qu'il n'aura point voulu reconnoître Clovis comme maître de la Milice Romaine. Quoiqu'il en foit de cette derniere conjecture, la crainte des menées de Syagrius, & l'envie de s'aggrandir étoient des motifs fuffifans pour déterminer un Prince de vingt ans, c'eft l'âge que pouvoit avoir Clovis la cin

quième année de fon regne, à entreprendre la guerre particuliere qu'il fit alors contre notre Romain.

J'appelle cette guerre une guerre particuliere, parce qu'il n'y eut que Clovis & Syagrius, ou tout au plus leurs amis les plus intimes qui prirent les armes. On va voir par plufieurs circonftances de la querelle dont il s'agit, qu'elle ne fut point une guerre de Nation à Nation, ou une guerre générale entreprise d'un côté par toutes les Tribus des Francs, & foutenue de l'autre par tous les Romains de la Gaule qui étoit encore libre; c'est-à-dire, par tous ceux des Romains de cette grande Province, qui étoient encore les maîtres dans leur patrie. Il eft vrai que nos Historiens ont cru que cette guerre avoit été véritablement une guerre de Peuple à Peuple, mais je crois qu'on doit regarder leur prévention, comme une des errcurs qui ont couvert d'épaiffes ténébres l'Histoire de l'établiffement de la Monarchie Françoise. Je vais déduire mes raisons.

En premier lieu, Cararic Roi de la Tribu des Francs, dont les quartiers étoient dans la Cité de Térouenne, (4) refusa de prendre part à cette guerre. Clovis eut beau l'appeller à fon fecours, Cararic ne voulut pas le joindre. Quelle étoit fon intention? C'étoit, fuivant Grégoire de Tours, de faire fon Allié de celui des deux champions qui demeureroit le maître du champ de bataille. Si Ragnacaire un autre Roi des Francs fe joignit avec Clovis, c'eft qu'il étoit fon Allié.

En fecond lieu, les Romains dont le pays confinoit à celui que tenoit Syagrius, ne prirent point du tout l'allarme fur la nouvelle de la marche de Clovis,lorfqu'il fe mit en mouvement pour aller attaquer fon ennemi. Ils garderent la neutralité, fans vou loir prendre plus de part à cette guerre qu'en prendroit un Etat de l'Empire d'Allemagne à celle qu'un autre État fon voisin feroit de fon propre mouvement contre un Souverain étranger. C'eft ce qui paroît manifeftement par les circonftances de la marche de Clovis qui vont être rapportées

Comme Ragnacaire qui fecouroit Clovis dans la guerre contre Syagrius, étoit Roi du Cambrefis, 'nos deux Princes auront joint leurs forces dans ce pays - là, & prenant le chemin du Soiffonnois où Syagrius raffembloit fon armée, ils auront effleuré le

(4) Quando autem Chlodovechus cum Syagrio pugnavit, Chararicus evocatus ad folatium Chlodovechi eminus ftetit, neutram adjuvans partem, fed eventum rei ex

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pectans ut cui eveniret victoria, cum illo & hic amicitiam conjungeret,

| Gr. Tur. hist. lib. 2. capo 45,

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territoire de Laon, qui pour lors faifoit encore une portion du territoire de la Cité de Reims. Ce ne fut que plufieurs années après l'évenement dont il s'agit ici, que faint Remy démembra la Cité ou le Diocèfe de Reims, pour en annexer une partie au Siége épifcopal qui fut alors érigé à Laon, & que Laon devint ainfi la Capitale d'une Cité particuliere. Clovis fit de fon mieux pour épargner au plat pays de la Cité de Reims, qu'on voit bien qu'il regardoit comme un pays ami, tous les défordres qu'une armée comme la fienne ne pouvoit gueres manquer de commettre. Il évita par ce motif de le traverfer; mais il ne lui fut pas poffible de ne point effleurer du moins ce pays-là. D'un autre côté, le Sénat de Reims prit fi peu d'allarme à la nouvelle de l'approche de cette armée, qu'il ne daigna point faire prendre les armes à fes milices, pour leur faire cotoyer la marche des Francs, & cette fécurité fut même la principale caufe qu'il s'y fit quelque pillage. (4) » Clovis, dit Hincmar, en parlant de cette expédition, »ne voulut point que fon armée prêt paffage à travers la Cité » de Reims, dans la crainte qu'elle n'y commît bien des defor» dres. Il la fit donc marcher le long du territoire de cette Cité, » en lui faisant fuivre la chauffée qu'on appelle encore aujour » d'hui à caufe de cela, le chemin des Barbares. Il arriva néan» moins fans que ce Prince en fçût rien, & même contre fon » intention, que des Maraudeurs qui fe débanderent pour aller » à la picorée, coururent le plat pays de la Cité de Reims, où » ils pillerent plufieurs Eglifes, parce qu'ils n'y rencontrerent point de gens de guerre qui leur fiffent tête. Le vafe d'argent qui donna lieu à un incident des plus mémorables de la vie de Clovis, & dont nous parlerons dans la fuite, fut pris en cette oc

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cafion.

Flodoard qui a écrit dans le dixiéme fiecle l'Hiftoire de l'Eglife de Reims, (b) femble dire que l'armée des Francs paffa le long des murs de la Ville de Reims. C'eft ce qui a fait penfer à quelques-uns de nos Ecrivains, que Clovis avoit traversé comme un pays ennemi, toute la Cité de Reims, (nous prenons ici

(a) Tranfitum autem faciens Rex fecus civitatem Rhemi per viam quæ hodie propter Barbarorum per eam iter, Barbarica nuncupatur, foluit eandem civitatem introire, ne ab exercitu fuo aliquod malum ibi fieret. Sine voluntate autem & confenfu ipfius pars quædam indifciplinatorum quoniam non erat poteftas temporalis quæ eis refifteret, eamdem civitatem intravit, & quædam or

namenta atque facra vafa inde rapientes, ut prædones folent, adfportaverunt..

Hincm. in Vit. Remigii.

(b) Quo quondam fecus urbem Remorum tranfitum faciente à quibufdam militibus ejus agminis, ablata quædam Rhemenfis Ecclefiæ vafa referuntur.

Flodoardus Hift. Eccl. Rem. lib. 1, cap. 13. pag. 56.

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