» l'avantage de l'action fut pour les Francs. Les Vifigots furent » défaits, un grand nombre des vaincus refta fur la place, leur » Roi fut du nombre des morts, & les Francs après s'être emparés d'une partie des Gaules, firent le fiege de Carcaffone » qu'ils prefferent avec beaucoup d'ardeur.

CHAPITRE X V I.

Progrès des Francs depuis la bataille de Vouglé jusques à l'année Sept cens huit. Les Vifigots proclament Roi Géfalic fils naturel d'Alaric fecond. Theodoric entre en guerre contre les Francs. Siégemis par les Francs & par les Bourguignons devant Arles en cinq cens buit. Ils levent ce Siège avec beaucoup de perte.

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Lovis, (4) dit Gregoire de Tours après qu'il a fini le recit de la journée de Vouglé, envoya fon fils Thierri à la tête d'un corps de de troupes, s'emparer de l'Albigeois, du Rouer"gue & de l'Auvergne. Ce jeune Prince exécuta fes ordres, & » il foumit au pouvoir de fon pere tout le pays qui étoit en-deçà » des limites du territoire des Bourguignons. «Voilà tout ce qu'écrit notre Hiftorien concernant les exploits que Clovis fit le reste de la campagne de cinq cens fept; car la premiere fois qu'il le nomme après avoir parlé de l'expédition de Thierri, c'eft pour dire que Clovis paffa le quartier d'hyver à Bordeaux. Nous rapportons plus bas cet endroit de notre Hiftorien. On conçoit bien néanmoins qu'un Conquerant auffi actif que Clovis ne fe tint pas à rien faire après le gain d'une bataille auffi décisive que celle de Vouglé. S'il fçavoit vaincre, il fçavoit auffi 'profiter de fes victoires, & la faifon qui permettoit au fils de foumettre des Provinces, permettoit bien auffi au pere de tenir la campagne. Mais Procope nous apprend ce que Gregoire de Tours ne nous dit point.

Cet Hiftorien ayant écrit que Clovis avoit affiegé Carcaf fone après la Bataille de Vouglé, ajoute cette parenthese. (b) » La marche de Theodoric qui s'avançoit à la tête de fes Of

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trogots, intimida les Francs qui leverent leur fiege, mais ils » ne laifferent point malgré cette difgrace de fe rendre maîtres d'une grande portion de la partie des Gaules qui eft entre le » Rhône & l'Ocean; « C'eft-à-dire, que Clovis après avoir levé le fiege de Carcaffone, fe rendit maître de celles des Cités des deux Aquitaines, qu'il avoit laiffées derrière lui pour s'avancer jufqu'à Carcaffone. Voyons à prefent ce qui fe paffa dans le pays tenu par les Vifigots, & pour en donner une notion plus diftincte, commençons par rapporter de fuite les avantures de Géfalic le Succeffeur immédiat d'Alaric II. Il eft vrai que c'est anticiper fur les quatre années fuivantes, mais la narration non interrompue des avantures de ce Géfalic fervira beaucoup à éclaircir l'Hiftoire de fa Nation, & celle de la guerre que les Francs lui faifoient.

» La dix-feptième année de l'Empire d'Anaftafe, dit (a) Ifidore » de Seville, c'est-à-dire, l'an de Jefus-Chrift cinq cens fept, Géfalic, fils du Roi Alaric, mais né d'une Concubine, fut proclamé à Narbonne Souverain des Vifigots, & ce Prince » regna quatre ans en tout. Quant à fon administration, elle » fut auffi peu honorable que fa naiffance. Enfin Gondebaud » Roi des Bourguignons étant venu faccager le diftrict de la Cité » de Narbonne, Géfalic fe fauva dans Barcelonne, & une re>> traite fi honteufe & dans laquelle il perdit encore beaucoup >> de monde, acheva de le couvrir d'infamie. Cependant il fe » tint renfermé dans Barcelonne, jufqu'à ce que Theodoric », l'eût fait dépofer comme un homme indigne de porter le fceD ptre. Géfalic fe fauva enfuite comme il put de cette Ville-là

pour fe retirer en Afrique, où il tâcha d'engager les Vanda» les à le rétablir, mais ils lui refuferent de l'entreprendre. Ce » Prince infortuné eut même fujet d'appréhender qu'ils ne » le livraffent à Theodoric qui regnoit dès-lors fur les Vifigots.

ratus quo ufque regni fafcibus à Theodorico fugæ ignominia privaretur. Inde profe &tus ad Africam Vandalorum fuffragia polcit quo in regnum poffet reftitui. Qui dum non impetraffet auxilium, mox de Africa rediens metu Theodorici Aquitaniam petiit, ibique anno delitefcens Hifpaniam reverti tur atque Ebbane Theodorici Regis Duce duodecimo ab urbe Barcilona milliario, commiffo prælio in fugam vertitur, captufque trans Durantiam flumen Galliarum interiit, ficque prius honorem, poftea vitam amifit. Ifid. Hift. Goth. pag. 66.

» Il partit done d'Afrique pour le réfugier dans l'Aquitaine, où » il demeura caché pendant une année. Au bout de ce tems il rentra en Espagne à la tête de quelques gens ramaffés, mais » il fut défait & pris à quatre lieues de Barcelonne par Hibba » qui commandoit alors les Troupes de Theodoric dans ces quartiers-là. On transfera le Prifonnier dans la partie des Gaules qui eft entre la Durance & les Alpes, & là il mourut. Ce » fut ainfi que Géfalic perdit d'abord fon rang, & dans la fuite » la vie.

J'ai donc cru qu'il falloit rapporter ce paffage entier, quoiqu'il femble qu'une partie de ce qu'il contient dût être renvoyé à l'Hiftoire des années fuivantes. En effet, nous fommes encore en cinq cens fept, & le paffage que nous rapportons fait mention de la dépofition de Géfalic arrivée la quatrième année de fon regne, c'est-à-dire au plûtôt en cinq cens dix, & même il eft parlé dans notre paffage de la mort de ce Prince infortuné arrivée plufieurs années après fon détrônement. Mais, comme je l'ai déja infinué, j'ai une raison décifive d'en ufer ainfi : C'est que cet endroit d'Ifidore fournit des époques, fans lesquelles on ne fçauroit arranger tous les évenemens de la guerre de Clovis contre la nation Gothique, lefquels font rapportés fans date, & fouvent fans égard à l'ordre des tems par Caffiodore, , par Procope, par Jornandés, & par Gregoire de Tours. Peut-être eftce pour n'avoir pas fait ce que je fais ici, que les Auteurs miodernes qui ont voulu mettre dans leur ordre naturel, les événemens dont il s'agit, les ont mal arrangés. Mais en fuivant la Chronologie d'Ifidore, né dans le fiècle même où tous ces évenemens font arrivés, on voit clairement dans quel ordre ils doivent être placés. En effet on apperçoit d'abord en quel tems Théodoric Roi des Oftrogots a pu commencer à commander fouverainement dans le Royaume des Vifigots. Theodoric n'ayant pû commencer fon regne fur les Vifigots, qu'après qu'il eut fait reconnoître & proclamer fon petit-fils Amalaric pour Souverain naturel des Vifigots, & pour l'héritier légitime d'Alaric II.: Theodoric n'a pû commencer fon regne fur les Vifigots, qu'après que Géfalic eut été depofé. Or comme Ifidore nous apprend que Géfalic qui avoit été proclamé en cinq cens fept ne fut déposé qu'après un regne de quatre ans, c'est à-dire en fept cens dix au plûtôt : Ifidore nous apprend auffi par conféquent que la domination de Theodoric fur les Vifigots, ne commença qu'en l'année cinq cens dix ; ce qui eft confirmé par les dates de deux Con

ciles tenus en Espagne fous le regne de ce Prince, & defquelles nous ferons ufage dans le Chapitre fuivant.

En fecond lieu, comme il eft conftant, ainfi qu'on le verra dans la fuite, que lorfque Theodoric fit la paix avec les Francs, il la fit au nom des Vifigots, auffi-bien qu'au nom des Oftrogots, il s'enfuit que Theodoric ne la conclut que lorfqu'il regnoit déja fur les Vifigots, & par conféquent que Theodoric n'a point pû faire cette paix avant l'année cinq cens dix que Géfalic fut dépofé, quoique nos Auteurs modernes la lui faffent faire beaucoup plutôt. Il s'enfuit encore de-là, que la venue de Clovis à Tours, & plufieurs autres évenemens de notre Hiftoire qu'on a placés dans nos Annales avant l'année cinq cens neuf, font des faits pofterieurs à cette année-là.

Pour revenir à l'année cinq cens fept, voici quelle étoit, lorfqu'elle finit, la fituation des affaires de la Gaule. Clovis allié des Bourguignons faifoit conjointement avec eux la

guerre aux,

Vifigots & à Theodoric qui s'étoit déclaré pour eux, & qui même étoit alors en perfonne en deçà des Alpes. On a vû les motifs qui lui avoient fait prendre les armes en faveur des Vifigots, Peuple de même Nation, de même Religion que lui, & dont il vouloit mettre la couronne fur la tête d'Amalaric fon petit - fils. Cependant les conjonctures obligeoient encore Theodoric à fouffrir que Géfalic continuât de regner fur les Vifigots, & même elles le réduifoient à la néceffité d'agir de concert avec lui contre leurs ennemis communs. Quelles contrées les Bourguignons avoient-ils conquifes fur les Vifigots à la fin de l'année cinq cens fept, je n'en fçai rien? Mais du moins il eft bien certain que les fuites de la bataille de Vouglé les affranchirent de l'efpece de dépendance à laquelle on a vû qu'Euric les avoit affujettis. Quant aux Francs, il paroît, & par tout ce qu'on a déja vû, &par l'Histoire des tems poftérieurs, qu'ils s'étoient rendus maîtres des deux Aquitaines, de la Novempopulanie, & même de quelque partie de la premiere Narbonnoife, dont les Viligots avoient cependant confervé la Métropole,& quelques autres cités.. Ce ne fut apparemment qu'après avoir fait la plus grande partie de ces conquêtes, que les Francs affiegerent Čarcaffonne. Gregoire de Tours auroit bien pû dire quelque chofe de ce fiege, mais comme l'évenement n'avoit point été heureux pour Clovis, l'Hiftorien Eccléfiaftique des Francs a jugé à propos de n'en faire aucune mention. Il paffe donc tout d'un coup de la mort d'Alaric à ce que fit Clovis quand

la campagne de cinq cens fept fut finie.

(a) Le Roi des » Francs, dit Gregoire de Tours, paffa l'hyver de cinq cens fept à cinq cens huit, dans Bordeaux, où il fe fit apporter de » Toulouse une partie des tréfors d'Alaric qu'on gardoit dans » cette Ville-là. Il fe prefenta enfuite devant Engoulême, & » il fut fi bien fervi par la Providence, que dès qu'il fe trouva » en vûë de la place, un pan de fes murailles s'éboula. Cet ac»cident contraignit les Vifigots d'abandonner Engoulême, » dont les habitans prêterent ferment de fidelité à Clovis. On voit bien que cet évenement qui arriva après le quartier d'hyver qui avoit terminé la campagne de cinq cens fept, appartient à l'année cinq cens huit.

De quelque maniere que foit tombé le pan de muraille qui ouvrit la place, il eft certain qu'elle étoit d'une extrême importance à Clovis, puifque tant que les Vifigots l'auroient confervée, les Francs n'auroient jamais été poffeffeurs affurés de la premiere Aquitaine, quoiqu'ils la tinffent en entier.

De tous les évenemens de cette guerre, celui dont nous fça-. vons le plus de particularités, eft le fiege mis devant Arles par les Francs & par les Bourguignons, qui furent enfin obligés à le lever avec beaucoup de perte. Cependant aucune de ces particularités ne nous apprend pofitivement en quelle année Arles fut afficgé. Quelques Hiftoriens modernes ont cru que Clovis avoit affiegé Arles dès cinq cens fept, mais il n'y a point d'apparence que ce Prince au fortir de la levée du fiege de Carcaffone ait été attaquer Arles. Je crois donc avec le Pere Danielque ce fut après s'être affuré des deux Aquitaines par la prife d'Engoulême, que Clovis fit ce fiege mémorable, auquel il fe fera préparé dès l'hyver de cinq cens fept à cinq cens huit. En effet, ce qu'on lit dans les Fastes de Caffiodore fur l'année cinq cens huit, femble indiquer que ce fut cette année-là que les ennemis de Theodoric affiegerent Arles, & qu'ils furent contraints à lever le fiege avec beaucoup de perte. Il y eft dit : (b) Sous le Confulat de Ve»nantius le jeune & de Celer, notre Prince Theodoric fit pas

(a) Regnavit autem Alaricus viginti duos annos Chlodovechus vero apud Buidegalenfem urbem hyemem agens, cunctos thefauros Alarici à Tolola auferens Ecolifmam venit. Cui Dominus tantam gratiam tribuit ut in ejus contemplatione muri fubito corruerent. Tunc exclufis Gothis, urbem fuo dominio fubjugavit.

Greg. Tur. hift. libro fecundo, cap. 37.

(b) Venantius junior & Celer. His Confulibus contra Francos à Domino nostro deftinatur exercitus qui Gallias deprædatione Francorum confufas, victis hoftibus & fugatis fuo adquifivit Imperio.

Caff. Faf. ad ann. 5c8.