tant contribué à fauver la vie au Roi des Francs à la journée de Vouglé. Clovis envoya donc cent fols d'or aux domestiques de Saint Martin qui avoient foin de ce cheval, & croyant l'avoir bien payé, il leur manda de le remettre à ceux qui avoient ordre de le lui ramener; mais les Palefreniers de l'Eglise de Saint Martin qui fçavoient fans doute quelques-uns de ces fecrets naturels qui ont fait paffer tant de Bergers pour être forciers, en firentufage dans cette occafion,& le cheval ne voulut jamais paffer le feuil de la porte de l'écurie. Au lieu de cent fols d'or, Clovis en envoya deux cens, & auffi-tôt qu'ils eurent été comptés, le cheval fuivit de lui-même ceux qui étoient venus le racheter. Ce Prince qui fe doutoit bien du tour d'adreffe que les Palefreniers lui avoient joué, dit en fouriant', le bon mot dont on a fait depuis tant d'applications: » Saint Martin fert bien fes amis, mais »il fe fait bien payer de fa peine.

CHAPITRE XVIII.

Clovis eft fait Conful & il fe met folemnellement en possession de cette Dignité. Des motifs qui avoient engagé Anastase Empereur d'Orient à la conferer au Roi des Francs, & du pouvoir qu'elle lui donna dans les Gaules. Clovis établit à Paris le Siege de fa Monarchie.

N

par

O u s voici arrivés à un évenement de la Vie de Clovis, qui fut peut-être après fon Baptême, celui qui contribua le plus à l'établiffement de la Monarchie Françoife. Le Roi des Francs fut fait Conful par l'Empereur d'Orient, & il fut reconnu pour Conful les Romains des Gaules. Il les gouverna dans la fuite en cette qualité avec autant de pouvoir qu'il en avoit fur les Francs en qualité de leur Roi. Commençons ce que nous avons à dire fur un auffi grand évenement, par rapporter ce qu'on en trouve dans l'Hiftoire de Gregoire de Tours. » (a) Ce fut dans ce tems-là que Clovis reçut reçut le Diplome

beati Martini & Ecclefiam Civitatis eft, præfentibus populis manu propria fpargens voluntate benigniffima erogavit, & ab ea die tanquam Conful & Auguftus eft vocita

tus.

Gr. Tur. Hift. libro 2, cap. 38.

دو

» ou les provifions du Confulat, que l'Empereur Anastase lui » envoyoit. Quand il les eut reçûes, il fe revêtit dans l'Eglife. » de Saint Martin de la robe de pourpre & du manteau d'écar» late. Enfuite il mit le diadême fur la tête, & montant à che»val au fortir du portique de cette Eglife, il se rendit en grand appareil à la Cathedrale de Tours. Pendant la marche il fut toujours environné d'une foule de peuple, auquel il jettoit » lui-même avec un air de bonté, des pieces de monnoye d'or » & d'argent: Dès ce jour-là, tout le monde appella & s'adref»fa à Clovis comme au Conful, & même comme à l'Empereur. Il est important de remarquer ici que la narration que l'Auteur des Geftes ( a ), Hincmar (b), & Flodoard (c) nous ont laiffée de ce mémorable évenement, font conformes à celle de Gregoire de Tours. Tous ces Auteurs difent en termes exprès, que Clovis fut fait Conful. Leurs paffages font ici rapportés.

On fçait, qu'appeller à l'Empereur, c'étoit déclarer qu'on portoit fa caufe devant l'Empereur (d). Vous avez, dit Feftus, à Saint Paul, appellé à l'Empereur, on vous envoyera à l'Empereur.

Véritablement, c'étoit être, de fait, Empereur dans les Gaules, que d'y être reconnu en qualité de Conful dans les circonftances où Clovis prit poffeffion du Confulat. Il étoit déja maître de prefque tout ce qu'il y avoit de gens de guerre dans cette vafte contrée, lorfqu'il fut promû à cette augufte Dignité, qui lui donnoit dans les affaires civiles le même pouvoir qu'il avoit auparavant dans les affaires de la guerre. Cette Dignité le rendoit le Superieur de tous les Officiers Civils des Gaules, comme il y étoit déja le Chef des Officiers Militaires. En un mot, la nouvelle Dignité de Clovis lui conferoit le droit de commander en vertu des Loix à tous les Romains des Gaules qui fe difoient encore Sujets de l'Empire, & ce Prince avoit en main la force neceffaire pour fe faire obéir. S'il eft permis de s'expliquer

Vita Remigii per Hincm.

(a) Ab Anaftafio Imperatore, accepit | ful & Auguftus eft appellatus. runc Chlodoveus Rex Codicillos pro Confulatu. Tunica blatea indutus Rex in Bafilica beati Martini ..... Ab ea die tanquam Conful & Auguftus eft appellatus.

Geft. Franc. cap. 17.

(b) Per idem tempus ab Anaftafio Imperatore Codicillos Chludovicus Rex pro Confulatu accepit. Cum quibus Codicillis etiam illi Anaftafius coronam auream cum gemmis & tunicam blateam mifit & ab ea die Con

(c) Codicillos ab Anaftafio Imperatore pro Confulatu fibi miffos cum corona aurea, tunicaque blatea fumpfit & ab inde Conful appellatus effe memoratur.

Flodoardus Hift. Eccl. Rem. lib. 1. cap. 15. (d) Cæfarem appello. Tunc Feftus cum concilio locutus refpondit: Cæfarem appellafti, Cæfarem ibis.

Actor. capite vigefimo quinto

ainfi, Clovis tenoit déja le fceptre dans la main droite, & l'Empereur Anaftafe en le faifant Conful, lui mit la Main de Justice dans la main gauche. Enfin, le Prince dont Clovis fe reconnoiffoit de nouveau l'Officier, en acceptant la Dignité qui venoit de lui être conferée, faifoit fon féjour à Conftantinople. Eloigné des Gaules à une fi grande diftance, il ne pouvoit pas y avois d'autre autorité que celle dont il plairoit au Roi des Francs de l'y faire jouir. Ainfi l'on avoit raifon de s'adreffer à Clovis, nonfeulement comme au Conful, mais comme à l'Empereur luimême.

Autant qu'on peut le conjecturer en fe fondant fur ce qu'onsçait des maximes politiques des Romains & de la fituation où l'Empire étoit alors, Clovis après avoir exercé le Confulat durant l'année cinq cens dix, devoit continuer à gouverner toujours les Gaules, du moins en qualité de Patrice ou de Proconful. Il auroit été trop difficile de mettre en poffeffion fon Succeffeur au Confulat. Pourquoi donc le nom de Clovis n'eft-il pas écrit dans les Faftes fur l'année cinq cens dix, puifqu'il étoit cette année-là Conful? Pourquoi ne trouve-t-on fur cette année dans les Fastes de Caf fiodore, dans ceux de Marius Aventicenfis & dans les autres qui paffent pour autentiques, qu'un feul Conful, le celebre Boéce, alors un des Miniftres de Theodoric, & fi connu par fes écrits & par fes malheurs ?

Tacit. Ann

Je réponds. L'objection feroit d'un grand poids, fi nous avions encore les Fastes publics qui fe rédigeoient alors dans les Gaules, & fur lefquels on écrivoit jour par jour, ainsi qu'il le paroît quand on lit la mention qu'en fait Grégoire de Tours (a) les évenemens qui intereffoient particulierement cette Province de lib. 3. cap. x l'Empire; mais nous n'avons plus ce Journal, & pour parler comme Tacite le Diurna Actorum Scriptura du Prétoise des Gaules. Les Fastes autentiques du fixiéme fiécle qui nous font demeurés, & qui nous apprennent nûement le nom des Confuls, font encore, ou des Faltes redigés par des Particuliers, ou tout au plus des Faftes publics rédigés dans Rome ou dans Arles. Theodoric étoit le Maître dans ces deux Villes, & ce Prince: n'aura pas voulu qu'on infcrivît le nom de Clovis dans nos Monumens, parce qu'il devoit être mécontent que les Romains d'Orient euffent conferé au Roi des Francs une Dignité dont il pourroit bien fe prévaloir un jour contre les Oftrogots. Ils de

(a) Nam & in Confularibus legimus, Theodemerem Regem Francorum, &c. Greg. Tur. Hift. lib. 2. cap. 9..

voient apprehender que Clovis n'entreprît de faire valoir fon autorité de Conful dans la partie du Partage d'Occident dont ils étoient Maîtres. Enfin il paroît qu'Anaftafe avoit en conferant la Dignité de Conful d'Occident à Clovis, donné atteinte au Concordat qu'il avoit fait avec Theodoric, puifque fuivant cette convention dont nous avons déja parlé, le Confulat d'Occident ne devoit être rempli que par le Sujet que le Roi des Of trogots prefenteroit à l'Empereur d'Orient pour être nommé

Conful.

Dès que l'on a quelque connoiffance des ufages de l'ancienne Rome, on reconnoît dans la ceremonie que Clovis fit à Tours pour prendre folemnellement poffeffion du Confulat, la marche de ceremonie que faifoient ceux qui entroient en exercice des fonctions de cette Dignité, & qui s'appelloit Entrée Confulaire, ou Proceffus Confularis.

Quelques-uns de nos meilleurs Hiftoriens, fondés fur le témoignage d'Auteurs, qui n'ont écrit que fous la troifiéme Race de nos Rois,ou fur leurs propres conjectures, ont prétendu qu'Anastase n'avoit point conferé le Confulat à Clovis, mais feulement le Patriciat. Je ne ferai pas long à les réfuter.

Gregoire de Tours qui a vêcu dans un fiecle où il y a eu encore des Confuls & des Patrices, & qui a vû tant de perfonnes qui avoient vû Clovis, n'a point pû fi méprendre, ni dire que Clovis avoit été fait Conful s'il eût été vrai que ce Prince avoit été fait feulement Patrice. Notre Hiftorien fçavoit trop bien pour cela la difference qui étoit entre ces deux dignités, & que le Patriciat, quoiqu'il fût une dignité fuperieure à celle de Préfet d'un Prétoire, étoit néanmoins fubordonné au Confulat, ainsi que nous l'avons montré dans le dix-neuviéme Chapitre du fecond Livre de cet Ouvrage.

D'ailleurs, aucun des deux premiers Auteurs qui ont écrit fur l'Hiftoire de France après Gregoire de Tours, & qui ont écrit fous la premiere Race, ne dit que Clovis ait alors été fait feulement Patrice. Frédégaire ne parle ni du Patriciat ni du Confulat de Clovis, l'Auteur des Geftes des Francs dit au contraire, que ce fut le Confulat que l'Empereur Anastase confera au Roi Clovis; que ce dernier, qui étoit à Tours lorfqu'il reçut les Lettres de provifion de la dignité de Conful, y en prit folemnellement poffeffion, & que dès-lors chacun eut recours à lui comme étant Conful; & même, comme s'il avoit été Empereur. Hincmar écrit auffi dans la Vie de Saint Remy, que Clovis fut fait Conful

& non point Patrice. Nous venons de rapporter le paffage où cet Hiftorien le dit pofitivement. Flodoard qui a écrit fous la feconde Race, dit auifi qu'Anaftafe confera le Confulat à Clovis.: Nous venons de rapporter le paffage de cet Auteur.

Aimoin qui n'a écrit que fous les Rois de la troifiéme Race, eft le premier qui ait dit qu'Anaftafe n'avoit conferé à Clovis que le Patriciat. Selon lui, les Envoyés de l'Empereur Anastase (a) ne remirent à Clovis dans la Ville de Tours que les Provifions du Patriciat? Peut-on mettre en balance l'autorité de cet Historien avec celle des quatre Auteurs qui ont écrit fous la premiere ou fous la feconde Race, & qui difent tous unanimement, & fans être contredits par aucun de leurs Contemporains, que Clovis fut fait Conful. Aimoin d'ailleurs fe réfute lui-même, car après avoir dit ce qu'on vient de lire, il ajoute que Clovis fe parà des vêtemens Confulaires, & il termine fon récit par ces paroles. » Depuis ce tems-là Clovis fe trouva digne d'être appellé Con»ful & Empereur. Tout ce que peut prouver la narration d'Aimoin, c'est que ce Religieux prévenu de l'idée que les Francs s'étoient rendus maîtres des Gaules par voye de conquête, n'aura pas pû croire que l'Empereur eût voulu conferer la Puiffance Confulaire à l'ennemi du nom Romain. Aimoin aura donc changé, de fon autorité, le Confulat en Patriciat, qui souvent n'étoit plus qu'une dignité honoraire. Ce qui a trompé Aimoin, peut bien auffi avoir trompé les Auteurs modernes qui ont fuivi fon fentiment.

Non-feulement Clovis prit poffeffion folemnellement de sa nouvelle dignité, mais il en porta encore ordinairement les marques. Du moins c'eft ce qu'un des plus précieux monumens des antiquités Françoifes donne lieu de préfumer. J'entends parler de la ftatue de ce Prince, qui fe voit avec fept autres reprefentantes un Evêque, quatre Ross & deux Reines, au grand Portail de l'Eglife de Saint Germain des Prez à Paris.

Dom Thierri Ruinart nous a donné dans fon édition des Oeuvres de Gregoire de Tours l'eftampe de ce Portail, ainsi que l'explication des huit figures qui s'y trouvent, & que les Antiquaires

(4) Rebus ergo cunctis ex fententia compofitis Turonis iter Clodoveus dirigit ubi dum ftativarum gratia aliquantifper moratur, legationem fufcepit Anaftafii Principis Conftantinopolitani, munera epiftolafque mittentis, in quibus videlicet litteris hoc continebatur: Quod complacuerit fibi &

Senatoribus, eum effe amicum Imperatorum, Patriciumque Romanorum. His ille perlectis, Confulari trabea infignitus, afcenfo equo........ Ab illa die Conful fimul & Auguftus meruit nuncupari.

Aimo. Hift. lib. primo, cap. 22.