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l'Empire fur les Gaules, lefquels ont été déja délaiffés aux Vifigots par Odoacer, & dont lui-même il confirmera encore la ceffion en qualité de Souverain de Rome. Par où finira l'anarchie dans laquelle vivent les Peuples de la Gaule, il y a déja près de feize ans? par devenir les Sujets des Vifigots, qui s'approprieront une partie de nos terres: ils feront dans notre pays ce qu'ils ont fait dans les Provinces où ils font déja les maîtres? Quelle eft d'ailleurs, fe feront dit encore les Romains des Gaules, la Religion des Oftrogots & des Vifigots ? Celle d'Arius. Dès que les uns & les autres ils fe verront poffeffeurs tranquilles du Partage d'Occident, ils voudront que leur Communion y devienne la Religion dominante, & ils mettront leurs Prêtres en poffeffion des Temples & des biens de l'Eglife Catholique. Alaric fils d'Euric le perfécuteur, imitera fon pere? Que faire dans cette extrémité dont nous ne fçaurions fortir fans l'aide de quelqu'une des Nations Barbares établies dans notre Patrie? Aurqns-nous recours aux Bourguignons, ils font Ariens, & ils ont pris dans les Provinces où ils font les maîtres, la moitié des terres des Romains. Il faut donc faire notre Protecteur, notre Ange Tutelaire du jeune Roi des Saliens. Ce n'eft point un Barbare venu des extrémités du Septentrion. (a) Il est d'une Nation polie, qui depuis plus de deux cens ans fraternife avec nous, & qui ne differe réellement des Romains par les habits & par fa langue naturelle. Le pere de Clovis & fon grand-pere ont fervi l'Empire. Véritablement il n'eft pas bien puiffant par lui-même, mais la Tribu fur laquelle il regne, eft compofée des plus braves foldats qui foient dans les Gaules, & il a beaucoup de crédit fur toutes les autres Tribus de fa Nation, parce qu'il eft auffi jufte & auffi fage qu'il est vaillant. Si Clovis eft encore Payen, du moins, comme on l'a vû en plufieurs occafions, il n'eft point ennemi de la Religion Chrétienne, & il a toujours montré beaucoup de refpect pour les Miniftres de cette Religion. D'ailleurs pourquoi défefpérer de venir à bout de défabufer un Prince qui naturellement a beaucoup d'efprit, des folles erreurs d'une Religion que les lumicres feules de la raifon doivent faire trouver fi groffiere: Traitons avec Clovis; promettons-lui de nous foumettre à lui, &

que

(a) Sunt enim Franci non campestres, ut | bani, nihiloque à nobis differunt, quam foplerique Barbarorum, fed & politia plerum- lum modo Barbarico veftitu & linguæ pro que utuntur Romana..... Er pro Barbara prietate. Natione, valde mihi videntur civiles & ur

Agathias de rebus Juft. lib. pr.

de lui obeïr non-feulement comme à un Maître de la Milice, mais encore comme à un Préfet du Prétoire des Gaules, & de le revêtir du pouvoir civil, ainfi qu'il l'eft déja du pouvoir militaire, s'il veut bien fe faire Catholique? Comment l'engagerons-nous à fe convertir. Obtenons de lui qu'il épouse une femme Catholique, & que fes enfans foient élevés dans la Religion de leur mere. Il aura fait un grand pas dans la carriere dès qu'il aura pris ces engagemens, qui feuls mettront notre Religion à l'abri.

Voilà quels auront été les fentimens de ceux des Romains des Gaules qui étoient encore libres; c'eft-à-dire, des Citoyens des Provinces Obéïffantes, & des Provinces Confédérées. Ils les auront communiqués aux Romains des Provinces occupées par les Vifigots & par les Bourguignons. Ces Romains, généralement parlant, les auront approuvés, & tous des Citoyens des Gaules auront conçu l'idée que le falut de leur Patrie dépendoit de la converfion de Clovis. Comme il n'y avoit point alors dans cette grande Province de l'Empire une Puiffance qui pût traiter avec Clovis au nom de tout le pays, les Sénateurs de plufieurs Cités lui auront communiqué leurs vûës, & propofé leur projet féparément en l'affurant que la difpofition générale des efprits étoit telle, qu'ils pouvoient répondre que leurs voifins penfoient comme eux. Clovis qui avoit de l'ambition, fe fera prêté à leurs vûes, & fuivant les perfonnes avec lesquelles il aura traité, il aura promis ou plus ou moins. Il aura promis volontiers d'époufer la Princeffe Catholique que les Romains des Gaules vouloient lui donner, parce qu'ils la croyoient la plus capable de convertir un mari. Pour fe les attacher encore mieux, Clovis aura donné la même parole que donna notre Roi Henry IV. lorfqu'il voulut après la mort de HenEn 1989. ry III. engager les Catholiques demeurés fideles à la Couronne de le reconnoître pour Roi. Clovis aura promis de fe faire inf truire, & il fera entré fans avoir pris une ferme réfolution d'aller jufqu'au bout, dans la route choifie par la Providence pour le conduire à la véritable Eglife. Les faits que j'ai déja rapportés, & ceux que je rapporterai dans les Chapitres fuivans donneront un grand air de vraisemblance aux conjectures que je viens de hazarder. On y verra trois Evêques chaffés de leurs Siéges par les Vifigots qui ne reprochoient autre chofe à ces Prélats, que leur attachement aux interêts de Clovis. On a déja vû Aprunculus Evêque de Langres en peril de la vie, & réduit à s'exiler

lui-même

lui-même, parce que les Bourguignons maîtres de fon Diocèse, l'accufoient de vouloir le livrer aux Francs.

I

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Hiftoire du Mariage de Clovis avec la Princeffe Clotilde.

pas

L ne pouvoit point y avoir alors dans les Gaules une personne plus propre à faire réuffir le projet que les Romains de cette grande Province avoient probablement formé, que la Princeffe Clotilde. On a vû qu'elle étoit fille de Chilpéric, cet infortuné Roi des Bourguignons dont nous avons rapporté la fin tragique, & qui fuivant toutes les apparences mourut dans la véritable Religion. Nous avons auffi parlé de la femme de ce Prince la protectrice des Evêques, & dont Sidonius fait un éloge qui ne laiffe lieu de douter qu'elle ne fût auffi Catholique. Auffi fa fille Clotil de avoit-elle été élevée dans cette Religion. Nos Annales font foi qu'elle avoit autant d'élevation d'efprit & de prudence, que de pieté. Il n'étoit donc pas difficile de prévoir qu'elle auroit un grand crédit fur l'efprit du mari qu'elle épouferoit.Clotilde faifoit alors fon féjour dans les Etats de fes oncles Gondebaud & Godégifile, & quoique ces Princes fuffent Ariens, elle y faifoit publiquement profeffion de la Religion Catholique, ce qui montroit à la fois & fon courage & fon attachement à l'Eglise Ro

maine.

En effet, on verra par ce que difent d'anciens Auteurs concernant fon mariage avec Clovis, qu'elle n'y confentit qu'après qu'on lui eut donné fatisfaction fur les difficultés qu'elle fit d'abord concernant la Religion du mari qu'on lui propofoit. Mais je crois qu'il eft à propos avant que de rapporter les endroits de nos Auteurs, où il eft parlé de ces détails, de donner l'Histoire abrégée du mariage de Clotilde, telle qu'elle fe trouve dans Grégoire de Tours. Après l'avoir lûe, on entendra mieux les Auteurs qui nous ont donné un récit plus étendu & mieux circonftancié d'un évenement de fi grande importance.

» (4) Les Miniftres que Clovis envoyoit fouvent en Bour

(4) Parro Chlodovechus dum legationem in Burgundiam fæpius mittit, Chrotechildis puella reperitur à Legatis ejus. Qui Tome II.

cum eam vidiffent elegantem atque fapien-
tem, & cognoviffent quod de regio effet
genere, nuntiaverunt hæc Chlodovecho Re-
F

Hinc. Viti

Remig.,

» gogne, y eurent quelque relation avec Clotilde, & comme » elle leur parut auffi fage qu'elle étoit aimable, ils firent à leur » maître un rapport très-avantageux des bonnes qualités de

cette Princeffe. Ce rapport fit tant d'impreffion fur l'efprit du » Roi des Francs, que peu de tems après il envoya des Ambassa» deurs la demander en mariage à Gondébaud, qui l'accorda » moins par inclination que par crainte. Le Roi des Bourgui» gnons la remit donc entre les mains de ces Ambaffadeurs, qui partirent fur le champ pour l'amener inceffamment à fon mari. » Clovis fut d'abord épris de Clotilde, & il l'époufa avec une grande joye, quoiqu'il eût déja eu d'une concubine, un fils qui s'appelloit Thierri.

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On va voir par la fuite même de l'Hiftoire de Grégoire de Tours, & par ce que difent l'Abbréviateur, & l'Auteur des Geftes des Francs, concernant le mariage de Clovis, qu'il ne fut point un évenement auffi fimple qu'on pourroit le croire, en lifant le paffage que nous venons de rapporter. Où, dira-t-on, l'Abbreviateur & l'Auteur des Geftes ont-ils pris les circonftances & les détails de ce mariage qu'ils ont mis par écrit, & dont l'Hiftoire de Grégoire de Tours ne parle point? Je répondrai deux chofes. La premiere, que ce mariage qui fut une des causes de la converfion de Clovis, & qui par confequent contribua plus à l'établissement de fa Monarchie, qu'aucune des victoires de ce Prince, étoit devenu par les fuites qu'il avoit eues, un évenement d'une fi grande importance, que la tradition a dû en conferver la mémoire plus long-tems, & plus fidélement que celle d'aucun fait d'armes. Ainfi quoiqu'on eût déja oublié bien des actions de guerres faites du tems de Mérovée & de Childéric, lorfque nos deux Auteurs ont écrit, on ne pouvoit point encore avoir oublié de leurs tems, les principales circonstances du mariage de Clotilde, d'autant plus que cette Princeffe ayant été mife au nombre des Saints, le culte qu'on lui rendoit, renouvelloit chaque année le fouvenir des principaux évenemens de fa vie, & perpétuoit ainfi la tradition. En fecond lieu, nos deux Auteurs ont pû voir bien des livres que nous n'avons plus, & un de ces livres a pû être une vie de fainte Clotilde, autre que la vie de cette Sainte que nous avons aujourd'hui. Voici la narration de l'Abbréviateur.

gi. Nec moratus ille ad Gondobadum Regem | legationem dirigit eam fibi in matrimonio petens, quod ille recufare metuens, tradidit illam viris. Illique accipientes puellam,

Regi velocius reprefentant, qua vifa Rex valde gavifus, fuo eam conjugio fociavit, habens jam de concubina filium nomine Theodoricum. Gr. Tur. hift. lib. 2. cap. 28,

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» Clovis qui recherchoit Clotilde, envoyoit fouvent des Mini» ftres en Bourgogne, mais comme ils ne pouvoient point appro» cher de la perfonne de cette Princeffe, il prit enfin le parti de charger un Romain nommé Aurelien, de la commiffion de la voir, & d'apprendre d'elle-même fes fentimens fur le deffein qu'il avoit de l'époufer. Il donna donc à cet effet l'un de ses an"neaux à fon Agent, pour lui tenir lieu de lettres de créance. Au» relien se déguifa en pauvre mendiant, & il s'en fut à Geneve où » Clotilde & fa four faifoient leur réfidence. Ces Princeffes qui pratiquoient l'hofpitalité envers les pauvres, reçurent Aurelien » dans le lieu destiné pour y exercer leur charité. Tandis qu'on lui » lavoit les pieds, il trouva le moyen de dire à Clotilde, fans être » entendu d'autre que d'elle: Princeffe, j'ai des affaires importan»tes à vous communiquer, fi vous pouvez me donner une audien» ce fecrete. Quand elle fe fut tirée à l'écart, Aurelien lui dit : » Clovis Roides Francs, m'envoye vous prier d'agréer qu'il vous » demande en mariage. En même tems il préfenta comme un » garent certain de sa mission, l'anneau de fon Maître. Clotilde prit cet anneau avec joye, & après avoir donné en échange le » fien, & quelques fols d'or à Aurelien, dont elle ignoroit la condition, elle lui répondit: Retournez vers votre Maître, » & dites-lui que s'il veut m'époufer, il faut qu'il me faffe de» mander inceffamment en mariage à Gondebaud, & s'il fe peut » que l'affaire fe conclue avant qu'Aridius foit de retour de » Conftantinople, où mon oncle l'a envoyé. Si cet Aridius re» vient avant que l'affaire foit terminée, il ne manquera point » de la faire échouer. Aurelien s'en revint chez lui toujours déguifé en pauvre. Son deffein étoit apparemment d'y reprendre fes habits ordinaires pour fe rendre enfuite à la Cour de Clovis.

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Il arriva une avanture affez plaifante à cet Ambaffadeur, dans le tems qu'il n'étoit pas éloigné de fon Château, bâti fur les confins (a) du territoire d'Orleans. Dans la route il s'étoit acofté d'un mandiant, & tandis qu'il dormoit, ce mandiant lui déroba la beface où étoient, entr'autres chofes, les fols d'or ques Clotilde avoit donnés, & il s'enfuit. Aurelien fut très-fâché à son réveil de fe trouver ainfi dévalifé, mais comme il n'étoit pas loin de chez lui, il gagna fa maison en diligence, d'où il envoya de tous côtés fes domeftiques chercher le voleur qu'il leur défigna fi-bien qu'ils le reconnurent, & qu'ils l'amenerent à leur maî(4) Cum jam prope Aurelianenfe terri- dam pauperem mendicum in via fecum itiorium nec procul à domo acceffiffet, quem- neris focium habebat. Hift. Fr. Ep. cap. 18.

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