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l'ordre politique établi dans les Etats dont ils donnent des rela tions ou dont ils écrivent l'Hiftoire, qu'ils admirent & qu'ils veulent faire admirer la constitution de ces Etats-là, comme un chef-d'œuvre de la prudence humaine. J'avoue donc que le premier plan de la Monarchie Françoife a été très-vicieux, & que pour l'interêt du Souverain & pour le bien des Peuples, il auroit dû être difpofé tout autrement. J'avouerai encore, que fi quel que chofe peut furprendre un homme qui réflechit fur l'Hiftoire des Rois Mérovingiens, ce n'eft point que leur Monarchie foit devenue fujette environ cent cinquante ans après la fondation, à des troubles prefque continuels, & s'il eft permis d'ufer ici de cette figure, qu'elle ait reffenti toutes les infirmités de la vieilleffe, précisément quand elle étoit dans fon âge viril, dans l'âge où fuivant le progrès ordinaire que font les Monarchies naiffantes, elle devoit le trouver en fa plus grande vigueur. Ce qui m'étonne donc, c'eft que le Corps de notre Monarchie étant auffi mal conformé qu'il l'étoit, elle ait pû réfifter à tous fes maux. En effet, la multiplicité des Loix Nationales n'étoit pas le feul ni même le plus grand défaut qui fe trouvât dans la conftitution de la Monarchie Françoife. Pour ne point parler des autres, la divisibilité de la Couronne étoit un vice de conformation bien plus grand encore que la multiplicité des Codes, fuivant lefquels il falloit rendre la juftice. Clovis, fes premiers fucceffeurs & leurs Confeils, auront bien apperçu tous ces défauts, ils en auront vu les conféquences, & ils auront voulu y apporter du remede, mais il leur aura été impoffible de les corriger. Par exemple, lorsque Clovis mourut, il étoit établi depuis fi longtems parmi les Francs, que tous les fils du Roi mort, devoient partager entr'eux fes Etats, que ce Prince n'aura ofé faire les difpofitions néceffaires pour rendre fa Couronne indivifible: peutêtre même n'y penfa-t'il point."

Ainfi les Fondateurs de notre Monarchie n'auront point fait ce que la prudence politique demandoit qu'ils fiffent, mais ce qui leur étoit poffible de faire. Ces Princes, par exemple, afin de réunir plûtôt à leur Couronne une Province qui alloit leur échapper, s'ils manquoient à profiter de la conjoncture prefente, ou bien pour fe faire reconnoître plus aifément par une Tribu ou par une Nation qui pouvoit fe donner à un autre Souverain, au. ront été obligés d'accorder à cette Province, à cette Tribu, de pouvoir continuer à vivre felon leur Loi & leurs Co

tumes,

Voilà ce qui aura donné lieu d'abord à la multiplicité des Codes dans la Monarchie. Dés qu'une fois cet ufage y aura été autorisé, il aura fallu que dans la même Cité on rendît la justice, non-feulement fuivant deux differentes Loix, mais fuivant trois, fui ant quatre, & même fuivant cinqLoix differentes. Le nombre des Codes fe multiplioit à mesure qu'il furvenoit dans cette Cité quelqu'effain d'une Nation, autre que celles qui déja y habitoient. Il aura donc été néceffaire d'y adminiftrer la juftice, fuivant le Droit Romain, fuivant la Loi Gombette, fuivant la Loi Salique, fuivant la Loi Ripuaire, fuivant la Loi des Saxons,& fuivant celles des Bavarois, parce que l'ufage d'y rendre la juftice à chacun fuivant le Code de fa Nation, étoit devenu une Loi effentielle du Droit public de la Monarchie, & parce qu'il fera furvenu de tems en tems dans la Cité dont je parle, quelqu'effain de tous ces Peuples.

Enfin, Clovis qu'on peut regarder en quelque maniere, comme le premier Fondateur de la Monarchie Françoife, étant mort à quarante-cinq ans, il n'a pas eu le loifir de corriger les défauts -de fa Monarchie. Quand on a lu l'Hiftoire de fes fucceffeurs, on n'eft point tenté de demander pourquoi ils ne les ont pas corrigés. Outre qu'ils n'avoient point cette autorité qu'a toujours un premier Fondateur ou Instituteur de toute Societé, ils ne furent jamais affez unis, pour former de concert un projet femblable, & ce projet ne pouvoit gueres s'exécuter par aucun d'eux en particulier.

Après tout, cette diverfité de Codes pouvoit bien retarder la juftice, mais elle n'étoit point un obstacle tel qu'il dût empêcher qu'elle ne fût renduë à la fin. En premier lieu, les procédures tant en matiere civile qu'en matiere criminelle, fe faifoient alors bien plus fommairement qu'aujourd'hui. C'étoient (4) les Parties qui défendoient leurs droits elles-mêmes. Elles n'étoient pas reçûës à plaider par Avocat ni par Procureur. Il paroît encore qu'avant Charlemagne, (6) plufieurs des Juges du moins, ne délivroient point par écrit les Sentences qu'ils avoient renduës.

En fecond lieu, les inconveniens qui pouvoient naître de la multitude des Codes, ne fe faifoient pas fentir dans les procès entre les perfonnes d'une même Nation, & fuivant l'apparence,

(4) Ut nemo in placitis pro alio rationare ufum habeat. . . . Sed unufquifque pro fua caufa, vel cenfu, vel debito, rationem reddat, &c. Capit, ann. 802. Art. 9. Baluz. Tom. pr. pag. 365.

(b) Carolus congregavit Duces, Comites & reliquum Populum Chriftianum...... Ut Judices per fcriptum judicarent.

Chr. Moiff. Du Chef. Tom. 3. pag. 144.

ces fortes de procès faifoient le plus grand nombre des caufes que les Juges avoient à décider. Quant aux procès entre perfonnes de diverfes Nations, le Demandeur devoit, en vertu du Droit naturel, pourfuivre fes prétentions fuivant la Loi à laquelle fa Partie étoit foumife, & devant le Tribunal dont elle toit jufticiable. Bientôt même, comme on a pû le remarquer, & comme je l'expoferai inceffamment, il y eut des Tribunaux mi-partis ou compofés de Juges de differentes Nations, ce qui prévenoit tout conflit de Jurifdiction, parce que ces Tribunaux fe trouvoient être des Cours de Juftice compétentes pour juger tous les particuliers de quelque Nation qu'ils fuffent.

En troisième lieu, il y avoit dans chaque Cité un Officier, dont l'autorité s'étendoit également fur tous les Tribunaux Nationaux, & qui pouvoit en cas de conflit de Jurifdiction, ou décider l'affaire par lui-même, ou la renvoyer devant le Tribunal compétent. C'est ce qui paroît en lifant la Formule des Provifions des Ducs, des Comtes nommés par nos Rois, pour gouverner dans un certain département ou fimplement dans une Cité. Il eft dit dans cette Formule dont nous avons déja fait mention plus d'une fois: » Vous nous garderez une fidélité inviolable, & vous maintiendrez en paix par votre bonne conduite, » les Francs, les Romains, les Bourguignons & les Citoyens de » toutes les autres Nations, qui compofent le Peuple de votre » district, & vous rendrez juftice à chacun d'eux, fuivant les » Loix & la Coutume de la Nation, dont il se trouvera être » Citoyen.

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Enfin le Trône du Roi étoit un Tribunal toujours ouvert à ceux qui vouloient demander juftice au Prince lui-même, ce qui devoit bien abreger les procès les plus épineux. Nos Rois exerçoient en perfonne toutes les fonctions de premiers Magiftrats de leur Monarchie. 'On vient de voir, par exemple, que c'étoit au Roi lui-même à donner force de Loi aux Teftamens. Non-feulement, ces Monarques jugeoient eux-mêmes les Francs, c'est ce que nous avons vû, mais ils jugeoient encore les Romains leurs Sujets. Il y a plufieurs exemples de pareils Jugemens dans cet Ouvrage; néanmoins j'en infererai deux ici. Il y avoit dans la Cité de Tours une famille Romaine appellée Injuriofa: il en fortit même durant le fixiéme fiecle un Evêque de ce Diocèfe; & c'est à fon occafion que l'Hiftoire Eccléfiaftique des Francs (4) nous

(4) Quintus Decimus Injuriofus Civis Turonicus, de inferioribus quidem Populi, Ingenuus tamen. Greg. Tur. Hift. Lib. 10. cap. 31.

inftruit

inftruit de la condition de cette famille, & qu'il nous apprend qu'elle n'étoit que du troifiéme Ordre. Injuriofus, dit-il, » étoit

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né libre, quoiqu'il fût du dernier ou troifiéme Ordre de Ci»toyen. Dans cette même Hiftoire il eft rapporté qu'un autre Injuriofus auffi Citoyen de Tours, & qui avoit été Vicaire Lieutenant d'un Comte de cette Cité, fut accufé d'avoir affaffiné un Juif. Nous raconterons les circonftances de ce meurtre, quand nous aurons à parler de la maniere dont se faifoit fous les fucceffeurs de Clovis l'impofition & le recouvrement des deniers. Royaux. (4) Or, ce fut à comparoître devant la perfonne du Roi Childebert, qu'Injuriofus fut cité, & il comparut le jour auquel il avoit été affigné, dans le Palais où ce Prince fe trouvoit actuellement, mais les accufateurs ne s'étant point presentés ni ce jour-là ni les deux jours fuivans, pour former leurs demandes & fournir leurs preuves, l'accufé fut renvoyé abfous.

(b) Andarchius prétendant qu'Urfus lui eût promis fa fille en mariage, ce qu'Urfus nioit d'avoir fait, la caufe fut portée devant le Roi. On voit fuffifamment par le nom que portoit l'une & l'autre Partie, qu'elles étoient de la Nation Romaine.

Eft-il poffible, dira-t'on encore, que le Franc obligé à plaider contre un Romain devant un Tribunal Romain, ou que le Ro main qui poursuivoit un Franc devant un Tribunal Franc, trouvaffent de la neutralité dans ces Tribunaux ?

Je crois que les liaisons qui font entre les Citoyens d'une même Nation, lorfqu'elle habite pêle-mêle avec d'autres Nations, auront fouvent fait prévariquer les Tribunaux Nationaux, mais je fuis auffi perfuadé que fouvent les Comtes & les autres Officiers fupérieurs, dont l'autorité s'étendoit fur les Citoyens de toutes les Nations domiciliées dans une Cité, auront réuffi à l'empêcher. D'ailleurs, on fçait bien qu'alors la décision des queftions litigieufes, étoit une fonction municipale commune à tous les Citoyens, qui s'en acquittoient chacun à leur tour. Les Loix n'avoient point encore été commentées par des hommes qui employent tout leur efprit à y trouver un fens oppofé à celui qui fe prefente d'abord, & ces Loix s'expliquoient ainfi fans. peine à tous les cas portés devant les Tribunaux. On n'avoit

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point encore imaginé d'ériger en Charges perpétuelles & lucratives, l'emploi de rendre la juftice, & d'exclure de la fonction de la rendre tous les Citoyens qui ne feroient pas revêtus de quelqu'une de ces Charges, non plus que d'interdire aux Juges toute autre profeffion que celle de juger. En un mot, on n'avoit pas fait encore de la difpenfation des Loix, un fecond encenfoir en deffendant aux profanes, à ceux qui n'auroient point été initiés aux misteres de Themis, d'y mettre jamais la main. Enfin nos Juges du fixiéme fiecle n'avoient point d'interêt à faire durer les procès.

L'ufage étoit encore parmi les Romains, lorfque notre Monarchie fut établie, que l'Officier du Prince qui préfidoit (4) à un Tribunal, choisît par lui-même, dans un certain Ordre de Citoyens, les Affeffeurs ou ceux qui devoient juger avec lui. Les Barbares auront fuivi, felon l'apparence, cet ufage fi fimple &" fi naturel. Ainfi comme le Comte avoit également infpection fur tous les Tribunaux Nationaux, comme il y préfidoit, foit par lui-même, foit par fon Vicaire, il aura pû dans tous les tems introduire quelque Juge Franc dans les Tribunaux Romains lorfqu'on y devoit juger la caufe d'un Franc, & il aura pû de même introduire des Juges Romains dans le Mallum, lorsqu'on devoit juger la caufe d'un Romain. Voilà ce qui fe fera paffé dans les tems qui ont fuivi immédiatement celui de l'établissement des Nations Barbares dans les Gaules. On y aura donc pratiqué dans ces premiers tems à peu près ce qui fe pratique' encore aujourd'hui en Angleterre, dans le Jugement d'un cès criminel fait à un étranger. On lui accorde que la moitié des Jurés, ou de ceux de fes Juges, qui doivent le déclarer innocent ou coupable du fait dont il eft accufé, foit tirée de perfonnes de fa propre Nation.

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L'utilité de cet ufage ayant été reconnue, elle aura donné lieu à l'établiffement des Tribunaux mi-partis, dont nous avons déja dit quelque chofe, mais dont nous allons parler encore. Il paroît clairement, en lifant les paffages qui ont été rapportés, & ceux qui vont l'être, que dans les Tribunaux dont il s'agit, on rendoit la Juftice fuivant des Codes differens, afin qu'elle y pût être rendue à chaque Sujet conformément à fa propre Loi. Les Chambres mi-parties ont toujours eu la réputation de rendre la Juftice encore plus légalement que les autres Tribunaux. En quel tems nos Rois ont-ils établi ces Tribunaux, composés de (4) Det operam Judex ut Prætorium fuum ipfe componat. Codex Theod. Lib. 1. Tit. 1.

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