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de même en rimes, dans l'idiome de leur pays, les dames, les héros et les hauts faits.

Les Espagnols, chez qui les Maures pénétrèrent, furent donc en Europe les premiers rimeurs.

Bientôt après cette rime, qui est si souvent en guerre avec le bon sens, et qu'un de nos vieux auteurs appelle meurtrière des gentils esprits; bientôt, dis-je, cette fureur de rimer franchit les Pyrénées, et se répandit comme un torrent dans nos provinces méridionales.

Elle commença par la Provence; de façon que provençal et poète furent long-tems syno

nymes.

Quel climat en effet eût été plus propre que la Provence à développer le germe poétique? Un ciel pur, un sol abondant en esprits de vie, des forêts d'orangers, de citronniers, de cédras; ces parfums que l'on y respire avec l'air, ce spectacle d'une nature toujours active et toujours belle, cette franche gaîté des hommes, cette agaçante vivacité des femmes, ce souffle d'amour qui semble animer tous les êtres... oui, tout concourut sur les bords de la Durance à la naissance et aux progrès du gai sa

voir (guaï saber), car c'était le nom du bel art que professaient les poètes provençaux. Leur pays fut appelé la Boutique des Troubadours.

De ce brillant atelier sortirent de nombreux élèves qui se répandirent en Languedoc, en Picardie, dans la Normandie même ; et la joyeuse science fit le tour de la France, de l'Allemagne et de l'Italie : partout elle eut des prosélytes.

Dans les âges précédens on n'avait rien composé qu'en un mauvais latin, mêlé avec des termes de terroir; et c'est en cet idiome qu'avaient été chantés Charlemagne, Arthus, les Chevaliers de la Table Ronde. Ce. misérable jargon s'appelait langue romane.

Elle cessa d'être à la mode vers l'an 1050, tems où la France obéissait au premier de nos Henris. Son règne est la vraie époque de notre poésie.

Je ne puis trop redire que ce fut la nature qui fit nos premiers poètes : « L'art ni l'étude, << dit M. de Fontenelle, (1) ne lui en pouvaient disputer l'honneur. A l'égard des Trouverres,

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(1) Histoire du Théâtre Français.

« les Grecs ni les Latins n'avaient jamais « été; personne, sans exception, n'entendait « le Grec : il n'y avait que quelques ecclésias«<tiques qui entendissent le latin. Aussi les ou« vrages étaient-ils sans règles, sans élévation, << sans justesse. En récompense on y trouvait « une simplicité qui se rend son lecteur favo<< rable, une naïveté qui fait rire, sans paraître << trop ridicule, et quelquefois des traits de « génie imprévus et assez agréables. >>

Ils remplissaient l'idée que l'on s'était faite du Troubadour ou Trouverre: c'était un trouveur de conceptions heureuses, de jolies pensées, d'images riantes. Ne croyez pourtant pas que ces beautés de détail soient très-abondantes chez nos Troubadours; trop souvent la rime seule faisait le prix de leur versification; elle leur tenait lieu d'expression et de pensée, dit M. l'abbé Massieu : pourvu qu'elle vint se présenter à point nommé, on s'embarrassait peu du reste; tout était bon dès qu'il était marqué à ce coin.

M. l'abbé Millot, quoique prévenu en faveur des Troubadours, dont il a fait l'histoire, est forcé de rendre cet hommage à la vérité : « Je

« l'avoue, les fades lieux communs de galan«terie, les répétitions fréquentes des mêmes pensées et des mêmes expressions, les lon<< gueurs et le mauvais goût rendraient insup portable un recueil complet de leurs ou

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Leur poésie consistait presque toujours en couplets, que le Troubadour chantait luimême, en se faisant accompagner par son ménétrier, qui s'appelait également son audiar, auditeur ou élève. Quelquefois aussi le ménétrier seul chantait les productions du Troubadour.

L'un et l'autre parcouraient les châteaux : ils allaient amuser les grands pendant leurs repas, ou égayer par leurs chansons, les fêtes que donnaient les souverains à leurs vassaux, et les chevaliers à leurs dames.

Pour rendre ces solennités plus complettes les jongleurs se joignaient aux Troubadours, et remplissaient, par leurs tours, leurs farces, leurs singeries, les intervalles que laissait vides la voix des Trouverres. De l'argent et quelques provisions de bled, de vin, de fruits étaient le salaire du jongleur : le Troubadour

était récompensé par des distinctions flatteuses; c'étaient des habits, des armes, des chevaux, et souvent il obtenait ces baisers des belles qui pour le gentil Troubadour sont encore à présent d'un prix inestimable.

Long-tems les chansons de ces Orphées de Provence ou de Languedoc ne roulèrent que sur l'Amour : ils agitaient même des questions de galanterie; et ces sortes de pièces de vers se nommaient tensons.

On les appelait retrouanges, si elles étaient à refrain; aubades, si elles avaient pour objet l'aurore, ou se chantaient à l'aube du jour; sérénades, si elles se faisaient entendre le soir, ou peignaient les délices d'une belle soirée.

Ils chantaient aussi le mois de mai, le retour du printems, les plaisirs champêtres : leurs pièces de vers prenaient alors les noms de reverdis, pastourelles, jeux sous l'ormel.

Pourquoi dissimulerions-nous qu'ils se permirent des satires sous le nom de sirventes, et que, par une fatalité qui tient aux mœurs du tems, la cour de Rome et les prêtres furent plus souvent l'objet de leurs épigrammes que les seigneurs déloyaux ou tyrans? C'est que

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