페이지 이미지
PDF
ePub

Eft-il poffible qu'on regarde ce defordre comme une chofe indiferente, & qu'on s'imagine qu'on puiffe quiter fans peché ce que la raifon nous prefente; pour fuivre ce que nous infpire la concupifcence, dont le mal, felon l'Apôtre, eft qu'elle eft ennemie de là Loi, & qu'elle ne peut s'y affujetir. En verité fi une vie deréglée ne nous fait pas horreur; c'eft une marque que nous fomines dereglez nous-mêmes. Si nous n'en fentons pas la mauvaise odeur, c'est parceque nous fommes nous mêmes dans l'ordure. Nous avons promis dans le Baptêine de combatre la concupifcence; nous fommes donc obligez quand nous n'y ferions point d'ailleurs engagés, de refifter à toutes les tentations qui nous detournent de l'ordre, & nous portent à faire ce qui a plus de raport avec de certaines inclinations prefentes, qui changent un moment aprés. Auffi ceux qui fuivent leur humeur, n'ont aucune régle conftante. Le deréglement de leur conduite peint les defirs deréglez de leur cœur.

[ocr errors]

Pour vaincre cette corruption ne perdez jamais de vûë les jugemens de Dieu, & en pefant chaque action, confiderez ce qu'il en jugera. Tout ce qu'on fait par humeur fera puni. Ce qui n'eft point dans l'ordre ne peut plaire à celui qui comme Juge fouverain & la Juftice même, eft obligé de punir le défordre. Cela feul fera que vous vous affujetirez fans peine à vos réglemens, & que fi vous vous en difpenfez, ce ne fera que pour faire quelque chofe de meilleur. Vos Superieurs font éclairez & ils ne regardent dans les réglemens de leur Compagnie que la volonté & la gloire de Dieu, qu'ils fuivent par tout, en

quitant leurs réglemens quand elle leur paroît ailleurs. C'eft pour cela que dans vôtre Compagnie on ne s'attache à rien par vou, afin de fuivre Dieu plus librement; Car ce n'eft pas pour vivre dans une molle liberté : On y vit avec autant de regularité que dans aucune autre Compagnie. Les Superieurs, comme vous le remarquerez, gouvernent avec douceur; mais ces ménagemens dont ils ufent, n'aboutiffent pas à des complaifances lâches. Ils fçavent qu'ils ne font établis que pour empêcher le defordre, & ils ne craignent point que la fevertité moderée par la charité & la prudence, fepare de leurs Corps ceux qui n'y font atachez par aucun lien indiffoluble. Ils font perfuadez que c'est la difcipline qui lie & entretient les Communautez; que fans la severité des Capitaines les plus grandes Armées fe diffiperoient en un moment que jamais les Compagnies ne font plus nombreufes que lorfqu'elles font plus reguliéres, & que c'eft la regularité, qui. comme un parfum atire tout le Monde. Ou tre que l'ordre eft fi neceffaire, que l'on ne peut s'en éloigner fans fe faire mal; car ceux qui font dereglez trouvent leur fupplice dans leurs deréglemens. De-là vient que les Communautez font infuportables à ceux-mêmes qui les deréglent. La paix & la joye font les fruits de l'Ordre, comme les murmures, les queréles, les chagrins, font un éfet de la confufion qui écarte tout le Monde. Un efprit raisonnable prendroit-il le deffein d'entrer dans une maifon de confufion ou d'y demeurer quand il s'y eft engagé imprudemment ?

[ocr errors]

Ajoûtez à toutes ces chofes, mon cher Eu

gene, que la regularité fait la principale partie de la Penitence, fans laquelle il n'y a point de falut. Cette Penitence confifte dans une refiftance continuelle aux inclinations corrompues de la chair. Celui qui ne fait donc jamais ce qu'il defire, qui n'agit que par un ordre qu'il fçait être aprouvé de Dieu, eft vrayement Penitent. Sa penitence eft certainement plus parfaite que celle de ceux qui font de rudes mortifications un jour de la femaine, & qui aprés cela acordent à leurs inclinations tout ce qui ne leur paroit pas un vice groffier, ne s'apliquant point à combatre & à furmonter la concupifcence, qui eft, comme nous avons vû, la fource du libertinage & du defordre. J'ay toûjours remarqué, que nous ne nous deréglons que parceque nous ne fommes pas Penitens, que nous aimons nos aifes, & les plaifirs fenfibles. auffi felon que l'on eft dans un état où les plaifirs font interdits, & où les ocafions ne s'en prefentent pas, on eft plus rangé. Le luxe a mis le defordre & la confufion dans les Republiques, & les a enfuite renverfées. Les Pauvres font mieux réglez que les Perfonnes riches, ftultitiam patiuntur oves. Ce fut la Pauvreté, comme dit un Hiftorien, qui conferva fi long tems le bon ordre dans Lacedemone; & qui en fut comme la maîtreffe ainfi que parle cet Hiftorien. Et hac difciplina magiftrâ paupertate hactenus ftetit. Un Poëte Latin s'eft plaint qu'il n'y avoit point de crimes, ni de debauches dont les Romains ne fe fuffent rendus coupables depuis qu'ils étoient devenus riches.

Servabat caftas humilis fortuna latinas Quondam; nec vitiis contingi parva finebat Tecta labor, fomnique breves, & vellere Thufto Vexata, duraque manus ac proximus urbi Annibal, & ftantes Collina in turre mariti. Nunc patimur longa pacis mala: savior armis Luxuria incubuit ; victumque ulcifcitur Orbem. Nullum crimen abeft, facinusque libıdinis, ex [que

Paupertas Romana perit.

Aimez donc la pauvreté, mon cher Eugene, fi vous voulez vivre reguliérement. Combatez avec la neceffité. Ne vous fervez des Creatures que lorfque vous ne pouvez pas vous en paffer. Vous ôterez à la concupifcence ce qui l'entretient & l'augmente ; & vous n'aurez aucune peine à vous affujetir à la Régle. Vû que l'harmonie, pour ainfi dire, d'une vie réglée a fes plaifirs, de même que les operations du corps, qui font douces, lorfque leurs mouvemens font réglez. Il eft vrai que les plaifirs que l'on trouve dans les divertiffemens du Siecle font plus fenfibles: mais aufsi comme ils font plus violens, ils paffent bientôt. Ceux des perfonnes réglées font durables, & ne font point fujets à ces viciffitudes de plaifir & de chagrin que les Gens du monde éprouvent. Un veritable Chrêtien ne peut avoir d'eftime pour des joyes paffageres qui font fuivies des tourmens éternels. Il ne trouve de confolation que dans l'éternité bien heureufe qu'il efpere.

que

fur

Cette efperance ne peut être fondée la regularité; puifque la feule perfeverance) eft couronnée, & que la perfeverance n'eft

qu'une pratique reguliére & constante de la vertu. Continuez donc, mon cher Eugene, de courir dans cette carriére où vous êtes entré. Je voudrois être le Compagnon de cette courfe, comme je l'ai été de vos voyages, fi je n'étois ataché ailleurs, uni neanmoins d'afection avec vous autant que le peut être celui qui eft vôtre tres-humble ferviteur.

THEODOS E.

« 이전계속 »