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Je sais qu'il doit s'accroître, et que tes grands destins Ne le borneront pas chez les peuples latins ;

Que les dieux t'ont promis l'empire de la terre, voir l'effet que par la guerre.

Et tu n'en que

peux

Bien loin de m'opposer à cette noble ardeur,

Qui suit l'arrêt des dieux, et court à ta grandeur,
Je voudrois déja voir tes troupes couronnées
D'un pas victorieux franchir les Pyrénées.

Va jusqu'en l'Orient pousser tes bataillons,
Va sur les bords du Rhin planter tes pavillons,
Fais trembler sous tes pas les colonnes d'Hercule,
Mais respecte une ville à qui tu dois Romule:
Ingrate, souviens-toi que du sang de ses rois
Tu tiens ton nom, tes murs, et tes premieres lois.
Albe est ton origine: arrête, et considere

Que tu portes le fer dans le sein de ta mere.
Tourne ailleurs les efforts de tes bras triomphants,
Sa joie éclatera dans l'heur de ses enfants;
Et, se laissant ravir à l'amour maternelle,.
Ses vœux seront pour toi, si tu n'es plus contre elle.

JULIE.

Ce discours me surprend, vu que, depuis le temps
Qu'on a contre son peuple armé nos combattants,
Je vous ai vu pour
elle autant d'indifférence
Que si d'un sang romain vous aviez pris naissance.
J'admirois la vertu qui réduisoit en vous
Vos plus chers intérêts à ceux de votre époux;
Et je vous consolois au milieu de vos plaintes,

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Comme si notre Rome eût fait toutes vos craintes.

SABINE.

Tant qu'on ne s'est choqué qu'en de légers combats,
Trop foibles pour jeter un des partis à bas,

Tant qu'un espoir de paix a pu flatter ma peine,
Oui, j'ai fait vanité d'être toute Romaine.
Si j'ai vu Rome heureuse avec quelque regret,
Soudain j'ai condamné ce mouvement secret;
Et si j'ai ressenti, dans ses destins contraires,
Quelque maligne joie en faveur de mes freres,
Soudain, pour l'étouffer, rappelant ma raison,
J'ai pleuré quand la gloire entroit dans leur maison.
Mais aujourd'hui qu'il faut que l'une ou l'autre tombe,
Qu'Albe devienne esclave, ou que Rome succombe,
Et qu'après la bataille il ne demeure plus

Ni d'obstacle aux vainqueurs, ni d'espoir aux vaincus,
J'aurois pour mon pays une cruelle haine,
Si je pouvois encore être toute Romaine,
Et si je demandois votre triomphe aux dieux
Au prix de tant de sang qui m'est si précieux.

Je m'attache un peu moins aux intérêts d'un homme,
Je ne suis point pour Albe, et ne suis plus pour Rome;
Je crains pour l'une et l'autre en ce dernier effort,

Et serai du parti qu'affligera le sort.

Égale à tous les deux jusques à la victoire,

Je prendrai part aux maux, sans en prendre à la gloire; Et je garde, au milieu de tant d'âpres rigueurs,

Mes larmes aux vaincus, et ma haine aux vainqueurs.

JULIE.

Qu'on voit naître souvent, de pareilles traverses,
En des esprits divers, des passions diverses!
Et qu'à nos yeux Camille agit bien autrement!
Son frere est votre époux, le vôtre est son amant;
Mais elle voit d'un œil bien différent du vôtre

Son sang
dans une armée, et son amour dans l'autre.
Lorsque vous conserviez un esprit tout romain,
Le sien irrésolu, le sien tout incertain,

De la moindre mêlée appréhendoit l'orage,
De tous les deux partis détestoit l'avantage,

Au malheur des vaincus donnoit toujours ses pleurs,
Et nourrissoit ainsi d'éternelles douleurs.

Mais hier quand elle sut qu'on avoit pris journée,
Et qu'enfin la bataille alloit être donnée,

Une soudaine joie, éclatant sur son front...

SABINE.

Ah! que je crains, Julie, un changement si prompt!
Hier, dans sa belle humeur, elle entretint Valere:
Pour ce rival, sans doute, elle quitte mon frere;
Son esprit, ébranlé par les objets présents,
Ne trouve point d'absent aimable après deux ans.
Mais, excusez l'ardeur d'une amour fraternelle,
Le soin que j'ai de lui me fait craindre tout d'elle:
Je forme des soupçons d'un trop léger sujet;
Près d'un jour si funeste on change peu d'objet;
Les ames rarement sont de nouveau blessées;
Et dans un si grand trouble on a d'autres pensées :

Mais on n'a pas aussi de si doux entretiens,

Ni de contentements qui soient pareils aux siens.

JULIE.

Les causes, comme à vous, m'en semblent fort obscures;

Je ne me satisfais d'aucunes conjectures.

C'est assez de constance, en un si grand danger,
Que de le voir, l'attendre, et ne point s'affliger;
Mais, certes, c'en est trop d'aller jusqu'à la joie.

SABINE.

Voyez qu'un bon génie à propos nous l'envoie.
Essayez sur ce point à la faire parler;

Elle vous aime assez pour ne vous rien celer:
Je vous laisse.

SCENE II.

CAMILLE, SABINE, JULIE.

SABINE.

Ma sœur, entretenez Julie;

J'ai honte de montrer tant de mélancolie;
Et mon cœur, accablé de mille déplaisirs,
Cherche la solitude à cacher ses soupirs.

SCENE III.

CAMILLE, JULIE.

CAMILLE.

Qu'elle a tort de vouloir que je vous entretienne!
Croit-elle ma douleur moins vive que la sienne;
Et que, plus insensible à de si grands malheurs,
À mes tristes discours je mêle moins de pleurs?
De pareilles frayeurs mon ame est alarmée :
Comme elle, je perdrai dans l'une et l'autre armée.
Je verrai mon amant, mon plus unique bien,
Mourir pour son pays, ou détruire le mien;
Et cet objet d'amour devenir, pour ma peine,
Digne de mes soupirs, ou digne de ma haine.
Hélas!

JULIE.

Elle est pourtant plus à plaindre que vous: On peut changer d'amant, mais non changer d'époux. Oubliez Curiace, et recevez Valere,

Vous ne tremblerez plus pour le parti contraire,

Vous serez toute nôtre; et votre esprit remis

N'aura plus rien à perdre au camp des ennemis.

CAMILLE.

Donnez-moi des conseils qui soient plus légitimes,

Et plaignez mes malheurs sans m'ordonner des crimes. Quoiqu'à peine à mes maux je puisse résister,

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