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Ce que veut mon pays, mon amitié le craint.
Dures extrémités, de voir Albe asservie,
Ou sa victoire au prix d'une si chere vie;
Et que l'unique bien où tendent ses desirs.
S'achete seulement par vos derniers soupirs!
Quels vœux puis-je former, et quel bonheur attendre?
De tous les deux côtés j'ai des pleurs à répandre;
De tous les deux côtés mes desirs sont trahis.

HORACE.

Quoi! vous me pleureriez mourant pour mon pays!
Pour un cœur généreux ce trépas a des charmes,
La gloire qui le suit ne souffre point de larmes;
Et je le recevrois en bénissant mon sort,

Si Rome et tout l'état perdoient moins à ma mort.

CURIACE.

À vos amis pourtant permettez de le craindre;
Dans un si beau trépas ils sont les seuls à plaindre :
La gloire en est pour vous, et la perte pour eux;
Il vous fait immortel, et les rend malheureux:
On perd tout quand on perd un ami si fidele.
Mais Flavian m'apporte ici quelque nouvelle.

SCENE II.

HORACE, CURIACE, FLAVIAN.

CURIACE.

Albe de trois guerriers a-t-elle fait le choix?

(

FLAVIAN.

Je viens pour vous l'apprendre.

CURIACE.

Eh bien! qui sont les trois?

FLAVIAN.

Vos deux freres et vous.

CURIACE.

Qui?

FLAVIAN.

Vous et vos deux freres.

Mais pourquoi ce front triste et ces regards séveres?

Ce choix vous déplaît-il?

CURIACE.

Non; mais il me surprend:

Je m'estimois trop peu pour un honneur si grand.

FLAVIAN.

Dirai-je au dictateur, dont l'ordre ici m'envoie,

Que vous le recevez avec si

peu de joie?

Ce morne et froid accueil me surprend à mon tour.

CURIACE.

Dis-lui que l'amitié, l'alliance, et l'amour,
Ne pourront empêcher que les trois Curiaces
Ne servent leur pays contre les trois Horaces.

FLAVIAN.

Contre eux! Ah! c'est beaucoup me dire en peu de mots.

CURIACE.

Porte-lui ma réponse, et nous laisse en repos.

SCENE III.

HORACE, CURIACE.

CURIACE.

Que désormais le ciel, les enfers, et la terre,
Unissent leurs fureurs à nous faire la guerre ;
Que les hommes, les dieux, les démons, et le sort,
Préparent contre nous un général effort;

Je mets à faire pis, en l'état où nous sommes,

Le sort et les démons, et les dieux, et les hommes:
Ce qu'ils ont de cruel, et d'horrible, et d'affreux,
L'est bien moins que l'honneur qu'on nous fait à tous deux.

HORACE.

Le sort, qui de l'honneur nous ouvre la barriere,
Offre à notre constance une illustre matiere:

Il épuise sa force à former un malheur,

Pour mieux se mesurer avec notre valeur;

Et, comme il voit en nous des ames peu communes,
Hors de l'ordre commun il nous fait des fortunes.
Combattre un ennemi pour le salut de tous,
Et contre un inconnu s'exposer seul aux coups,
D'une simple vertu c'est l'effet ordinaire;
Mille déja l'ont fait, mille pourroient le faire:
Mourir pour le pays est un si digne sort,
Qu'on brigueroit en foule une si belle mort.
Mais vouloir au public immoler ce qu'on aime,

S'attacher au combat contre un autre soi-même,
Attaquer un parti qui prend pour défenseur
Le frere d'une femme et l'amant d'une sœur;

Et, rompant tous ces nœuds, s'armer pour la patrie
Contre un sang qu'on voudroit racheter de sa vie,
Une telle vertu n'appartenoit qu'à nous.

L'éclat de son grand nom lui fait peu de jaloux,
Et peu d'hommes au cœur l'ont assez imprimée
Pour oser aspirer à tant de renommée.

CURIACE.

Il est vrai que nos noms ne sauroient plus périr;
L'occasion est belle, il nous la faut chérir:

Nous serons les miroirs d'une vertu bien rare.
Mais votre fermeté tient un peu du barbare;
Peu, même des grands cœurs, tireroient vanité
D'aller par ce chemin à l'immortalité.
À quelque prix qu'on mette une telle fumée,
L'obscurité vaut mieux que tant de renommée.

Pour moi, je l'ose dire, et vous l'avez pu voir,
Je n'ai point consulté pour suivre mon devoir;
Notre longue amitié, l'amour, ni l'alliance,
N'ont pu mettre un moment mon esprit en balance;
Et puisque, par ce choix, Albe montre en effet
Qu'elle m'estime autant que Rome vous a fait,
Je crois faire pour elle autant que vous pour
J'ai le cœur aussi bon; mais enfin je suis homme.
Je vois que votre honneur demande tout mon sang,
Que tout le mien consiste à vous percer le flanc;

Rome:

Près d'épouser la sœur, qu'il faut tuer le frere,

Et

que pour mon pays j'ai le sort si contraire: Encor qu'à mon devoir je coure sans terreur, Mon cœur s'en effarouche, et j'en frémis d'horreur; J'ai pitié de moi-même, et jette un œil d'envie Sur ceux dont notre guerre a consumé la vie, Sans souhait toutefois de pouvoir reculer.

Ce triste et fier honneur m'émeut sans m'ébranler: * J'aime ce qu'il me donne, et je plains ce qu'il m'ôte; Et, si Rome demande une vertu plus haute,

Je rends graces aux dieux de n'être

pas Romain, Pour conserver encor quelque chose d'humain.

HORACE.

Si vous n'êtes Romain, soyez digne de l'être;
Et, si vous m'égalez, faites-le mieux paroître.
La solide vertu dont je fais vanité

N'admet point de foiblesse avec sa fermeté;

Et c'est mal de l'honneur entrer dans la carriere,
Que dès le premier pas regarder en arriere.
Notre malheur est grand, il est au plus haut point,
Je l'envisage entier; mais je n'en frémis point.
Contre qui que ce soit que mon pays m'emploie,
J'accepte aveuglément cette gloire avec joie :
Celle de recevoir de tels commandements
Doit étouffer en nous tous autres sentiments.
Qui, près de le servir, considere autre chose,
À faire ce qu'il doit lâchement se dispose;
Ce droit saint et sacré rompt tout autre lien.

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