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Rome a choisi mon bras, je n'examine rien.
Avec une alégresse aussi pleine et sincere
Que j'épousai la sœur, je combattrai le frere;
Et, pour trancher enfin ces discours superflus,
Albe vous a nommé, je ne vous connois plus.

CURIACE.

Je vous connois encore, et c'est ce qui me tue; Mais cette âpre vertu ne m'étoit pas connue; Comme notre malheur, elle est au plus haut point: Souffrez que je l'admire, et ne l'imite point.

Non, non,

HORACE.

n'embrassez pas de vertu par contrainte; Et, puisque vous trouvez plus de charme à la plainte, En toute liberté goûtez un bien si doux :

Voici venir ma sœur pour se plaindre avec vous ;
Je vais revoir la vôtre, et résoudre son ame
À se bien souvenir qu'elle est toujours ma femme,
À vous aimer encor si je meurs par vos mains,
Et prendre en son malheur des sentiments romains.

SCENE IV.

HORACE, CURIACE, CAMILLE.

HORACE.

Avez-vous su l'état qu'on fait de Curiace,

Ma sœur?

CAMILLE.

Hélas! mon sort a bien changé de face.

HORACE.

Armez-vous de constance, et montrez-vous ma sœur;
Et, si par mon trépas il retourne vainqueur,

Ne le recevez point en meurtrier d'un frere,
Mais en homme d'honneur qui fait ce qu'il doit faire,
Qui sert bien son pays, et sait montrer à tous
Par sa haute vertu qu'il est digne de vous:
Comme si je vivois, achevez l'hyménée.
Mais, si ce fer aussi tranche sa destinée,
Faites à ma victoire un pareil traitement;
Ne me reprochez point la mort de votre amant.
Vos larmes vont couler, et votre cœur se presse:
Consumez avec lui toute cette foiblesse;
Querellez ciel et terre, et maudissez le sort;
Mais après le combat ne pensez plus au mort.
(à Curiace.)

Je ne vous laisserai qu'un moment avec elle,
Puis nous irons ensemble où l'honneur nous appelle.

SCENE V.

CURIACE, CAMILLE.

CAMILLE.

Iras-tu, Curiace? et ce funeste honneur

Te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur?

CURIACE.

Hélas! je vois trop bien qu'il faut, quoi que je fasse,

Mourir ou de douleur, ou de la main d'Horace.

Je vais, comme au supplice, à cet illustre emploi;
Je maudis mille fois l'état qu'on fait de moi;
Je hais cette valeur qui fait qu'Albe m'estime :
Ma flamme au désespoir passe jusques au crime;
Elle se prend au ciel, et l'ose quereller:
Je vous plains, je me plains; mais il y faut aller.

CAMILLE.

Non, je te connois mieux; tu veux que je te prie,
Et qu'ainsi mon pouvoir t'excuse à ta patrie.
Tu n'es que trop fameux par tes autres exploits;
Albe a reçu par eux tout ce que tu lui dois.
Autre n'a mieux que toi soutenu cette guerre;
Autre de plus de morts n'a couvert notre terre:
Ton nom ne peut plus croître, il ne lui manque rien;
Souffre qu'un autre ici puisse ennoblir le sien.

CURIACE.

Que je souffre à mes yeux qu'on ceigne une autre tête
Des lauriers immortels que la gloire m'apprête;
Ou que tout mon pays reproche à ma vertu
Qu'il auroit triomphé si j'avois combattu,

Et

que sous mon amour ma valeur endormie Couronne tant d'exploits d'une telle infamie ! Non, Albe, après l'honneur que j'ai reçu de toi, Tu ne succomberas ni vaincras que par moi: Tu m'as commis ton sort, je t'en rendrai bon compte; Je vivrai sans reproche, ou périrai sans honte.

CAMILLE.

Quoi! tu ne veux pas voir qu'ainsi tu me trahis!

CURIACE.

Avant que d'être à vous, je suis à mon pays.

CAMILLE.

Mais te priver pour lui toi-même d'un beau-frere,
Ta sœur de son mari!

CURIACE.

Telle est notre misere.

Le choix d'Albe et de Rome ôte toute douceur

Aux noms jadis si doux de beau-frere et de sœur.

CAMILLE.

Tu pourras donc, cruel, me présenter sa tête,
Et demander ma main pour prix de ta conquête!

CURIACE.

Il n'y faut plus penser: en l'état où je suis,
Vous aimer sans espoir, c'est tout ce que je puis.
Vous en pleurez, Camille!

CAMILLE.

Il faut bien que je pleure,

Mon insensible amant ordonne que je meure;

Et, quand l'hymen pour nous allume son flambeau,
Il l'éteint de sa main pour m'ouvrir le tombeau.
Ce cœur impitoyable à ma perte s'obstine,

Et dit qu'il m'aime encore alors qu'il m'assassine.

CURIACE.

Que les pleurs d'une amante ont de puissants discours!

A

Et qu'un bel œil est fort avec un tel secours!

Que mon cœur s'attendrit à cette triste vue!

Ma constance contre elle à regret s'évertue.
N'attaquez plus ma gloire avec tant de douleurs,
Et laissez-moi sauver ma vertu de vos pleurs;
Je sens qu'elle chancelle et défend mal la place;
Plus je suis votre amant, moins je suis Curiace:
Foible d'avoir déja combattu l'amitié,
Vaincroit-elle à la fois l'amour et la pitié?

Allez, ne m'aimez plus, ne versez plus de larmes,
Ou j'oppose l'offense à de si fortes armes :

Je

me

défendrai mieux contre votre courroux; Et, pour le mériter, je n'ai plus d'yeux pour vous. Vengez-vous d'un ingrat, punissez un volage. Vous ne vous montrez point sensible à cet outrage! Je n'ai plus d'yeux pour vous, vous en avez pour En faut-il plus encor? je renonce à ma foi. Rigoureuse vertu dont je suis la victime,

Ne peux-tu résister sans le secours d'un crime?

CAMILLE.

moi!

Ne fais point d'autre crime, et j'atteste les dieux
Qu'au lieu de t'en haïr je t'en aimerai mieux :
Oui, je te chérirai tout ingrat et perfide,
Et cesse d'aspirer au nom de fratricide.
Pourquoi suis-je Romaine? ou que n'es-tu Romain?
Je te préparerois des lauriers de ma main,
Je t'encouragerois au lieu de te distraire,
Et je te traiterois comme j'ai fait mon frere.
Hélas! j'étois aveugle en mes vœux aujourd'hui;

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