페이지 이미지
PDF
ePub

Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes,

Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes,
Et que, jusques au ciel élevant tes exploits,
Moi-même je le tue une seconde fois!

Puissent tant de malheurs accompagner ta vie,
Que tu tombes au point de me porter envie,
Et toi bientôt souiller par quelque lâcheté
Cette gloire si chere à ta brutalité !

HORACE.

O ciel! qui vit jamais une pareille rage!
Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage,
Que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur?
Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur;
Et préfere du moins au souvenir d'un homme
Ce
que doit ta naissance aux intérêts de Rome.

CAMILLE.

Rome, l'unique objet de mon ressentiment!
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant!
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore!
Rome enfin que je hais parcequ'elle t'honore!
Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés,
Saper ses fondements encor mal assurés ;
Et, si ce n'est assez de toute l'Italie,

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie;
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent la détruire et les monts et les mers;

pour

Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,

Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux!:
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,

Moi seule en être cause, et mourir de plaisir ! HORACE, mettant l'épée à la main, et poursuivant sa sœur qui s'enfuit.

C'est trop; ma passion à la raison fait place.
Va dedans les enfers plaindre ton Curiace!

CAMILLE, blessée, derriere le théatre.

Ah, traître!

HORACE, revenant sur le théâtre.

Ainsi reçoive un châtiment soudain

Quiconque ose pleurer un ennemi romain !

[blocks in formation]

HORACE.

Ne me dis point qu'elle est et mon sang et ma sœur ;
Mon pere ne peut plus l'avouer pour sa fille :
Qui maudit son pays renonce à sa famille;

Des noms si pleins d'amour ne lui sont plus permis;
De ses plus chers parents il fait ses ennemis;

Le

sang même les arme en haine de son crime;
La plus prompte vengeance en est plus légitime;
Et ce souhait impie, encore qu'impuissant,
Est un monstre qu'il faut étouffer en naissant.

SCENE VII.

HORACE, SABINE, PROCULE.

SABINE.

A quoi s'arrête ici ton illustre colere?

Viens voir mourir ta sœur dans les bras de ton pere;
Viens repaître tes yeux d'un spectacle si doux:
Ou, si tu n'es point las de ces généreux coups,
Immole au cher pays des vertueux Horaces
Ce reste malheureux du sang des Curiaces;
Si prodigue du tien, n'épargne pas le leur;
Joins Sabine à Camille, et ta femme à ta sœur.
Nos crimes sont pareils ainsi que nos miseres;
Je soupire comme elle, et déplore mes freres;
Plus coupable en ce point contre tes dures lois,

Qu'elle n'en pleuroit qu'un, et que j'en pleure trois;
Qu'après son châtiment ma faute continue.

HORACE...

Seche tes pleurs, Sabine, ou les cache à ma vue;
Rends-toi digne du nom de ma chaste moitié;
Et ne m'accable point d'une indigne pitié.
Si l'absolu pouvoir d'une pudique flamme

Ne nous laisse à tous deux qu'un penser et qu'une ame,
C'est à toi d'élever tes sentiments aux miens,

Non à moi de descendre à la honte des tiens.

Je t'aime, et je connois la douleur qui te presse :
Embrasse ma vertu, pour vaincre ta foiblesse ;
Participe à ma gloire, au lieu de la souiller;
Tâche à t'en revêtir, non à m'en dépouiller.
Es-tu de mon honneur si mortelle ennemie,
Que je te plaise mieux couvert d'une infamie?
Sois plus femme que sœur, et, te réglant sur moi,
Fais-toi de mon exemple une immuable loi.

SABINE.

Cherche pour t'imiter des ames plus parfaites.
Je ne t'impute point les pertes que j'ai faites;
J'en ai les sentiments que je dois en avoir;
Et je m'en prends au sort plutôt qu'à ton devoir.
Mais enfin je renonce à la vertu romaine,
Si pour la posséder je dois être inhumaine,
Et ne puis voir en moi la femme du vainqueur
Sans y voir des vaincus la déplorable sœur.

[ocr errors]

Prenons part en public aux victoires publiques;
Pleurons dans la maison nos malheurs domestiques;
Et ne regardons point des biens communs à tous
Quand nous voyons des maux qui ne sont que pour nous.
Pourquoi veux-tu, cruel, agir d'une autre sorte?
Laisse en entrant ici tes lauriers à la porte;

A

Mêle tes pleurs aux miens. Quoi ! ces lâches discours
N'arment point ta vertu contre mes tristes jours!
Mon crime redoublé n'émeut point ta colere!
Que Camille est heureuse! elle a pu te déplaire;
Elle a reçu de toi ce qu'elle a prétendu,

Et recouvre là-bas tout ce qu'elle a perdu.

Cher époux, cher auteur du tourment qui me presse, Écoute la pitié, si ta colere cesse;

Exerce l'une ou l'autre, après de tels malheurs,

[ocr errors]

punir ma foiblesse, ou finir mes douleurs.

Je demande la mort pour grace, ou pour supplice:
Qu'elle soit un effet d'amour ou de justice,
N'importe, tous ses traits n'auront rien que
Si je les vois partir de la main d'un époux.

[merged small][ocr errors]

de doux

Quelle injustice aux dieux d'abandonner aux femmes
Un empire si grand sur les plus belles ames,
Et de se plaire à voir de si foibles vainqueurs
Régner si puissamment sur les plus nobles cœurs!
À quel point ma vertu devient-elle réduite!
Rien ne la sauroit plus garantir que la fuite.

« 이전계속 »