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Rome est à vous, seigneur; l'empire est votre bien; Chacun en liberté peut disposer du sien;

Il le peut, à son choix, garder, ou s'en défaire:
Vous seul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire!
Et seriez devenu, pour avoir tout dompté,

Esclave des grandeurs où vous êtes monté!
Possédez-les, seigneur, sans qu'elles vous possedent;
Loin de vous captiver, souffrez qu'elles vous cedent;
Et faites hautement connoître enfin à tous
Que tout ce qu'elles ont est au-dessous de vous.
Votre Rome autrefois vous donna la naissance;
Vous lui voulez donner votre toute-puissance;
Et Cinna vous impute à crime capital
La libéralité vers le pays natal!
Il appelle remords l'amour de la patrie!
Par la haute vertu la gloire est donc flétrie,
Et ce n'est qu'un objet digne de nos mépris
Si de ses pleins effets l'infamie est le prix.
Je veux bien avouer qu'une action si belle
Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle:
Mais commet-on un crime indigne de pardon
Quand la reconnoissance est au-dessus du don?
Suivez, suivez, seigneur, le ciel qui vous inspire:
Votre gloire redouble à mépriser l'empire;
Et vous serez fameux chez la postérité,

Moins pour l'avoir conquis, que pour l'avoir quitté.
Le bonheur peut conduire à la grandeur suprême;
Mais, pour y renoncer, il faut la vertu même;

Et peu de généreux vont jusqu'à dédaigner,

Après un sceptre acquis, la douceur de régner.
Considérez d'ailleurs que vous régnez dans Rome,
Où, de quelque façon que votre cour vous nomme,
On hait la monarchie; et le nom d'empereur,
Cachant celui de roi, ne fait pas moins d'horreur :
Il passe pour tyran quiconque s'y fait maître;
Qui le sert, pour esclave, et qui l'aime, pour traître :
Qui le souffre a le cœur lâche, mol, abattu,
Et pour s'en affranchir tout s'appelle vertu.
Vous en avez, seigneur, des preuves trop
preuves trop certaines :
On a fait contre vous dix entreprises vaines;
Peut-être que l'onzieme est prête d'éclater,
Et que ce mouvement qui vous vient d'agiter
N'est qu'un avis secret que le ciel vous envoie,
Qui, pour vous conserver, n'a plus que cette voie.
Ne vous exposez plus à ces fameux revers:
Il est beau de mourir maître de l'univers;
Mais la plus belle mort souille notre mémoire
Quand nous avons pu vivre et croître notre gloire.

CINNA.

Si l'amour du pays doit ici prévaloir,

C'est son bien seulement que vous devez vouloir;
Et cette liberté, qui lui semble si chere,

N'est pour Rome, seigneur, qu'un bien imaginaire,
Plus nuisible qu'utile, et qui n'approche pas
De celui qu'un bon prince apporte à ses états.
Avec ordre et raison les honneurs il dispense,

Avec discernement punit et récompense,

Et dispose de tout en juste possesseur,

Sans rien précipiter de peur d'un successeur.

Mais, quand le peuple est maître, on n'agit qu'en tumulte;
La voix de la raison jamais ne se consulte;

Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux;
L'autorité livrée aux plus séditieux :

Ces petits souverains qu'il fait pour une année,
Voyant d'un temps si court leur puissance bornée,
Des plus heureux desseins font avorter le fruit,
De peur de le laisser à celui qui les suit;

Comme ils ont peu de part au bien dont ils ordonnent,
Dans le champ du public largement ils moissonnent,
Assurés que chacun leur pardonne aisément,
Espérant à son tour un pareil traitement.
Le pire des états, c'est l'état populaire.

AUGUSTE.

Et toutefois le seul qui dans Rome peut plaire.
Cette haine des rois, que depuis cinq cents ans
Avec le premier lait sucent tous ses enfants,
Pour l'arracher des cœurs, est trop enracinée.

MAXIME.

Oui, seigneur, dans son mal Rome est trop obstinée:
Son peuple, qui s'y plaît, en fuit la guérison;
Sa coutume l'emporte, et non pas la raison;
Et cette vieille erreur que Cinna veut abattre
Est une heureuse erreur dont il est idolâtre,
Par qui le monde entier, asservi sous ses lois,

L'a vu cent fois marcher sur la tête des rois,

Son épargne s'enfler du sac de leurs provinces:

Que lui pouvoient de plus donner les meilleurs princes?

J'ose dire, seigneur, que par tous les climats

Ne sont pas bien reçus toutes sortes d'états;
Chaque peuple a le sien conforme à sa nature,
Qu'on ne sauroit changer sans lui faire une injure:
Telle est la loi du ciel, dont la sage équité
Seme dans l'univers cette diversité.
Les Macédoniens aiment le monarchique,
Et le reste des Grecs la liberté publique ;

Les Parthes, les Persans, veulent des souverains;
Et le seul consulat est bon pour les Romains.

CINNA.

Il est vrai que du ciel la prudence infinie
Départ à chaque peuple un différent génie;
Mais il n'est pas
moins vrai que cet ordre des cieux
Change selon les temps, comme selon les lieux.
Rome a reçu des rois ses murs et sa naissance;
Elle tient des consuls sa gloire et sa puissance,
Et reçoit maintenant de vos rares bontés
Le comble souverain de ses prospérités.

Sous vous, l'état n'est plus en pillage aux armées;
Les portes de Janus par vos mains sont fermées,
Ge que, sous ses consuls, on n'a vu qu'une fois,
Et qu'a fait voir comme eux le second de ses rois.

MAXIME.

Les changements d'état que fait l'ordre céleste

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Ne coûtent point de sang, n'ont rien qui soit funeste.

CINNA.

C'est un ordre des dieux, qui jamais ne se rompt,
De nous vendre bien cher les grands biens qu'ils nous font.
L'exil des Tarquins même ensanglanta nos terres,

Et nos premiers consuls nous ont coûté des guerres.

MAXIME.

Donc votre aïeul Pompée au ciel a résisté
Quand il a combattu pour notre liberté?'

CINNA.

Si le ciel n'eût voulu que Rome l'eût perdue,
Par les mains de Pompée il l'auroit défendue.
Il a choisi sa mort pour servir dignement
D'une marque éternelle à ce grand changement;
Et devoit cette gloire aux mânes d'un tel homme,
D'emporter avec eux la liberté de Rome.
Ce nom, depuis long-temps, ne sert qu'à l'éblouir,
Et sa propre grandeur l'empêche d'en jouir.
Depuis qu'elle se voit la maîtresse du monde,
Depuis que la richesse entre ses murs abonde,

Et

que son sein, fécond en glorieux exploits,
Produit des citoyens plus puissants que des rois,
Les grands, pour s'affermir achetant les suffrages,
Tiennent pompeusement leurs maîtres à leurs gages,
Qui, par des fers dorés se laissant enchaîner,

Reçoivent d'eux les lois qu'ils pensent leur donner.
Envieux l'un de l'autre, ils menent tout par brigues,
Que leur ambition tourne en sanglantes ligues.

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