페이지 이미지
PDF
ePub

Et changer à son gré l'ordre de tout le monde;
Mais le cœur d'Émilie est hors de son pouvoir.

CINNA.

Aussi n'est-ce qu'à vous que je veux le devoir.
Je suis toujours moi-même, et ma foi toujours pure:
La pitié que je sens ne me rend point parjure;
J'obéis sans réserve à tous vos sentiments,
Et prends vos intérêts par-delà mes serments.
J'ai pu, vous le savez, sans parjure et sans crime,
Vous laisser échapper cette illustre victime:
César, se dépouillant du pouvoir souverain,
Nous ôtoit tout prétexte à lui percer le sein;
La conjuration s'en alloit dissipée,

Vos desseins avortés, votre haine trompée :
Moi seul j'ai raffermi son esprit étonné;

Et pour vous l'immoler ma main l'a couronné.

ÉMILIE.

Pour me l'immoler, traître! Et tu veux que moi-même
Je retienne ta main, qu'il vive, et que je l'aime,
Que je sois le butin de qui l'ose épargner,
Et le prix du conseil qui le force à régner!

CINNA.

Ne me condamnez point quand je vous ai servie:
Sans moi, vous n'auriez plus de pouvoir sur sa vie;
Et, malgré ses bienfaits, je rends tout à l'amour,
Quand je veux qu'il périsse, ou vous doive le jour.
Avec les premiers vœux de mon obéissance,
Souffrez ce foible effort de ma reconnoissance;

[ocr errors]

Que je tâche de vaincre un indigne courroux,
Et vous donner pour lui l'amour qu'il a pour vous.
Une ame généreuse, et que la vertu guide,
Fuit la honte des noms d'ingrate et de perfide;
Elle en hait l'infamie attachée au bonheur,

Et n'accepte aucun bien aux dépens de l'honneur.

ÉMILIE..

Je fais gloire, pour moi, de cette ignominie:

La perfidie est noble envers la tyrannie;

Et, quand on rompt le cours d'un sort si malheureux,
Les cœurs les plus ingrats sont les plus généreux.

CINNA.

Vous faites des vertus au gré de votre haine.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Une odieuse vie à qui le fait servir;

Il fuit plus que la mort la honte d'être esclave.

CINNA.A

C'est l'être avec honneur que de l'être d'Octave;
Et nous voyons souvent des rois à nos génoux
Implorer la faveur d'esclaves tels que nous.
Il abaisse à nos pieds l'orgueil des diadêmes;
Il nous fait souverains sur leurs grandeurs suprêmes;
Il prend.d'eux les tributs dont il nous enrichit,

Et leur impose un joug dont il nous affranchit.

ÉMILIE.

L'indigne ambition que ton cœur se propose!
Pour être plus qu'un roi, tu te crois quelque chose!
Aux deux bouts de la terre en est-il un si vain
Qu'il prétende égaler un citoyen romain?
Antoine sur sa tête attira notre haine
En se déshonorant par l'amour d'une reine:
Attale, ce grand roi dans la pourpre blanchi,
Qui du peuple romain se nommoit l'affranchi,
Quand de toute l'Asie il se fût vu l'arbitre,
Eût encor moins prisé son trône que ce titre.
Souviens-toi de ton nom, soutiens sa dignité;
Et, prenant d'un Romain la générosité,

[ocr errors]

Sache qu'il n'en est point que le ciel n'ait fait naître Pour commander aux rois, et pour vivre sans maître.

CINNA.

Le ciel a trop fait voir, en de tels attentats,
Qu'il hait les assassins, et punit les ingrats;

Et quoi qu'on entreprenne, et quoi qu'on exécute,
Quand il éleve un trône, il en venge la chute.
Il se met du parti de ceux qu'il fait régner;
Le coup dont on les tue est long-temps à saigner;
Et, quand à les punir il a pu se résoudre,

De pareils châtiments n'appartiennent qu'au foudre..
ÉMILIE.

: Dis que de leur parti toi-même tu te rends, De te remettre au foudre à punir les tyrans.

Je ne t'en parle plus: va, sers la tyrannie;
Abandonne ton ame à son lâche génie;
Et, pour rendre le calme à ton esprit flottant,
Oublie et ta naissance et le prix qui t'attend.
Sans emprunter ta main pour servir ma colere,
Je saurai bien venger mon pays et mon pere.
J'aurois déja l'honneur d'un si fameux trépas,
Si l'amour jusqu'ici n'eût arrêté mon bras:
C'est lui qui, sous tes lois me tenant asservie,
M'a fait en ta faveur prendre soin de ma vie;
Seule contre un tyran, en le faisant périr,
Par les mains de sa garde il me falloit mourir;
Je t'eusse par ma mort dérobé ta captive;
Et comme pour toi seul l'amour veut que je vive,.
J'ai voulu, mais en vain, me conserver pour toi,
Et te donner moyen d'être digne de moi.

Pardonnez-moi, grands dieux, si je me suis trompée
Quand j'ai pensé chérir un neveu de Pompée,
Et si d'un faux semblant mon esprit abusé
A fait choix d'un esclave en son lieu supposé.
Je t'aime toutefois, quel que tu puisses être;
Et si, pour me gagner, il faut trahir ton maître,
Mille autres à l'envi recevroient cette loi,

S'ils pouvoient m'acquérir à même prix que toi.
Mais n'appréhende pas qu'un autre ainsi m'obtienne;
Vis
pour ton cher tyran, tandis que je meurs tienne:
Mes jours avec les siens se vont précipiter,
Puisque ta lâcheté n'ose me mériter.

Viens me voir, dans son sang et dans le mien baignée, De ma seule vertu mourir accompagnée,

Et te dire en mourant d'un esprit satisfait:

«< N'accuse point mon sort, c'est toi seul qui l'as fait; Je descends dans la tombe, où tu m'as condamnée, Où la gloire me suit qui t'étoit destinée:

Je meurs en détruisant un pouvoir absolu;
Mais je vivrois à toi, si tu l'avois voulu. »

CINNA.

Hé bien! vous le voulez, il faut vous satisfaire,
Il faut affranchir Rome, il faut venger un pere,
Il faut sur un tyran porter de justes coups:

Mais apprenez qu'Auguste est moins tyran que vous;
S'il nous ôte à son gré nos biens, nos jours, nos femmes,
Il n'a point jusqu'ici tyrannisé nos ames;

Mais l'empire inhumain qu'exercent vos beautés
Force jusqu'aux esprits et jusqu'aux volontés.
Vous me faites priser ce qui me déshonore;
Vous me faites haïr ce que mon ame adore;
Vous me faites répandre un sang pour qui je dois
Exposer tout le mien et mille et mille fois;

Vous le voulez, j'y cours, ma parole est donnée:
Mais ma main aussitôt, contre mon sein tournée,
Aux mânes d'un tel prince immolant votre amant,
À mon crime forcé joindra mon châtiment;
Et, par cette action dans l'autre confondue;
Recouvrera ma gloire aussitôt que perdue.
Adieu.

« 이전계속 »