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Et, d'un zele effronté couvrant son attentat,
S'oppose, pour me perdre, au bonheur de l'état?
Donc jusqu'à l'oublier je pourrois me contraindre!
Tu vivrois en repos après m'avoir fait craindre!
Non, non; je me trahis moi-même d'y penser:
Qui pardonne aisément invite à l'offenser:
Punissons l'assassin, proscrivons les complices.

Mais quoi! toujours du sang, et toujours des supplices! Ma cruauté se lasse, et ne peut s'arrêter;

Je veux me faire craindre, et ne fais qu'irriter.
Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile,
Une tête coupée en fait renaître mille;

Et le sang répandu de mille conjurés

Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés.
Octave, n'attends plus le coup d'un nouveau Brute;
Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute;

Meurs, tu ferois pour vivre un lâche et vain effort,
Si tant de gens de cœur font des voeux pour ta mort,
Et si tout ce que Rome a d'illustre jeunesse

Pour te faire périr tour-à-tour s'intéresse;

Meurs, puisque c'est un mal que tu ne peux guérir;
Meurs enfin, puisqu'il faut, ou tout perdre, ou mourir;
La vie est peu de chose, et le peu qui t'en reste
Ne vaut pas l'acheter par un prix si funeste:
Meurs; mais quitte du moins la vie avec éclat,
Éteins-en le flambeau dans le sang de l'ingrat;
À toi-même, en mourant, immole ce perfide;
Contentant ses desirs, punis son parricide;

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Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,
En faisant qu'il le voie, et n'en jouisse pas.
Mais jouissons plutôt nous-mêmes de sa peine;
Et, si Rome nous hait, triomphons de sa haine.
O Romains! ô vengeance! ô pouvoir absolu!
O rigoureux combat d'un cœur irrésolu
Qui fuit en même temps tout ce qu'il se propose!
D'un prince malheureux ordonnez quelque chose!
Qui des deux dois-je suivre, et duquel m'éloigner?
Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner. ·

SCENE IV.

AUGUSTE, LIVIE.

AUGUSTE.

Madame, on me trahit, et la main qui me tue Rend sous mes déplaisirs ma constance abattue. Cinna, Cinna le traître...

LIVIE.

Euphorbe m'a tout dit,

Seigneur, et j'ai pâli cent fois à ce récit.

Mais écouteriez-vous les conseils d'une femme?

AUGUSTE.

Hélas! de quel conseil est capable mon ame!

LIVIE.

Votre sévérité, sans produire aucun fruit,

Seigneur, jusqu'à présent a fait beaucoup de bruit.

› Par les peines d'un autre aucun ne s'intimide: Salvidien à bas a soulevé Lépide;

Murene a succédé, Cépion l'a suivi;

Le jour à tous les deux dans les tourments ravi
N'a point mêlé de crainte à la fureur d'Égnace,
Dont Cinna maintenant ose prendre la place;
Et, dans les plus bas rangs, les noms les plus abjects
Ont voulu s'ennoblir par de si hauts projets.
Après avoir en vain puni leur insolence,
Essayez sur Cinna ce que peut la clémence;
Faites son châtiment de sa confusion;
Cherchez le plus utile en cette occasion:
Sa peine peut aigrir une ville animée;
Son pardon peut servir à votre renommée;

Et ceux que vos rigueurs ne font qu'effaroucher
Peut-être à vos bontés se laisseront toucher.

AUGUSTE.

Gagnons-les tout-à-fait en quittant cet empire
Qui nous rend odieux, contre qui l'on conspire.
J'ai trop par vos avis consulté là-dessus;
Ne m'en parlez jamais, je ne consulte plus.

Cesse de soupirer, Rome, pour ta franchise;
Si je t'ai mise aux fers, moi-même je les brise, `
Et te rends ton état, après l'avoir conquis,
Plus paisible et plus grand que je ne te l'ai pris.
Si tu me veux haïr, hais-moi sans plus rien feindre;
Si tu me veux aimer, aime-moi sans me craindre;;
De tout ce qu'eut Sylla de puissance et d'honneur,

Lassé comme il en fut, j'aspire à son bonheur.

LIVIE.

Assez et trop long-temps son exemple vous flatte;
Mais gardez que sur vous le contraire n'éclate.
Ce bonheur sans pareil qui conserva ses jours
Ne seroit pas bonheur, s'il arrivoit toujours.

AUGUSTE.

Hé bien ! s'il est trop grand, si j'ai tort d'y prétendre,
J'abandonne mon sang à qui voudra l'épandre.
Après un long orage il faut trouver un port;
Et je n'en vois que deux, le repos, ou la mort.

LIVIE.

Quoi! vous voulez quitter le fruit de tant de peines?

AUGUSTE.

Quoi! vous voulez garder l'objet de tant de haines?

LIVIE.

Seigneur, vous emporter à cette extrémité,
C'est plutôt désespoir que générosité.

AUGUSTE.

Régner et caresser une main si traîtresse,
Au lieu de sa vertu, c'est montrer sa foiblesse.

LIVIE.

C'est régner sur vous-même, et, par un noble choix, Pratiquer la vertu la plus digne des rois.

AUGUSTE.

Vous m'aviez bien promis des conseils d'une femme; Vous me tenez parole; et c'en sont là, madame. Après tant d'ennemis à mes pieds abattus,

Depuis vingt ans-je regne, et j'en sais les vertus;
Je sais leur divers ordre, et de quelle nature
Sont les devoirs d'un prince en cette conjoncture.
Tout son peuple est blessé par un tel attentat,
Et la seule pensée est un crime d'état,

Une offense qu'on fait à toute sa province,
Dont il faut qu'il la venge ou cesse d'être prince.

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Le ciel m'inspirera ce qu'ici je dois faire :
Adieu; nous perdons temps.

LIVIE.

Je ne vous quitte point,

Seigneur, que mon amour n'ait obtenu ce point.

AUGUSTE.

C'est l'amour des grandeurs qui vous rend importune.

LIVIE.

J'aime votre personne, et non votre fortune.

(seule.)

Il m'échappe : suivons; et forçons-le de voir
Qu'il peut, en faisant grace, affermir son pouvoir;
Et qu'enfin la clémence est la plus belle marque
Qui fasse à l'univers connoître un vrai monarque.

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