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SCENE V.

ÉMILIE, FULVIE.

ÉMILIE.

D'où me vient cette joie? et que mal-à-propos
Mon esprit malgré moi goûte un entier repos!
César mande Cinna, sans me donner d'alarmes !
Mon cœur est sans soupirs, mes yeux n'ont point de larmes,
Comme si j'apprenois d'un secret mouvement

Que tout doit succéder à mon contentement!
Ai-je bien entendu? me l'as-tu dit, Fulvie?

FULVIE.

J'avois gagné sur lui qu'il aimeroit la vie,
Et je vous l'amenois, plus traitable et plus doux,
Faire un second effort contre votre courroux;
Je m'en applaudissois, quand soudain Polyclete,
Des volontés d'Auguste ordinaire interprete,
Est venu l'aborder et sans suite et sans bruit,
Et de sa part sur l'heure au palais l'a conduit.
Auguste est fort troublé; l'on ignore la cause:
Chacun diversement soupçonne quelque chose;
Tous présument qu'il ait un grand sujet d'ennui,
Et qu'il mande Cinna pour prendre avis de lui.
Mais ce qui m'embarrasse, et que je viens d'apprendre,
C'est que deux inconnus se sont saisis d'Évandre,
Qu'Euphorbe est arrêté sans qu'on sache pourquoi,

Que même de son maître on dit je ne sais quoi:
On lui veut imputer un désespoir funeste;
On parle d'eaux, de Tibre, et l'on se tait du reste.

ÉMILIE.

Que de sujets de craindre et de désespérer,
Sans que mon triste cœur en daigne murmurer!
À chaque occasion, le ciel y fait descendre
Un sentiment contraire à celui qu'il doit prendre.
Une vaine frayeur tantôt m'a pu troubler;

Et je suis insensible alors qu'il faut trembler.

Je vous entends, grands dieux! vos bontés que j'adore Ne peuvent consentir que je me déshonore, Et, ne me permettant soupirs, sanglots, ni pleurs, Soutiennent ma vertu contre de tels malheurs: Vous voulez que je meure avec ce grand courage Qui m'a fait entreprendre un si fameux ouvrage; Et je veux bien périr comme vous l'ordonnez, Et dans la même assiette où vous me retenez.

O liberté de Rome! ô mânes de mon pere! J'ai fait de mon côté tout ce que j'ai pu faire; Contre votre tyran j'ai ligué ses amis, Et plus osé pour vous qu'il ne m'étoit permis. Si l'effet a manqué, ma gloire n'est pas moindre: N'ayant pu vous venger, je vous irai rejoindre, Mais si fumante encor d'un généreux courroux, Par un trépas si noble et si digne de vous, Qu'il vous fera sur l'heure aisément reconnoître Le sang des grands héros dont vous m'avez fait naître.

SCENE VI.

MAXIME, ÉMILIE, FULVIE.

ÉMILIE.

Mais je vous vois, Maxime, et l'on vous faisoit mort!

MAXIME.

Euphorbe trompe Auguste avec ce faux rapport:
Se voyant arrêté, la trame découverte,
Il a feint ce trépas pour empêcher ma pertè.

Que dit-on de Cinna?

ÉMILIE.

MAXIME.

Que son plus grand regret,
C'est de voir que César sait tout votre secret.
En vain il le dénie et le veut méconnoître,.
Évandre a tout conté pour excuser son maître:

Et

par l'ordre d'Auguste on vient vous arrêter. ÉMILIE.

Celui qui l'a reçu tarde à l'exécuter;

Je suis prête à le suivre, et lasse de l'attendre.

MAXIME.

Il vous attend chez moi.

ÉMILIE.

Chez vous!

MAXIME,

C'est vous surprendre;

Mais apprenez le soin que le ciel a de vous:

C'est un des conjurés qui va fuir avec nous.
Prenons notre avantage avant qu'on nous poursuive;
Nous avons pour partir un vaisseau sur la rive.

ÉMILIE.

Me connois-tu, Maxime? et sais-tu qui je suis?

MAXIME.

En faveur de Cinna je fais ce que je puis,
Et tâche à garantir de ce malheur extrême
La plus belle moitié qui reste de lui-même.
Sauvons-nous, Émilie; et conservons le jour,
Afin de le venger par un heureux retour.

ÉMILIE.

Cinna dans son malheur est de ceux qu'il faut suivre,
Qu'il ne faut pas venger de peur de leur survivre.
Quiconque après sa perte aspire à se sauver
Est indigne du jour qu'il tâche à conserver.

MAXIME.

Quel désespoir aveugle à ces fureurs vous porte?
O dieux ! que de foiblesse en une ame si forte!
Ce cœur si généreux rend si peu de combat!
Et du premier revers la fortune l'abat!
Rappelez, rappelez cette vertu sublime;
Ouvrez enfin les yeux, et connoissez Maxime:
C'est un autre Cinna qu'en lui vous regardez;
Le ciel vous rend en lui l'amant que vous perdez;
Et, puisque l'amitié n'en faisoit plus qu'une ame,
Aimez en cet ami l'objet de votre flamme:

Avec la même ardeur il saura vous chérir,

Que...

ÉMILIE.

Tu m'oses aimer, et tu n'oses mourir!

Tu prétends un peu trop: mais, quoi que tu prétendes,
Rends-toi digne du moins de ce que tu demandes;
Cesse de fuir en lâche un glorieux trépas,

Ou de m'offrir un cœur que tu fais voir si bas;
Fais que je porte envie à ta vertu parfaite;
Ne te pouvant aimer, fais que je te regrette;
Montre d'un vrai Romain la derniere vigueur,
Et mérite mes pleurs au défaut de mon cœur.
Quoi! si ton amitié pour Cinna s'intéresse,
Crois-tu qu'elle consiste à flatter sa maîtresse?
Apprends, apprends de moi quel en est le devoir;
Et donne-m'en l'exemple, ou viens le recevoir..

MAXIME.

Votre juste douleur est trop impétueuse.

ÉMILIE.

La tienne en ta faveur est trop ingénieuse.
Tu me parles déja d'un bienheureux retour,
Et dans tes déplaisirs tu conçois de l'amour!

MAXIME.

Cet amour en naissant est toutefois extrême.
C'est votre amant en vous, c'est mon ami

que j'aime. Et des mêmes ardeurs dont il fut embrasé...

ÉMILIE.

Maxime, en voilà trop pour un homme avisé.

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