Et, malgré la fureur de ton lâche dessein, Je te la donne encor comme à mon assassin. Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang; Préfere-s-en la pourpre à celle de mon sang; Apprends sur mon exemple à vaincre ta colere: Te rendant un époux, je te rends plus qu'un pere. ÉMILIE. Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés; Et pour preuve, seigneur, je n'en veux que moi-même. Puisqu'il change mon cœur, qu'il veut changer l'état. CINNA. Seigneur, que vous dirai-je après que nos offenses AUGUSTE. Cesse d'en retarder un oubli magnanime; Et tous deux avec moi faites grace à Maxime: Reprends auprès de moi ta place accoutumée; MAXIME. Je n'en murmure point, il a trop de justice; CINNA. Souffrez que ma vertu dans mon cœur rappelée Et moi, par un bonheur dont chacun soit jaloux, Perdre pour vous cent fois ce que je tiens de vous! LIVIE. Ce n'est pas tout, seigneur; une céleste flamme De votre heureux destin c'est l'immuable loi. Après cette action, vous n'avez rien à craindre: On portera le joug désormais sans se plaindre; Et les plus indomptés, renversant leurs projets, Mettront toute leur gloire à mourir vos sujets. Aucun lâche dessein, aucune ingrate envie N'attaquera le cours d'une si belle vie; Jamais plus d'assassins, ni de conspirateurs: Vous avez trouvé l'art d'être maître des cœurs. Rome avec une joie et sensible et profonde Se démet en vos mains de l'empire du monde: Vos royales vertus lui vont trop enseigner Que son bonheur consiste à vous faire régner. D'une si longue erreur pleinement affranchie, Elle n'a plus de vœux que pour la monarchie, Vous prépare déja des temples, des autels, Et le ciel une place entre les immortels; Et la postérité, dans toutes les provinces, Donnera votre exemple aux plus généreux princes. AUGUSTE. J'en accepte l'augure, et j'ose l'espérer. Ainsi toujours les dieux vous daignent inspirer! Qu'on redouble demain les heureux sacrifices Que nous leur offrirons sous de meilleurs auspices; Et que vos conjurés entendent publier Qu'Auguste a tout appris, et veut tout oublier. FIN DE CINNA. EXAMEN DE CINNA. CE poëme a tant d'illustres suffrages qui lui donnent le premier rang parmi les miens, que je me ferois trop d'importants ennemis si j'en disois du mal: je ne le suis pas assez de moi-même pour chercher des défauts où ils n'en ont point voulu voir, et accuser le jugement qu'ils en ont fait, pour obscurcir la gloire qu'ils m'en ont donnée. Cette approbation si forte et si générale vient sans doute de ce que la vraisemblance s'y trouve si heureusement conservée aux endroits où la vérité lui manque, qu'il n'a jamais besoin de recourir au nécessaire. Rien n'y contredit l'histoire, bien que beaucoup de choses y soient ajoutées; rien n'y est violenté par les incommodités de la représentation, ni par l'unité de jour, ni par celle de lieu. Il est vrai qu'il s'y rencontre une duplicité de lieu particulier. La moitié de la piece se passe chez Émilie, et l'autre dans le cabinet d'Auguste. J'aurois été ridicule si j'avois prétendu que cet empereur délibérât avec Maxime et Cinna s'il quitteroit l'empire ou non, précisément dans la même place où ce dernier vient de rendre compte à Émilie de la conspiration qu'il a formée contre lui. C'est ce qui m'a fait rompre la liaison des scenes au quatrieme acte, |