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Et ce pays si beau, qu'ils ont trop possédé,
Avec un œil d'envie est toujours regardé.
C'est l'unique raison qui m'a fait dans Séville
Placer depuis dix ans le trône de Castille,

Pour les voir de plus près, et d'un ordre plus prompt
Renverser aussitôt ce qu'ils entreprendront.

D. ARIAS.

Sire, ils ont trop appris, aux dépens de leurs têtes, Combien votre présence assure vos conquêtes;

Vous n'avez rien à craindre.

D. FERNAND.

Et rien à négliger.

Le

trop

de confiance attire le danger;

Et le même ennemi que l'on vient de détruire,
S'il sait prendre son temps, est capable de nuire.
Toutefois j'aurois tort de jeter dans les cœurs,
L'avis étant mal sûr, de paniques terreurs;
L'effroi que produiroit cette alarme inutile,
Dans la nuit qui survient, troubleroit trop la ville.
Faites doubler la garde aux murs et sur le port;
C'est assez pour ce soir.

SCENE VIII.

D. FERNAND, D. SANCHE, D. ARIAS, D. ALONSE.

D. ALONSE.

Sire, le comte est mort.

Don Diegue par son fils a vengé son offense.

D. FERNAND.

Dès que j'ai su l'affront, j'ai prévu la vengeance,
Et j'ai voulu dès-lors prévenir ce malheur.

D. ALONSE.

Chimene à vos genoux apporte sa douleur;
Elle vient tout en pleurs vous demander justice.

D. FERNAND.

Bien qu'à ses déplaisirs mon ame compatisse,
Ce que le comte a fait semble avoir mérité
Ce juste châtiment de sa témérité.

Quelque juste pourtant que puisse être sa peine,
Je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.
Après un long service à mon état rendu,
Après son sang pour moi mille fois répandu,
À quelque sentiment que son orgueil m'oblige,
m'affoiblit, et son trépas m'afflige.

Sa perte

SCENE IX.

D. FERNAND, D. DIEGUE, CHIMENE, D. SANCHE, D. ARIAS, D. ALONSE.

CHIMENE.

Sire, Sire, justice!

D. DIEGUE.

Ah, Sire! écoutez-nous.

CHIMENE.

Je me jette à vos pieds.

D. DIEGUE.

J'embrasse vos genoux.

CHIMENE.

Je demande justice.

D. DIEGUE.

Entendez ma défense.

CHIMENE.

D'un jeune audacieux punissez l'insolence;
Il a de votre sceptre abattu le soutien,

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Pour la juste vengeance il n'est point de supplice.

D. FERNAND.

Levez-vous l'un et l'autre, et parlez à loisir.
Chimene, je prends part à votre déplaisir,
D'une égale douleur je sens mon ame atteinte.
Vous parlerez après, ne troublez pas sa plainte.

CHIMENE.

Sire, mon pere est mort; mes yeux ont vu son sang
Couler à gros bouillons de son généreux flanc;
Ce sang qui tant de fois garantit vos murailles,
Ce sang qui tant de fois vous gagna des batailles,
Ce sang qui tout sorti fume encor de courroux
De se voir répandu pour d'autres que pour vous,

Qu'au milieu des hasards n'osoit verser la guerre,
Rodrigue en votre cour vient d'en couvrir la terre.
Et, pour son coup d'essai, son indigne attentat
D'un si ferme soutien a privé votre état,
De vos meilleurs soldats abattu l'assurance,
Et de vos ennemis relevé l'espérance.

J'ai couru sur le lieu sans force et sans couleur,
Je l'ai trouvé sans vie. Excusez ma douleur,

Sire, la voix me manque à ce récit funeste;

Mes pleurs et mes soupirs vous diront mieux le reste.

D. FERNAND.

Prends courage, ma fille, et sache qu'aujourd'hui

Ton roi te veut servir de pere au lieu de lui.

Sire, de

CHIMENE.

trop d'honneur mà misere est suivie.
Je vous l'ai déja dit, je l'ai trouvé sans vie:
Son flanc étoit ouvert; et, pour mieux m'émouvoir,
Son sang sur la poussiere écrivoit mon devoir;
Ou plutôt sa valeur en cet état réduite

Me parloit par sa plaie, et hâtoit ma poursuite;
Et, pour se faire entendre au plus juste des rois,
Par cette triste bouche elle empruntoit ma voix.

Sire, ne souffrez pas que sous votre puissance
Regne devant vos yeux une felle licence,
Que les plus valeureux avec impunité
Soient exposés aux coups de la témérité,
Qu'un jeune audacieux triomphe de leur gloire,
Se baigne dans leur sang, et brave leur mémoire.

Un si vaillant guerrier qu'on vient de vous ravir
Éteint, s'il n'est vengé, l'ardeur de vous servir.
Enfin mon pere est mort, j'en demande vengeance,
Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance;
Vous perdez en la mort d'un homme de son rang;
Vengez-la par une autre, et le sang par le sang;
Immolez, non à moi, mais à votre couronne,
Mais à votre grandeur, mais à votre personne,
Immolez, dis-je, Sire, au bien de tout l'état
Tout ce qu'enorgueillit un si grand attentat.

D. FERNAND.

Don Diegue, répondez.

D. DIEGUE.

Qu'on est digne d'envie

Lorsqu'en perdant la force on perd aussi la vie ;
Et qu'un long âge apprête aux hommes généreux,
Au bout de leur carriere, un destin malheureux!
Moi, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire,
Moi, que jadis par-tout a suivi la victoire,

Je me vois aujourd'hui, pour avoir trop vécu,
Recevoir un affront, et demeurer vaincu.

Ce que

n'a pu jamais combat, siége, embuscade, Ce que n'a pu jamais Aragon, ni Grenade,

Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux,

Le comte en votre cour l'a fait presque à vos yeux, Jaloux de votre choix, et fier de l'avantage

Que lui donnoit sur moi l'impuissance de l'âge.

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