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Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père;
Je le ferois encor, si j'avois à le faire.

Ce n'est pas qu'en effet contre mon père et moi
Ma flamme assez long-temps n'ait combattu pour
Juge de son pouvoir: dans une telle offense
J'ai pu

toi;

douter encor si j'en prendrois vengeance:
Réduit à te déplaire, ou souffrir un affront,
J'ai retenu ma main, j'ai cru mon bras trop prompt;
Je me suis accusé de trop de violence;

Et ta beauté sans doute emportoit la balance,

Si je n'eusse opposé contre tous tes appas
Qu'un homme sans honneur ne te méritoit pas;
Qu'après m'avoir chéri quand je vivois sans blâme,
Qui m'aima généreux me haïroit infame;
Qu'écouter ton amour, obéir à sa voix,

C'étoit m'en rendre indigne, et diffamer ton choix.
Je te le dis encore, et veux, tant que j'expire,
Sans cesse le penser, et sans cesse le dire.

Je t'ai fait une offense, et j'ai dû m'y porter

Pour effacer ma honte et pour te mériter:

Mais, quitte envers l'honneur, et quitte envers mon pere, C'est maintenant à toi que je viens satisfaire;

C'est pour t'offrir mon sang qu'en ce lieu tu me vois.

J'ai fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois;

Je sais qu'un père mort t'arme contre mon crime,
Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime:

Immole avec courage au sang qu'il a perdu

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Celui qui met sa gloire à l'avoir répandu.

CHIMENE.

Ah, Rodrigue! il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne te puis blâmer d'avoir fui l'infamie;

Et, de quelque façon qu'éclatent mes douleurs,
Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs.
Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage,
Demandoit à l'ardeur d'un généreux courage:
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien;
Mais aussi, le faisant, tu m'as appris le mien.
Ta funeste valeur m'instruit par ta victoire:
Elle a vengé ton pere, et soutenu ta gloire;
Même soin me regarde; et j'ai, pour m'affliger,
Ma gloire à soutenir, et mon père à venger.
Hélas! ton intérêt ici me désespere:

Si quelque autre malheur m'avoit ravi mon pere,
Mon ame auroit trouvé dans le bien de te voir
Tout le soulagement qu'elle eût pu recevoir;
Et contre ma douleur j'aurois senti des charmes,
Quand une main si chère eût essuyé mes larmes.
Mais il me faut te perdre après l'avoir perdu;
Cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû;
Et cet affreux devoir, dont l'ordre m'assassine,
Me force à travailler moi-même à ta ruine.
Car enfin, n'attends pas de mon affection
De lâches sentiments pour ta punition.

De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne,
Ma générosité doit répondre à la tienne:

Tu t'es, en m'offensant, montré digne de moi;
Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi.

D. RODRIGUE.

Ne differe donc plus ce que l'honneur t'ordonne;
Il demande ma tête, et je te l'abandonne:

Fais-en un sacrifice à ce noble intérêt;

Le coup m'en sera doux aussi bien que l'arrêt.
Attendre après mon crime une lente justice,
C'est reculer ta gloire autant que mon supplice;
Je mourrai trop heureux mourant d'un coup si beau.

CHIMENE.

Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau.
Si tu m'offres ta tête, est-ce à moi de la prendre?
Je la dois attaquer; mais tu dois la défendre;
C'est d'un autre que toi qu'il me faut l'obtenir;
Et je dois te poursuivre, et non pas te punir.

D. RODRIGUE.

De quoi qu'en ma faveur notre amour t'entretienne,
Ta générosité doit répondre à la mienne;
Et pour venger un pere emprunter d'autres bras,
Ma Chimene, crois-moi, c'est n'y répondre pas.
Ma main seule du mien a su venger l'offense,
Ta main seule du tien doit prendre la vengeance.

CHIMENE.

Cruel, à quel propos sur ce point t'obstiner?
Tu t'es vengé sans aide, et tu m'en veux donner!
Je suivrai ton exemple; et j'ai trop de courage
Pour souffrir qu'avec toi ma gloire se partage.

Mon pere et mon honneur ne veulent rien devoir
Aux traits de ton amour, ni de ton désespoir.

D. RODRIGUE.

Rigoureux point d'honneur! Hélas! quoi que je fasse,
Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grace?
Au nom d'un pere mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié;
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir par ta main, qu'à vivre avec ta haine.

CHIMENE.

Va, je ne te hais point.

D. RODRIGUE.

Tu le dois.

CHIMENE.

Je ne puis.

D. RODRIGUE.

Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits?
Quand on saura mon crime et que ta flamme dure,
Que ne publieront point l'envie et l'imposture?
Force-les au silence, et, sans plus discourir,
Sauve ta renommée en me faisant mourir.

CHIMENE.

Elle éclate bien mieux en te laissant la vie;
Et je veux que la voix de la plus noire envie
Éleve au ciel ma gloire, et plaigne mes ennuis,
Sachant que je t'adore, et que je te poursuis.
Va-t'en, ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu'il faut que je perde, encore que je l'aime;

Dans l'ombre de la nuit cache bien ton départ.
Si l'on te voit sortir, mon honneur court hasard;
La seule occasion qu'aura la médisance,

C'est de savoir qu'ici j'ai souffert ta présence:
Ne lui donne point lieu d'attaquer ma vertu.

D. RODRIGUE.

Que je meure.

CHIMENE.

Va-t'en.

D. RODRIGUE.

À quoi te résous-tu?

CHIMENE.

Malgré des feux si beaux qui troublent ma colere
Je ferai mon possible à bien venger mon pere;
Mais, malgré la rigueur d'un si cruel devoir,
Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.

O miracle d'amour!

D. RODRIGUE.

CHIMENE.

O comble de miseres!

D. RODRIGUE.

Que de maux et de pleurs nous coûteront nos peres!

CHIMENE.

Rodrigue, qui l'eût cru!...

D. RODRIGUE.

Chimene, qui l'eût dit!...

CHIMENE.

Que notre heur fût si proche, et sitôt se perdît!...

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