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Mais mon frere plus cenfé que moi m'a « fait connoître par ce poëme auffi élegant « que chrétien , que jufqu'ici je me fuis « trompé, il m'avertit de laiffer Apollon & les Mufes, pour écrire fur des fujets « plus faints; parce que, comme le dit faint « Paulin, Apollon ne doit point avoir « d'entrée dans des cœurs confacrez à Je- «< fus-Chrift. Sed meus frater confultior hoc chriftiano nec minus latino carmine me defipuiffe hactenus monet ; & abjurato Apolline cum Mufis, ad fanétiora fcribendi argumenta invitat; non enim patent Apollini facrata Christo pectora, ait fan&tus Paulinus ad Aufonium.

Ille procul veterum figmenta incondita vatum,
Dîque Dexque facros nec violate modos
Reliquias veterum infames, hæc monftra
poëtæ,

Intempeftivis nec revocate jocis.

Il fait enfuite une abjuration folemnelle de toutes les fictions de la fable & de toutes les divinitez profanes. Il ne veut plus qu'il en paroiffe le moindre veftige dans fes vers. 11 detefte devant Dieu tous les poëmes où il les a mêlées ; & fouhaite que les marbres mêmes fur lef quels ils font gravez, fe brifent, afin qu'il a'en demeure rien à la pofterité.

Hacque fcripta tenus fine te data præda favillis,
Pervolitent meritis fcripta pianda Regis.
Marmora diffiliant vatem indignata profanum,
Vanus & à fera pofteritate legar.

XXIX.

Mais ce n'eft pas affez pour reparer tou res les profanations que l'on a fait de la poëfie en ne l'employant qu'à traiter des fujets feints & profanes, de ne la plus faire fervir qu'à la gloire de la verité & de la vertu; il faudroit encore bannir de chez elle tout cet attirail de mots, qui font les marques des flétriffures qu'elle a reçûës. Apollon & les neuf fœurs, le cheval volant & le facré vallon, Helicon & le Parnaffe, Aganipe & Hypocrene, & je ne fçai combien d'autres mots, dont eft compofé le jargon des poëtes Grecs & Latins, ne devroient point paroître dans nos vers. Ce ne font plus aujourd'hui que de grands fons vuides de fens & de raison, comme S. Evre le dit un bel efprit de ce temps. Cela fe fent encore trop du paganifme pour avoir bonne grace dans les vers des Chrétiens.

mont.

Il y a même dans cette imitation je ne fçai qu'elle baffeffe tout-à-fait indigne des poëtes, qui fe piquent de genie, de noblesLe & d'élevation. Le retour fi frequent de

ces fortes de mots caufe du dégoût dans la lecture de leurs vers; ils font croire que le genie eft petit & la veine fterile, d'où font fortis des vers compotez de toutes ces antiquailles.

M. de Santeüil le dit dans les vers que je viens de raporter & dans ceux-ci.

Ufque adeò lævis vos fabula pafcit inanes

Vos inopes rerum fabula ditat inops.

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Quand on lit ces vers de M. Defpreaux

Sur le haut Helicon leur veine méprisée
Fut toûjours des neuf fœurs la fable & la rifée,
Calliope jamais ne daigna leur parler,
Et Pegale pour eux refu fe de voler.

On a du regret de voir qu'un poëte de cette qualité, à qui il étoit fi facile de trouver une infinité d'autres expreffions grandes & nobles, pour marquer le mépris que font les hommes de bon goût, de ceux qui fe mêlent d'être poëtes fans avoir le genie de la poëfie, qui ont la temerité de traiter des fujets qui paffent leurs forces, fe foit fervi d'expreffions fi ufées, & n'ait point eû honte de s'exprimer dans ce ftile de college.

Qu'il y auroit de chofes à dire à ce furjet fur les poëfies de M. de la Motte! Il a

joint à fes Odes où il invoque fi fouvent Apollon & les Mufes, & qui font prefque toutes compofées dans un ftile tout payen, un Poëme fures Apôtres, où il invoque l'Efp it faint qui les anima dans la publication de l'Evangile. Quel raport de la fin avec le corps de l'ouvrage? Le Prophere reprochoit à Achab & à fon peuple qu'ils clochoient des deux côtez, en voulant fervir en même temps Dieu & Baal. 3. Reg. Si le Seigneur eft Dien (leur dit-il ) fui12. 21. vez-le; mais fi c'eft Baal qui eft Dieu, fuivez Baal, & laiffez le Seigneur. Si les Dieux des payens ont veritablement formé le genie de M. de la Motte, fi c'eft eux qui lui infpirent le feu qui lui fait produire fes vers; qu'il ne reconnoiffe point d'autre Dieu, & qu'il les invoque toûjours; mais s'il eft vrai qu'il ne doive qu'au Dieu qui a fait le ciel & la terre, fon esprit f&rous fes talens; qu'il ne s'adreffe point à d'autres & qu'il n'invoque que lui; qu'il renonce aux Dieux des Gentils, qui font des demons.

Si les poëtes Grecs ont voulu celebrer les monts & les vallons, les fleuves & les fontaines, tous les lieux enfin où ils com pofoient leurs poëmes, & dont ils croïoient ou feignoient de croire, que les divinitez leur infpiroient le feu qui échauffoit leur

efprit; s'ils fe font propofé en cela d'imiter les poëtes facrez qui ont confervé la memoire des lieux où Dieu avoit operé fes plus grandes merveilles, pour faire éclater la protection qu'il donnoit à fon peuple, & où il avoit fait fentir fa prefence aux Patriarches & aux Prophetes ; qu'eftce que cela fait pour nos poëtes? Ils doivent laiffer aux Grecs ce qui ne peut convenir qu'aux Grecs. Et ils ont moins de raifon de mettre à tout moment dans leurs vers le Parnaffe & le Pinde, qu'il n'y en auroit d'y mettre Vaugirard & Montmarfi nos poëtes avoient fait à ces lieux let même honneur, que les Grecs ont fait à ceux dont on vient de parler.

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Mais les poëtes Latins ont imité les Grecs, ils n'ont point fait de vers, où ils n'ayent coufû quelques-uns de ces noms. Hé bien files Latins ne fe font point piqué de quelque chofe de plus grand, que d'une baffe imitation de la poëfie Grecque ; & s'ils ont voulu emprunter les termes & les expreffions même des Grecs, comme ils en ont pris leurs loix & leurs coûtumes; nous autres François & Chrétiens devonsnous les fuivre comme des vils efclaves? ne devons-nous pas au contraire nous pique d'écrire avec une parfaite liberté, foit pour le ftile, foit pour les fujets ? devons

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