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XIV.

Si les hommes étoient de purs efprits qui fe communiquaffent leurs penfées fans le fecours des fons qui frapent l'oreille; j'aurois marqué tout ce qui fait le bon goût. Mais comme ils ne s'inftruifent les uns les autres que par le moyen de la parole, & que c'eft à l'oreille & à l'imagination en partie à juger de l'ordre & de la cadence des mots & des expreffions; l'imagination doit neceffairement entrer dans l'accord de l'efprit & de la raison. C'eft-à-dire que l'imagination doit avoir une exacte proportion avec l'un & l'autre ; en forte qu'elle les fuive & leur fuffife toûjours, pour donner aux chofes le degré de beauté & de grandeur qu'elles demandent. Car une imagination ou trop forte pour obéir à la railon, ou trop foible pour la fervir, ne fournit pas les termes, les expreffions, ni les figures propres pour faire apercevoir aux autres les objets tels que l'efprit les voit, ni pour exciter les mêmes mouvemens & les mêmes affections que le cœur fent pour ces ob. jets. Elle les reprefente ou trop grands, ou trop petits, ou trop, ou trop peu aimables.

Il est étonnant que quelques Philofophes de ce temps ayent pretendu que pour

inftruire, on devoir parler fimplement à l'efprit, & qu'on ne devoit ufer d'aucufe figure, pour faire entrer l'imagination dans les interêts de la verité. C'eft un des défauts de leur philofophie, de vouloir, qu'on traite avec l'homme, comme fi fon corps ne faifoit pas partie de fon être. Il eft certain, fuivant les oracles de la verité, que l'homme eft un compofé de deux parties effentielles, qui font fon efprit & fon corps, par confequent ce n'eft pas affez pour le toucher de parler à fon efprit par les lumieres de la verité; il faut encore émouvoir & échauffer fon imagination par la beauté, la grandeur & la force des figures. Dieu qui connoît mieux l'homme que ces Philofophes, nous en donne l'exemple par tout dans fes Ecritures. Il eft vrai que la verité fait le fonds du fublime, mais la nobleffe & la magnificence des figures, cft neccffaire pour enlever l'homme, & lui faire concevoir pour la verité tout l'amour qu'elle merite.

Il eft certain que rien n'eft plus faux, qu'un difcours qui ne fait du bruit qu'à l'imagination; mais auffi rien n'eft plus froid, qu'un difcours qui ne parle qu'à l'efprit. Saint Paul difoit que, comme nous avions fait fervir les membres de nôtre corps à l'iniquité pour notre condamnation, nous

devions auffi les faire fervir à la justice pour notre fanctification. Nous pouvons dire la même chofe de l'imagination; c'est par elle que l'amour de la creature s'introduit dans nôtre ame, c'est donc auffi par elle que nous devons travailler à y faire entrer l'amour de Dieu & de fa verité. Ainfi pour bien parler, il faut parler tout enfemble à l'efprit & à l'imagination; à l'efprit par la lumiere de la verité; à l'imagination par la force de l'expreffion. Le Cherubin qui gardoit l'entrée du Paradis terreftre, faifoit flamboyer fon épée; l'épée c'eft la verité, la flamme c'eft l'éclat, que lui donne la maniere dont elle eft exprimée. Voila ce qui fait la veritable éloquence, qui doit inftruire, perfuader & toucher. C'est donc une neceffité que l'imagination entre dans le concert de l'efprit & de la raifon, afin de former le bon goût également neceffaire pour bien compofer & pour bien juger. Et on peut affeurer que c'eft du défaut de ce concert que naiffent toutes ces mauvaises pieces de profe & de

vers.

XV.

Cette idée du bon goût doit paroître d'autant plus vraye, qu'elle ne qu'elle ne fçauroit

changer. Il eft certain que le goût de la

langue eft fujet au changement; que non feulment il eft different dans les hommes de divers temps & de divers climats, mais encore dans les mêmes hommes felon les dont elle eft l'or

âges, parce que le corps

gane, charge lui même, & doit enfin fe détruire. Mais le goût de l'efprit doit être immuable, comme l'efprit qui eft immortel, comme la verité qui demeuré éternellement. Er s'il eft vrai que le goût ait beaucoup changé depuis un fiecle, comme le remarquent les Sçavans (& il changera bien encore) c'cft que le goût de nos peres n'étoit pas bon. Ils ne fe l'étoient pas formé fur des modelles affez parfaits, ni par des lectures qui ne les puffent tromper. C'eft que ne s'étant pas affez fervi de leur raifon & de leurs lumieres, pour difcerner dans les anciens ce qui étoit imitable d'avec ce qui ne l'étoit pas; les uns font tombez dans les fautes des anciens; & les autres ont admirez tout ce qui reffembloit aux anciens. Pourroit-on fouffrir aujourd'hui une Preface, ou une Epître dédicatoire du ftile dont on les compofoit, il y a cent, ou fix vingt ans ? Pourroit-on entendre fans s'ennuyer beaucoup, les fermons qui faifoient alors l'admiration de tout le monde? Confeilleroit-on à prefent à un Prêtre du Seigneur, de lire les poëtes

&les Romans pour se rendre capable du miniftere de la parole?

Saint Evremont a eû honte dans fa vieilleffe des éloges qu'il avoit fait de Petrone. Il a reconnu que c'étoit le feu des paffions de la jeuneffe, qui lui avoit fait admirer les peintures de cet Auteur. Je me declare (dit-il) franchement contre moi-même

par

le défaveu des louanges que j'ay données à Petrone. L'orgueil même s'offenfe des manieres trop libres, des débauches & du libertinage de fon ftile. Et quand l'orgueil fe tairoit, la vertu ne fe tairoit pas. Elle n'a pas encore tellement abandonné le gen re humain, qu'elle ne lui ait laiffé beaucoup d'amour & d'admiration pour elle.

Le goût de faint Evremont étoit donc devenu meilleur avec l'âge, ou pour mieux dire, moins mauvais; car s'il eût êté abolument bon, non feulement il auroit blame le libertinage du ftile de Petrone, mais il auroit condamné encore plus celui des chofes, que cer Auteur décrit. Quand la vertu fera admirée & autant aimée qu'elle le doit être; on ne pourra plus fouffrir l'obfcenité des paroles, & encore moins celle des chofes. On fera même d'autant plus choqué de celle que l'on couvre de la mo deftie des paroles, qu'elle réveille la débauche dans les efprits fous des images, Gy

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