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qui n'en donnent pas toute l'averfion, que les honnêtes gens en doivent avoir. Et les Sçavans qui travaillent à nous apprendre à bien parler, doivent prendre garde à ne pas citer pour exemple des expreffions qui peuvent corrompre le cœur, puifqu'ils fçavent bien qu'il eft infiniment plus neceffaire de conferver la pureté du cœur, que d'acquerir celle du langage.

XVI.

S'il est donc arrivé du changement dans le goût de nos peres; c'eft qu'il n'étoit pas fondé fur des principes folides & immuables. Mais celui qui naît de l'accord de l'efprit & de la raison, ne sçauroienon plus éprouver de changement que la raifon même, qui eft un rayon de la lumiere de Dieu, qui éclaire tous les hommes. C'est pourquoi avec ce goûr on eft capable de juger fainement des ouvrages de rous les temps de tous les paï; & on ne fçaureit tomber dans certe variation, d'approuver dans un temps & dans un païs, ce qu'on auroit condamné dans un autre temps & dans un autre païs.

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Les admirateurs perpetuels des anciens qui s'efforcent de juft fier leurs fautes, nous alleguent que c'éroit la mode de ce temps-là, les mœurs de ces peuples, leurs

manieres & leur goût. Mais fi la raifon ne fçauroit aprouver aujourd'hui ces mœurs & ces manieres, elles n'étoient donc pas bonnes & les nôtres font donc meilleures, leur goût étoit donc mauvais, puifque la raifon le condamne. C'eft fur ces principes qu'il faut juger des compofitions des anciens, & de celles de nôtre temps, fi on veut juger feurement. Et fans des principes de cette nature. chacun en penfera ce qu'il voudra, & donnera aux uns, ou aux autres la preference comme bon lui femblera.

M. de Segrais dit que ceux, qui ven- Preface lent foûmettre les mœurs & les opinions des fur Kirsa fecles paffez, an goût, aux mœurs, & aux fentimens du nôtre, n'en jugent pas mieux, que ceux qui reprendroient Marot, ou quelque vieil Auteur François, de ne point parler, comme on parle aujourd'hui. Il eft vrai, qu'il ne faut pas juger des mœurs des anciens par les nôtres; mais juger des unes & des autres par la raifon & par les lumieres de la verité qui ne change point. Et ce n'eft pas bien connoître ce que c'eft que des mœurs, que de les comparer au langage. Les langues changent continuellement; & il eft indifferent pour le bien de la focieté civile, & pour l'iatelligence de la verité quel langage on par

le. Mais la nature & la raifon étant le fondement des mœurs, elles ne fçauroient fouffrir de changement. Ainfi les mœurs qui font les plus conformes à la raison, & qui conviennent le mieux à la nature, doivent être preferées aux autres. Autrement il n'y auroit aucune difference entre les peuples les plus polis & les plus barba

res.

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M. Dacier dans fes Notes fur la Poëtique d'Ariftote, parle d'une maniere qui confirme ce fentirent. Il dit que le bon & le beau eft ce qui plaît à la nature, & que ce qui plaît ou déplaît par raifon, doit toû jours plaire ou déplaire, parce que ni la nature, ni la raifon ne fçauroient changer. Mais aprés avoir ainfi parlé, il ne devoit pas entreprendre de juftifier Homere par les coûtumes des anciens, ni nous dire comme il fait dans ce même livre, qu'il fant fe tranfporter au temps des anciens pour juger fainement de leurs ouvrages, parce que s'il y a des défauts, ce font des défauts qui viennent des temps, des mœurs &des coûtumes, & que par confequent on ne doit pas attribuer aux Auteurs. N'eftee pas fe contredire visiblement? S'il demeure d'accord de ces défauts; qu'impor te d'où ils viennent, ils font to jours dans ces Auteurs; ces Auteurs n'ont donc pas

toutes les perfections qu'on s'efforce d'y faire trouver. Et fi ce font des défauts des temps & des mœurs, nos temps font donc plus fçavans & nos meurs plus polies, puifque nous fentons & connoiffons ces défauts. En un mot nous avons l'efprit plus jufte & le goût meilleur que ces anciens ; puifqu'il eft plus conforme à la nature & à la raifon.

Ces anciens mêmes ne pourroient com prendre qu'on tâchâr de les juftifier par de fi mauvaises raifons; ils croiroient qu'il y auroit plus de bonne foi & de fincerité à ne pas défendre des défauts, que condamnent & la nature & la raifon. Ciceron dit, que la bienfeance eft ce qui convient à l'homme, en ce qui le diftingue de la bête, c'est àdire, en tant qu'il eft raisonnable, il ajoûte dans un autre lieu, que la raifon étant commune à tous les hommes, la droite rasfon le doit être de même. Il n'y a donc point d'homme de quelque temps & do quelque païs qu'il puiffe être, qui doive refufer de foûmettre fes ouvrages au tribunal de cette raifon.

Peut-être (dir M. de faint Evremont en parlant de la fable) que l'on fera passer tant d'extravagances pour des fictions, qui rombent dans les droits de la poëfie? Mais quel art & quelle fcience peut avoir un droit

Difcours

pour l'exclufion du bon fens? Le caractere du Poëme aura-t'il la force de rectifier celui fur les de l'impieté & de la folie. Mais je ne crois des An. pas qu'on donne tant de pouvoir à la force siens. fecrete d'aucun charme. Ce qui eft mechant,

poëmes

eft mechant par tout; ce qui eft extravagant, n'eft fenfé nulle part. La reputa tion du Poëte ne rectifie rien non plus quele caractere du Poëme; l'Auteur le plus celebre ne sçauroit rendre bon ce qui eft effectivement mauvais. Enfin ( diç il encore dans un autre endroit ) tout est changé aujourd'hui, les Dieux, la politique, les mœurs, le goût, les manieres; tant de changemens n'en produiront-ils point dans nos ouvrages ?

· XVII.

Mais s'il eft vrai que le bon goût ne fe trouve que dans les perfonnes dont l'efprit & l'imagination font dans un parfait accord avec la raison; quel eft l'homme qui poffede veritablement le bon goût, dont l'efprit fuit toûjours les lumieres de la raifon, & dont l'imagination eft une servante fidele de l'un & de l'autre Il eft cerrain que certe harmonie parfaite n'a pû fe rencontrer que dans Adam avant fon peché; & que ceux de fes enfans qui ont le goût le meilleur, font proprement ceux qui

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