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Jofeph nous parle mêmed'un plus grand nombre de cantiques, que nous n'en trouvons dans l'Ecriture; & il paroît par fon hiftoire qu'auffi-tôt que le peuple de Dieu avoit receu quelque bienfait de fon Seigneur, fa reconnoiffance & la joye éclatoient en des chants d'allegreffe.

Nous trouvons dans la Genefe une preuve certaine qu'il y a des cantiques où des poëmes avant Moïfe. Laban reprochant à Jacob de s'être enfui fecretement de fa maifon, luy dir que s'il l'avoit averti de fa retraite, il l'auroit conduit avec toutes les marques d'une parfaite amitié, avec des canriques & toutes fortes d'inftrumens d. mufique, cum gaudio & canticis & tympanis & citharis. C'est donc avec fondement que je dis que Moïfe s'eft formé fur ceux, qui l'avoient precedé, pour écrire du ftile dont il a écrit.

I V.

Mais je veux bien abandonner ces conjectures, toutes raifonnables & bien fondées qu'elles paroiffent, pour me tenir à des faits certains & inconteftables; c'eftà dire aux livres qui nous reftent, aux cantiques de Moïfe, à ceux qui fe trouvent dans les livres des Juges & des Rois; enfin aux Pleaumes de David. Tous les Sça

vans conviennent, que ces ouvrages font écrits d'un ftile mefuré. Mr. Ferrand le fait voir dans la preface de fa Paraphrafe fur les Pleaumes, où il prouve que Scaliger tout docte qu'il étoit, avoit fans raifon entrepris de refuter S. Jerôme & Eusebe fur ce fujet ; & qu'il ne connoiffoit pas bien la langue hebraïque ni les autres, quand il dit qu'elles ne pouvoient pas s'accommoder à la mefure des vers.

En effet il est manifeste qu'il n'y a point de langue, dont on ne puiffe compofer des vers, de quelque maniere que le mefurent ces vers, foit par les longues & les breves, foit par le nombre des Syllabes. Autrement il faudroit foûtenir que les Hebreux, les Arabes & les autres, de la langue defquels parle Scaliger, avoient les organes de la voix & de l'oiiie fabriquez d'une autre maniere que le refte des hommes ; qu'ils parloient fans aucune élevation ou abaissement de voix, c'est-à-dire fans aucune mefure, & que leur oreille étoit infenfible au nombre & à l'harmonie ; en un mot que ces peuples n'ont jamais chanté. Cela ne fe peut dire avec la moindre apparence de raifon. Or fi ces peuples prononçoient avec une certaine cadence, s'ils goûtoient l'harmonie & avoient des chanfons en leur langue comme tous les autres peuples,leurs

langues étoient fans difficulté auffi propres à la verfification que celles de tous les au-tres peuples.

Mais enfin, eft-ce que nous oferions aujourd'huy nous vanter de fçavoir mieux prononcer l'Hebreu que S. Jerôme, qui a eu dans cette langue tant de differens maîtres & tous Juifs; qui a demeuré fi longtemps dans le païs, où on la parloit vulgairement, ou au moins une langue fort approchante; pour affeurer qu'elle n'eft pas capable d'un ftile mesuré ? C'eft donc fans raison que Scaliger avoit entrepris de refuter S. Jerôme & Eufebe fur la Poefie des Hebreux; puifqu'ils fçavoient mieux les langues orientales que luy, & qu'ils s'appuyoient même fur l'autorité des auteurs Juifs, de Jofeph & de Philon.

Ainfi le fentiment des Sçavans, qui foûtiennent qu'il y a plufieurs poëmes dans T'écriture, eft fans difficulté le mieux fondé. Or tous ces poëmes precedent de beaucoup d'années les premiers poëmes des Grecs, puifqu'entre les divers fentimens fur les temps dans lefquels ont vécu Homere & Hefiode, il n'y en a point, qui ne les faffe pofterieurs à David. Ceux qui donnent le plus d'antiquité à Homere comme Riccioli, veulent qu'il ait eu enviStrom, a. ron dix ans lorfque David mourut;& ceux

qui le font plus moderne,comme Clement Alexandrin le mettent du temps de Numa Pompilius, c'eft à dire environ 300.ans aprés David. Les autres le placent entre ces deux temps, plus haut ou plus bas, selon qu'il leur plaît.

On n'eft pas plus affuré du temps auquel a vécu Hefiode. Les uns le font contemporain d'Homere, les autres le croïent plus ancien, les autres plus moderne; Ciceron veut qu'il ait vécu plufieurs fiecles depuis. Aulugelle dit qu'il est égalment incertain & dans quel temps l'un & l'autre a vécu, & lequel eft le plus ancien. Il affeure feulement qu'ils ont vécu quelque temps enfemble; mais il eft toûjours conftant de l'un & de l'autre, qu'ils n'ont écrit que long-temps aprés les premiers poemes des Hebreux, & même aprés les Pfeaumes de David.

On n'a pas une connoiffance plus certaine de la patrie d'Homere ni de fa famille. Lucien dans la loüange de Demofthene, dit qu'on ne fçait ni ce qu'il étoit, ni ce qu'il faifoit, ni fon païs, ni le temps auquel il a vécu. Aulugelle en parle de de même, & Ciceron dans fon Oraifon pour le poëte Archias dit, que plufieurs nations vouloient qu'ils fût né chez elles; Clement Alexandrin le fait Egyptien. Bien plus, il y en a, qui onc

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foûtenu qu'Homere ne fut jamais, & que c'eft un nom qu'on a donné à une raplodie ou ramas de plufieurs pieces de poëfie qui ont été ajustées enfemble par des auteurs affez recens. Voila ce qu'on fçait des deux premiers auteurs de la poëfie des Grecs & de leur mythologie.

Il eft donc conftant qu'il y a eu des poëmes long-temps avant les premiers auteurs de la fable; & non-feulement il eft conftant, mais le fait eft fi évident, qu'il faudroit fe declarer contre la raison pour le conrefter. Or s'il eft certain que la poëfte étoit avant la fable, il le doit être de même que la fable ne fçauroit être de l'effence de la poëfie, puifque la poëfie avoit tout ce qui luy appartient avant la naiffance de la fable.

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Pourra-t-on me dire que ni Homere ni H.fiode ne font pas les plus anciens poëtes, qui ayent écrir parmy les Payens, que Linus, Mufée, Orphée, & Bachus ont vécu long-temps avant eux; & avoient écrit beaucoup de chofes en vers, dont peut-être il nous refte encore quelques fragmens. Si on nous fair cette objection, on voudra nous faire prendre des contes pour des hiftoires veritables. Car il eft fort in

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