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empêche l'effor, & en éteint le feu; & dans cet état il a peine à produire quelque chofe qui furpaffe la mediocrité. C'eft que trop envieux des richeffes des payens, ils ne penfent qu'à les leur enlever, fans fe mettre en peine de faire valoir leur propre bien, en comparaison duquel tour celui des payens n'eft qu'une veritable pauvreté.

De bonne foi que deviendroient tant d'ouvrages modernes (je parle de ceux qui ne connoiffent rien de parfait que les profanes) fi on leur ôtoit tout ce qu'ils ont pris chez eux ? Que feroit-ce que la plûpart des pieces de vers, fi on les dépouilloit des haillons de la fable, des idées des poëtes Grecs & Latins ; ce feroit des fquelettes hideux? Ils n'auroient rien que de dégoûtant & de méprifable.

II.

Entrons en matiere. Madame Dacier nous aprend qu'Ariftophane ayant été appellé devant les Juges pour foûtenir fon droit de bourgeoifie, qui lui étoit contefté, il ne répondit que ces paroles pour fa défense: Ma mere m'a toûjours dit que j'étois fils de Philippes; pour moi je n'en fçai rien, car il n'y a perfonne qui foit affeuré de connoître fon pere. Elle admire cette réponfe, & d'autant plus que ce font ( dit-elle)

deux vers que Telemaque dit dans l'Odyffée.

A la verité une pareille réponfe put d'abord exciter à rite ceux qui l'entendirent, parce que fans doute ils ne s'y atendoient pas, & que la furprise eft la caufe du ris. Mais on ne fçauroit y faire tant foit peu de reflexion, qu'on ne la regarde comme la marque du mauvais caractere de l'efprit d'Ariftophane. Si la raillerie eft quelquefois un témoignage d'urbanité & de politeffe, quand elle eft faite à propos & fans bleffer perfonne; elle eft au contraire la preuve d'un efprit mal fait, infolent & audacieux, quand elle eft faite dans des lieux & en prefence de perfonnes à qui on doit du refpect, & lorfqu'il s'agit de chofes graves & ferieufes. Ce font les gens de ce caractere que le Sage apelle des mocqueurs qui fe mettent au-deffus des regles & des loix, & qu'il ne veut pas qu'on entreprenne de corriger par des avis charitables, parce que ce feroit perdre fon temps, & s'expofer à la confusion.

Telle est la raillerie qui a tant plû à Madame Dacier. Ariftophane y offenfoit toutes les meres, il outrageoit la fienne propre, il bleffoit la majefté des Juges, enfin il marquoit un fouverain mépris pour les Atheniens; puifque ne fe mettant pas en peine de fe défendre devant fes Juges,

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il témoignoit ne fe pas foucier du jugement qu'ils pouvoient porter de fon état, ni du droit de bourgeoific dont les Atheniens faifoient tant de cas.

Ce difcours mocqueur ne peut donc plaire qu'à ceux qui aiment à voir attaquer la reputation d'autrui, qui méprifent ce que les hommes doivent le plus refpecter & eftimer. Si un pareil difcours eft capable de faire rire d'abord, les perfonnes de bon goût paffent auffi-tôt du ris à l'indignation pour l'arrogance d'un homme qui fait une fi infolente raillerie dans un temps & dans un lieu où il auroit dû être dans la crainte & dans la perplexité. Il auroit merité pour fon infolence, que fes Juges l'euffent privé de fondroit & chaffé d'Athe nes,comme un homme pernicieux à la focieté civile, ainfi que l'experience le fit voir; puifque par fa malignité il fit perir le meil leur des Atheniens, & qu'il expofoit continuellement l'autorité des Magistrats à la fureur de la populace. C'eft ce qui lui feroit arrivé à Rome au temps de la severité de fa difcipline, où un homme ne pouvoit manquer de refpect aux Magiftrats en la moindre chofe fans être noté. On ne sçaic que trop combien les hommes de ce caratere caufent de maux dans les Etats, furtout dans les Republiques.

III.

C'est par le même effet de ce mauvais goût que cette Sçavante veut, que les gens de bon goût foient charmez de la foupleffe de l'efprit de ce Poete, qui lui rendoit fi facile l'art de tourner en ridicule les chofes mêmes les plus parfaites & les plus excel lentes. On fçait bien que le grand fond du ridicule & du plaifant, fe tire des chofes les plus faintes & les plus dignes de refpect, & qu'il n'y a qu'à les representer fous des images baffes & méprifables pour exciter le ris. Mais fi ces images forcent quelquefois les fages de rire, la pitié, l'indignation & le zéle ne manquent pas de fuivre de prés ce ris forcé, & bien loin d'être charmez de cet art pretendu de tourner en ridicule, ce qu'on ne devroit regarder qu'avec veneration ou frayeur; ils le déteftent & le regardent comme un des plus dangereux artifices, dont l'efprit de malice fe fert pour rendre méprifables les plus grandes vertus, & nous faire avoir une efpece de honte de ce qui doit faire toute nôtre gloire. Cet artifice n'estil pas celui de tous les impies & de tous les hommes fans joug & fans difcipline? En un mot fi un efprit qui eft parfaitement d'accord avec la raison n'eft veritablement charmé

charmé que de la verité & de la vertu ; il ne fçauroit fentir que du dégoût & de l'averfion pour un art dont le bur eft de les dépouiller de toutes les beautez, qui les peuvent faire aimer & refpecter.

Ce n'eft donc pas avoir le goût bon; c'eft au contraire l'avoir trés-mauvais, que de fe plaire dans ce ridicule, & fi l'efprit railleur eft un mauvais caractere, aimer la raillerie n'en eft pas un meilleur. Ni l'un ni l'autre de ces perfonnages ne fçauroit être innocent, quand il s'agit de chofes graves & importantes, non plus que le médifant & celui qui l'écoute.

Enfin ni la fatyre, ni la comedie qui roulent fur ce ridicule, n'ont jamais eu que de funeftes effets. Elles n'ont regné à Athenes & à Rome, que depuis que ces deux villes ont commercé à fe coriompre par le luxe, & par tous les vices qui en font les fuites. Il n'y eut plus ni ordre, ni discipline dans ces deux villes, plus de probité, ni d'innocence dans les mœurs des citoyens, depuis que les poëtes le mêlerent d'en être les reformateurs, par cer art de transformer les chofes à leur fantaisie. Cet art ne peut donc plaire qu'aux personnes d'un goût dépravé.

I

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