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IV.

Me. Dacier s'efforce de nous faire croíre que les comedies d'Ariftophane fervoient à rendre les hommes meilleurs, & à maintenir la liberté. Mais il faudroit être bien credule & bien ignorant fur l'état des chofes du monde, pour fe perfuader que les Comediens fuffent le foûtien du bon ordre de la focieté civile & les protecteurs des loix. Car c'eft de cet ordre, c'eft de l'exacte observation des loix , que dépendent & l'integrité des mœurs, & la liberté publique. Comment s'imaginer que les comedies d'un Poëte, qui a l'audace d'attaquer & de faire jouer fur le theatre les premiers Magiftrats & les plus gens de bien, comme a fait Ariftophane, foient capables de rendre les hommes meilleurs?

Mais ce qui eft merveilleux, c'eft que ce qu'elle allegue pour le prouver, prouve en effet tout le contraire. Elle dit que De nis le Tyran ayant envie de fçavoir de Pla ton, quel étoit le vrai état de la Republique d'Athenes, Platon le renvoye aux comedies d'Ariftophane. Elle conclud de


que Platon vouloit faire entendre à ce
Tyran que tout étoit bien reglé, & que
la vertu y étoit honorée, puifque l'on
s'y plaifoit à la representation de ces co-

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medies. Mais il me femble qu'on doit conclure tout le contraire de la réponse de Platon, & que ce Philofophe vouloit faire comprendre par cette réponse le mauvais ordre de la Republique, & le peu de police qui s'obfervoit dans Athenes.

Ce que je dis, fe prouve premierement par les paffages de Platon que j'ay raporté ailleurs, & qui font voir quels étoient fes fentimens fur le fujet de la comedie & des Poëtes. Car il faudroit avoir bien mauvaife opinion du jugement de ce Philofophe, pour croite qu'il eût allegué les comedies d'Ariftophane les plus capables de toutes, de corrompre les mœurs, comme une preu ve du bon état de la Republique d'Athenes; lui qui dit en tant d'endroits, que bonheur de la focieté dépend de la vertu & de l'innocence des citoyens, & qui veut que l'on chaffe les Poëtes comme les corrupteurs de la probité & des bonnes

mœurs.

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20. Les excés où les comedies d'Ariftophane porterent le peuple d'Athenes contre les Magiftrats & contre l'Oracle, font une preuve de tout ce que Platon a dit des mauvais effets de la comedie, & font voir qu'elle ne peut être que l'école des vices, de la licence & de la fedition. Er fi cette Apologifte d'Ariftophane avoir été bien

confeillée, ou elle n'auroit pas fait fonner fi haut les effets merveilleux des pieces de ce Poëte, ou bien elle auroit difsimulé ces faits. O Dieu ! quelle face de gouvernement, quel ordre, quelle juftice, où les Magiftrats & les meilleurs citoyens font fans ceffe expofez à la fureur d'une canaille irritée par les vers mordans d'un Poëte fatyrique ?

Ciceron dans fes Livres de la Republi que, dont faint Auguftin nous a raporté des fragmens qui nous font regreter la perte d'un fi excellent ouvrage, veut que ce foit au Magiftrat feul à reprendre & à punir les mechans, & au Cenfeur public à les norer, non pas à un Poëte paffionné & à une populace ignorante. Il montre quel préjudice une autre conduite peut aporter à un Etat par l'exemple de Pericles, qui aprés tant de fervices rendus, avoit été attaqué par un Poëte. Qu'est-ce que ç'auroit été à Rome, fi Scipion, Ca. ton & les meilleurs citoyens l'avoient été de même par les Poëtes Latins? Ciceron a donc raifon de parler ainfi. Tous les Etats bien policez ont également défendu les fatyres & les libelles diffamatoires. Aprés cela on nous viendra dire, qu'Ariftophane rendoit les citoyens meilleurs, & plus redoutables à leurs ennemis. Qu'on nous

perfuade auparavant, que c'eft par le vice que les hommes deviennent meilleurs, & que les Etats deviennent plus puiffans & plus heureux par la fedition.

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Mais enfin fi M. Dacier demande quelque autorité, pour croire que le fens que je donne à la réponse de Platon, foit le veritable; je lui alleguerai un Juge qu'elle ne fçauroit recufer, c'eft M. fon illuftre époux, qui dit dans la vie de Platon, que du temps de ce Philofophe & de Socrate, les loix étoient foulées aux pieds; qu'il n'y avoit ni ordre, ni difcipline; & que toute l'autorité fe trouvoit entre les mains du peuple, toûjours plus redoutable que tous les Tyrans.

V.

Le difcours qu'Ariftophane fait à fa propre loüange dans un choeur d'une de fes comedies, eft encore un des fondemens fur lefquels s'apuye Me. Dacier, pour faire de fi grands éloges de ce Poëte. Elle reprend même un Auteur Italien, de n'avoir pas pris comme elle dans les écrits de ce grand homme, les particularitez de fa vie. Mais peu de gens (dit-elle) fe piquent de cette exactitude, qu'elle eftime beaucoup plus que les autres qualitez d'un Hiftorien. Or ces écrits ce font les comedies de ce Poëte; car

Tufini.s.

s'il a écrit autre chofe, il n'eft pas venu jufqu'à nous. Comme fi dans la comedie, on débitoit la verité toute pure, & que les Poëtes fuffent des gens d'un caractere à devoir être crûs fur tout ce qu'ils difent à leur avantage. Ciceron n'étoit pas du fen. timentde M. Dacier, lui qui dit, que c'est la coûtume des Poètes de fe croire meilleurs que tous les autres,& de fe préferer à tout

le monde.

Voici donc comment Ariftophane parle de lui-même dans une de fes comedies. La gloire de ce Poëte & la reputation de fon courage, vont deja fi loin, que le grand Roi (c'eft le Roi de Perfe) inte rageant un jour les Ambaffadeurs des Lacedemoniens, teur demenda premierement : quels peuples de Grece étoient les plus forts fur la mer, & enfuite ceux fur ce qui ce Poëte s'acharnoit le plus dons jes comedies. Car (ajoûte ce Roi) ce font fes confeils qui rendent les hommes meilleurs, & qui les font triompher de leurs ennemis,

Au jugement de M. Dacier, nous devons croire que le grand Roi a parlé ainfi d'Ariftophane, parce qu' Ariftophane luimême le dit. Les perfonnes d'un autre goût ne pourroient - elles point penfer, qu'un pareil difcours ne merite guére plus de croyance, que ceux d'un Capitaine Ma

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