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ge que pour étendre la parole dans les lieux & dans les tems fans doute que l'on devoit d'abord écrire avec la même fimplicité avec laquelle on parloit, & que le ftile qui demande de l'artifice & du travail ne devoit être employé qu'aprés l'autre. Il faut fçavoir marcher avant que de vouloir danser. C'est ce qui a fait douter à quelques-uns & avec raison, que les vers fuffent plus anciens que la profe; mais enfin la verité du fait eft conftante parmi les Grecs. Strabon dit que Cadmus, Pherecides & Hecatée ont écrit en vers, avant qu'on cût rien écrit en profe, & que le mot de chanter fignifioit autrefois la même chofe que dire, parce que les premieres compofitions de l'efprit furent les vers.

Voffius avoue cette antiquité des vers, quoiqu'il ait femblé la contester: Quamquam verò non magnopere repugnem quo- Lib. I minus libri carmine prius quam prosâ fcripti fuerint apud Græcos. Et on ne fçauroit rendre d'autres bonnes raifons de ce renversement de l'ordre naturel, que la connoiffance des Poëmes des Hebreux qui ont déterminé les Grecs à écrire premierement en vers, & qui leur ont fervi de modeles pour la compofition des leurs,

Exod 15.

ques

IX.

Le nom de chanr qu'on donne à toune à toutes les pieces de vers, eft encore une preuve qui ne doit pas être rejettée. Les Cantiques des Hebreux en font l'origine; quand il n'y auroit que ce que le premier de tous commence par le mot de chanter Cantemus Domino gloriosè. Je n'ay point vû un traitté que l'on a imprimé en Angleterre, il y a quelannées De Poëmatum cantu. Mais je ne doute point que je ne trouvaffe dans cet ouvrage bien des preuves de cette verité; que la coûtume de celebrer les actions memorables des grands hommes & les évenemens extraordinaires par des chants, eft venuë du peuple de Dieu, qui ne manquoit point de chanter Num, des Cantiques aprés fes victoires : Ceci21.17. neruntque Debora & Barach; tunc ceci– Jud. 5.5. nit Ifrael carmen illud.

C'est fans doute ce qui a donné lieu à Homere dans le premier livre de l'Odyffée de dire, que de tout tems les actions des hommes les plus illuftres ont fourni aux Poëtes la matiere de leurs vers.

Un Auteur moderne remarque dans fes reflexions fur l'hiftoire, qu'il s'eft paffé pufieurs ficcles où on ne confer

voit le fouvenir des belles chofes que par le moyen des chanfons; que les Grecs, les Efpagnols, les Allemands, les Gaulois n'avoient point alors d'autres moyens pour en perpetuer la memoire ; & que parmi les Romains les oraifons funebres fuccederent à cette efpece de monument. Mais d'où peut-on raisonnablement préfumer, que foit venue cette pratique du peuple Hebreu qui en a ufé le premier & de chez qui elle a paffé aux Grecs, & des Grecs à ces autres nations ?

X.

A routes ces preuves qui refultent de l'hiftoire & de l'ordre des choses, j'en ajoûteray d'autres qui n'auront pas moins de folidité. Je les tire des idées fous lefquelles les Grecs fe font figuré les Poëtes, des divers noms qu'ils leur ont donné; du genie, de la fureur, de l'entoufiafme, qu'ils leur ont demandé; & enfin de la conftitution & du caractere du Poëme, dont les fujets doivent être grands, le ftile extraordinaire & fubli

me.

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Les Grecs ont regardé les Poëtes non feulement comme des verfificateurs qui compofoient dans un ftile mefuré, mais

encore comme des hommes infpirez comme les interpretes des Dieux, en un mot, comme des devins & des prophetes; parce que les Cantiques du peuple de Dieu marquoient visiblement ce caractere, cette infpiration, cet efprit de divination & de prophetie dans les hommes qui les avoient compofez. Ces Cantiques racontent des prodiges & des merveilles qui ne peuvent être operées que par celui qui eft le maître du ciel & de la terre; ils contiennent l'ordre & la deftinée de tous les tems à venir, les recompenfes pour ceux qui feront fidelles dans l'obfervation de la loi de Dieu, & les peines dont Dieu punira les ingrats & les défobéïffans: Or qui eft - ce qui peut parler dignement de ces merveilles, qui peur annoncer les chofes futures avec la même affûrance que fi elles étoient deja, & parler avec cette puiffance qui fait également & la confolation des juftes, & l'effroy des pecheurs, que ceux qui font pleins de la divinité, & qui lui fervent d'organe pour faire entendre ses volontez à tout l'univers.

Voila ce que les Grecs ont apperçu dans ces Cantiques; & c'eft fur ce fondement qu'ils ont crû que pour être Poëte, il falloit être infpiré de Dieu, être

devin & prophete; car poëte, devin, prophete & muficien même ne vouloit dire que la même chofe parmi eux. C'eft cette infpiration qu'ils fuppofoient dans leurs poëtes & dans leurs muficiens, qui leur donnoit tant de refpect & de veneration pour eux, & qui faifoit qu'on les regardoit comme les oracles de la fageffe. Qui eft-ce qui ne fçait pas, dit Quintil lien, que dans ces anciens tems la mufique étoit tellement recherchée & eftimée, qu'être muficien, devin, poëte & fage n'étoit qu'une même chofe? Quis ignorat muficen tantùm jam in illis antiquis Lib. 1. c. temporibus non ftudii modò, fed etiam venerationis habuiffe, ut iidem musici & vates & fapientes judicarentur. On trouveroit les mêmes fentimens dans le Dialogue de Platon De furore poëtico, & en plufieurs autres endroits de fes ouvrages.

C'eft de là enfin qu'eft venue la fureur dont on a pretendu que devoit être agité un poëte pour bien compofer en vers; parce qu'on regardoit un homme infpiré & plein de la divinité, comme un furieux qui n'étoit plus maître de lui

même.

En effet, où les hommes auroient-ils pû prendre cette imagination, que pour être un poëte excellent, il falloit en quel

10.

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