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que façon ceffer d'être homme & ne fe plus laiffer gouverner par la raison commune à tous les hommes ? Pourquoi vouloir un autre efprit dans ceux qui écrivent en vers, que dans ceux qui écrivent en profe? S'il eft vrai que l'art poëbendi re- tique auffi bien que l'art oratoire foient tè fpe- compofez de precepres tirez de la nature,

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reeft, &

Hor. art.

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principi de la raifon & du bon fens comme le fons difent tous les maîtres; s'il eft vrai encore qu'on ne puiffe mettre ces preceptes en pratique fans beaucoup de reflexion & de jugement; enfin, fi la conduire d'un poëme demande beaucoup de meditation & de fageffe, & plus même qu'une piece de profe, comme le dit Voffius Nufquam majori opus judicio quàm in poefi; pourquoi a- t'on voulu qu'on ne peut réüffir dans la Poëfie fans être agité de quelque fureur ? Pourquoi Platon dans le Dialogue que je viens de cirer, dit-il, qu'un poëte ne peut rien dire qu'il ne foit hors de lui, & que fes vers font plûtôt les ouvrages de la divinité que les fiens: Præclara hac poemata opera divina, Deorumque, potiùs quam humana, hominumque opera. Pourquoi Democrite, plus ancien que Platon, dit-il fur ce fujet la même chofe que Platon, Strom.6. au rapport de Clement Alexandrin ?

Pourquoi enfin Ciceron & les autres Payens qui ont parlé des poëtes & de la poëfie, tous ont-ils avancé, que les poëtes ne peuvent réüffir, s'ils ne font infpirez de l'efprit divin,s'ils ne font pleins de fureur?

Comment accorder tous ces grands hommes avec eux eux-mêmes, lorfque d'un côté ils parlent de la poëtique,comme d'un art, & que de l'autre, ils veulent que l'on foit furieux pour être poëte? Quel accord entre la fageffe de l'art & l'emportement de la fureur? Ciceron même ne dit-il pas qu'il ne peut croire que les vers de la Sybile foient d'une furieufe, parce qu'il y apperçoit de l'artifice; & que l'artifice ne íçauroit être que l'ouvrage d'une perfonne de fens raffis? Hoc fcrip- De Div. toris eft non furentis, adhibentis deligentiam non infani.

lib. 2.

Ariftote, que M. Dacier revere toûjours comme le genie de la nature, auroit dû nous expliquer ce mystere dans fon Art poëtique; & fans doute il l'auroit fait, s'il l'avoit pû dans le lieu où il dit: Que pour réüssir dans la poëfie, il faut avoir un genie excellent ou être furieux. Car (ajoûte-t'il) les furieux pren- ch, & nent aisément toutes fortes de figures & de caracteres, & les genies excellens font fex

tiles & inventifs. Un Philpfophe comme lui ne devoit point dire des chofes fi extraordinaires fans en rendre de raison ; & c'est ce qu'il ne fait point. Car de dire que les furieux prennent aisément toutes fortes de figures de caracteres c'est entendre par ce terme toute autre chofe que ce que l'on entend ordinairement, & que ce que l'on doit entendre en effet. Puifqu'il eft certain, qu'il n'y a point de gens moins propres à prendre toutes fortes de figures & de caracteres, que ceux qui font veritablement furieux, parce qu'ils ne font point les maîtres d'eux-mêmes, & qu'ils ne peuvent vouloir que ce que leur infpire la fureur qui les poffede.

M. Dacier expliquant cet endroit montre qu'il ne croit pas qu'on doive prendre ces paroles d'Ariftote à la lettre, ni les'entendre d'une veritable fureur : Lorfqu'il dit que la poësie eft quelque chofe de fi grand & de fi divin, que pour y réüssir il faut ou une excellente nature enrichie l'art, ou une imagination extraordinaire & famenfe ; puifqu'il ajoûte que quand Ariftote demande ou une nature excellente, on la fureur, il entend une fureur qui ne foit pas ennemie des regles, &qui fe laiffe conduire par le jugement. Mais jamais on n'appella fureur l'état d'un

par

,

homme qui fuit les regles de fon art, & qui s'y conduit par le jugement. Je remarquerai encore en paffant, que ni l'un ni l'autre ne paroiffent pas connoître bien la nature, lorfqu'ils parlent de l'imagination & de la nature comme de deux chofes differentes dans un poëte; `puifqu'il est constant qu'une belle imagination, qu'une imagination facile, feconde & capable de representer fous des images nobles & magnifiques, tout ce que l'efprit peut concevoir de grand & de fublime fur un fujet; eft une partie neceffaire d'une excellente nature dans un poëte; & que fans cette imagination propre à prendre toutes fortes de figures & de caracteres, comme parle Ariftote, il ne réüffira jamais en poësie, quelque genie qu'il puiffe avoir d'ailleurs.

Mais pour revenir à mon fujet, pourquoi Ariftote & M. Dacier fe font-ils fervi du terme de furieux qui ne dit rien moins que ce qu'ils penfent ? C'eft qu'Ariftote a parlé en cela comme les poëtes qui l'avoient dévancez, & M. Dacier auroit crû commettre une impieté de parler autrement qu'Ariftote..

Mais d'où vient que les Payens ont eu des idées fi differentes de la poefie & de l'éloquence, d'où vient qu'ils ont demandë

de la fureur & de l'entoufiafine plûtôt pour l'une que pour que pour l'autre ; s'il eft vrai qu'elles n'ayent pour but l'une & l'autre, que d'inftruire les hommes de la verité, & de leur apprendre les regles de la vertu; s'il eft vrai que l'éloquence n'employe pas moins les paffions, qu'elle ne demande pas de moindres mouvemens que la poëfie ;puifque l'on dir des orateurs, qu'ils éclairent & qu'ils tonnent, auffi bien que les poëtes, que l'on pretend les plus rémplis de fureur.

On cherchera inutilement la raifon de cette grande difference, que l'on a mife entre les orateurs & les poëtes, par tout ailleurs que dans ce que je dis. Les Payens voyoient que les poëtes facrez étoient inf pirez; ils croyoient que les hommes infpirez étoient furieux ; ils ont fait de cette fureur le caractere de tous les poëtes; & pour cette raifon ils ont voulu la que poëfie fût un art plus divin que l'éloquen

ce.

On voit à tout moment dans l'Ecritu re que Dieu fait entendre fa parole à Moïfe & aux autre Prophetes Factum eft ver bum Domini fuper Moifen, fuper Ifaiam ; que ces hommes parlent en la perfonne de Dieu même, devant qui toutes chofes font prefentes; qu'ils écletent, qu'ils

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