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regles & les modeles, que dans les Ouvrages des Payens.

Un Ecrivain de ce dernier temps, qui s'eft acquis beaucoup de reputation par fes grandes connoiffances dans la langue, par la beauté de fon ftile, & la jufteffe de fon difcernement, n'a point fait de difficulté de dire que le fyfteme de la Poëfie étoit. de foy fabuleux & tout payen. Il eft vray qu 'il a parlé felon le préjugé commun. Mais un homme de fon caractere devoit faire plus de reflexion fur ce qu'il difoit ; & ne pas décider la chofe auffi fouverainement, qu'il l'a fait. Car il parle ainfi dans un ouvrage, où il critique les penfées des autres, où il donne à chacune fon prix. Il devoit donc prendre garde de ne rien dire que de trés- folide, & de trés-vray. Il devoit confiderer la Poëfie en elle-même, independamment des préjugés & de l'ufage, qu'en ont fait les payens ; afin de s'en former une jufte idée, & ne pas fuivre le torrent de la multitude fans avoir auparavant examiné, s'il étoit appuyé de la raifon & de la verité.

C'eft contre ce fentiment que je parle dans ce difcours, où je fais voir que la Poëfie n'a point été tirée de la fable, qu'elle n'a aucune alliance neceffaire avec elle; & enfin que c'eft l'avilir, & la profaner

3 que d'y mêler les fictions, les noms, & les expreffions de la fable.

Pour prouver de ce que j'avance, il fuffiroit de montrer que la fable n'a paru dans le monde que long-temps aprés la Poëfie. Car s'il eft certain que la Poëfie foit avant la fable, il eft faux que la fable foit la mere de la Poëfie.

Mais de plus je montre que les Payens fe font forgé un faux fyfteme de l'art poëtique, pour avoir voulu imiter les Poëtes facrés, qu'ils ont connus, mais qu'ils n'ont connu que trés-imparfaitement; parce que ne connoiffant pas bien le Dieu, qui les infpiroit,& ignorant abfolument les Myfteres, qui leur éroient revelez, ils n'ont pû fe former de jufte idée du caractere de leur ftile. Ainfi c'eft manquer de lumiere & de raison, de fuivre fans difcernement ce que les Payens ont écrit de l'art poëtique, & de vouloir que l'on fe propofe leurs Ouvrages comme de veritables & de parfaits modeles.

I I.

Que la Poefie feit avant la fable, cela ne peut être contefté par aucun homme raifonnable, pour peu qu'il foit ve: fé dans la connoiffance de l'antiquité faciée & profane,

Et quand même cette antiquité n'en fourniroit pas de preuves, en pourroit - on douter, à confiderer la raifon & l'ordre des choses?

Adam avoit receu de Dieu la connoiffance de tous les arts & de toutes les fciences. Car ce premier homme, qui étoit l'ouvrage immediat des mains de Dieu devoit auffi être fon chef d'œuvre dans l'ordre de la nature; & par confequent il ne luy devoit manquer aucune des perfections, qui appartiennent à la nature de Cont. l'homme. C'eft la penfée qu'en ont eu tous Iul. lib. les Peres, & Saint Auguftin dit qu'il

5.c. I.

y a autant de difference entre la fcience & la fageffe des plus grands efprits, & celle d'Adam, qu'entre le pas des tortuës & le vol des oyfeaux.

Je fçay bien qu'il y a des gens, qui regardent tout ce que l'on dit des connoiffances d'Adam, comme des penfées pieufes à la verité, mais qui n'ont pas grand fondement; parce que l'Ecriture ne nous dit

pas tout ce qu'on en peut pen fer: mais fans parler de ce qui y eft dit qu'Adam donna le nom à tous les animaux, ce qu'il n'a pas fait fans connoiffance, & ce que le philofophe Pyragore regardoit comme l'effet d'une grande fageffe; il me fuffira que l'on m'accorde que Dieu n'a pas créé

le premier homme dans l'ignorance & dans l'état des enfans qui naiffent aujour d'huy; & fi cela m'eft une fois accordé, on ne peut pas raifonnablement contester qu'il ne luy air donné toutes les connoiffances qui peuvent fervir à la perfection de l'homme. Car il n'étoit pas plus digne de Dieu de ne luy en donner que de mediocres, que de ne luy en point donner du tour. Celuy qui n'a point befoin de s'effayer pour faire fes ouvrages dans toute la perf.ction, qui leur convient, n'a pû manquer de faire le premier auffi excellent qu'il pouvoit l'être.

Mais file premier homme avoit été créé dans l'ignorance, d'où feroient venuës au genre humain toutes les fciences & tous les arts? Il faut neceffairement que ces lumieres viennent de la même origine, que l'homme. Clement Alexandrin foûtient gro que les Grecs n'ont pas été à eux-mêmes leurs propres maîtres; qu'ils ont été inftruits dans les fciences par les peuples, qu'ils appelloient Barbares, comme les Egyptiens, les Hebreux, les Chaldéens, les Affyriens & les Pheniciens. Mais il demande de quels maîtres pouvoient avoir appris ceux qui avoient été les maitres des Grecs, fi ce n'étoit du premier, qui avoit été inftruit de Dieu ? Car enfin il faut

que

les fciences ayent un principe; & il ne s'en trouve point d'autre que Dieu, qui enfeigne les hommes par fon Verbe.

Cet homme fi excellent & fi parfair cft tombé (dit-on) dans la plus grofficre de toutes les fautes ? Il eft vray, mais tout parfait qu'il pût être, il n'étoit pas la fouveraine perfection; & ce qui n'eft pas la fouveraine perfection, peut faillir; or il n'eft pas incroyable que ce qui peut faillir, ait failli.

Le peché du premier homme ne fournit donc pas un fondement legitime, pour douter de l'étenduë de fes lumieres & de fes connoiffances. Or fi la Poëfie eft un art & un des premiers dont les hommes fe foient fervis; on ne peut pas s'empêcher de croire qu'il l'a connuë, qu'il en a fçû les principes & les regles, qu'il en a inftruic fes defcendans, & que c'eft fur ces regles que fe font formez les premiers qui ont compofé des vers.

Mais (me dira-t'on) quelles font ces regles? Je réponds que ce font celles, que l'on voit pratiquées dans les plus anciens poëmes, qui nous reftent, ceux de Moïse, de Job, de David, & des autres Prophe tes;où les hommes d'un efprit penetrant & folide les découvrent; & à l'aide defquels ils les trouvent dans la nature même. Car

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