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leur entêtement pour la fable, qu'ils ont fouverainement décidé, que d'autres heros que ceux de la fable, n'êtoient pas propres pour les vers.

La fable offre à l'efprit mille agrémens divers,
Là tous ces noms heureux femblent nez pour
les vers:

Ulyffe, Agamemnon, Orefte, Idomenée,
Helene, Menelas, Paris, Hector, Enée.
O le plaifant projet d'un poëte ignorant !
Qui de tant de heros va choifir Childebrand.

Il y a 'pourtant de fçavans critiques comme Voffius & quelques autres, qui ne croïent pas que le mot de poëte foit venu de celui de feindre; mais ou du chant, ou du fublime, ou du magnifique : Ob diEtionis præftantiam, dit Voffius. Mais l'opinion de ceux qui veulent que la poëfie ne A puiffe traiter que des fujets feints,eft la plus commune. C'eft le fentimentde tous les poëtes & de tous les Grammairiens, qui ne fuivent point d'autres regles dans leurs jugemens que les imaginations des payens. Et ce fentiment ne peut venir d'un autre principe que celui que j'ay marqué ; c'eftà-dire de l'envie d'imiter les poètes facrez, & de fournir à la poëfie des fujets dignes d'elle.

XVII.

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Je pourrois encore alleguer pour preu ve de mon fyfteme, les invocations des Dieux que les poëtes prient de les infpirer, & de les inftruire des chofes cachées; les apparitions de ces Dieux à leurs heros pour les aider & les conduire par leurs confeils; le foin qu'ils leur font prendre de la fondation des villes & des empires; le nom enfin que les payens ont donné à la poëfic, qu'ils ont appellé le langage des. Dieux. Puifque toutes ces chofes fe trou vent dans les Autheurs facrez.

On y voit en plufieurs endroits que Dieu apparoît aux Patriarches & aux Prophetes, pour les inftruire de fes volontez; que les Patriarches & les Prophetes s'addreffent à lui dans leurs prieres, & lui demandent de les proteger & de les conduire. On y voit que Dieu parle par la bouche des Prophetes; ainfi le langage des Prophetes eft le langage de Dieu même.

On trouve dans la vocation d'Abraham que Dieu deftinoit pour être le pere d'un peuple particulierement confacré à fon fervice, & du Meffie qui devoit racheter les hommes & regner fur toutes les nations de la terre; dans les pelerinages de ce Patriarche, dans ceux de fes enfans, dans

l'élevation miraculeufe de Jofeph pour fauver ce peuple des rigueurs de la famine; dans les miracles & les prodiges que Dieu opera par le miniftere de Moïfe fon ferviteur, pour le tirer de la fervitude de l'Egypte, & le fouftraire à la pérfecution des Egyptiens ; dans la loi qu'il lui donna au milieu des tonnerres & des é clairs; & enfin dans toutes les victoires. qu'il lui fit remporter fur les peuples qui s'oppofoient à fon établiffement dans la terre promife. On trouve (dis- je) dans la vocation d'Abraham & dans tous les évenemens dont elle a été fuivie une espece de plan fur lequel ont travaillé les poëtes payens, fur lequel ils ont imaginé leurs fictions & dreffé le deffein de leurs poëmes. Car fuppofant ces poëtes fans aucune connoiffance des. divins oracles, on ne fçauroit concevoir qu'ils ayent pû imaginer les fujets de ces poemes tels qu'ils les ont feints; ni leur donner la conftitution que le P. Boffu & M. Dacier nous expliquent avec tant de fubtilité, l'un dans fon Traité du poëme épique, & l'autre dans fes Remarques fur l'art poëtique d'Ariftote, & dont M. Del-preaux parle dans fon art poëtique.. C'eft une neceffité que le menfonge imi-re la verité, & que les fictions de la fa

ble ayent pour fondement quelque hiftoire. Les payens n'ont forgé leurs Dieux, que fur ce qu'ils avoient appris du vrai Dieu; & ils n'auroient jamais fait parler ces Dieux à leurs heros, s'ils n'avoient fçû que Dieu n'a pas dédaigné de parler aux hommes; ils n'auroient pas fuppofé de faux oracles, s'il n'y en avoit jamais cû de veritables, comme le dir Ciceron.

Tout quadre donc, tout concourt à De Div. prouver que la poëfie des payens n'eft qu'une fauffe imitation de celle des Hebreux. L'antiquité de celle-cy, la tradition des arts & des fciences, qui ont paffé avec les lettres des Hebreux aux peuples voifins, & enfuite aux Grecs & aux autres peuples; le fublime des chofes & des expreffions; les idées d'enthoufiaftes, de devins & de prophetes, fous lefquelles on s'eft figuré les poëtes; la conftitution des poemes des payens; l'ufage même qu'on a fait de la poëfie pour rendre les oracles; la fureur enfin fans laquelle on a crû que l'on ne pouvoit rien produire de grand dans ce genres tout cela enfemble forme une démonftration qui ne paroît guéres moins certaine, ni moins évidente que celles des Mathematiques.

XVIII.

M. Dacier n'eft pas éloigné du fentiment que nous venons d'établir, puisqu'il dit dans la Preface fur l'Art poëtique d'Ariftote, que la poëfie fut d'abord la fille de la religion, & qu'enfuite elle s'abandonna à la diffolutioné à la débauche. Car pour faire parler jufte ce fçavant critique, il faut l'entendre de la vraye religion, qui infpira aux premiers hommes les hymnes à la loüange de Dieu, & les cantiques d'actions de graces; la fauffe religion étant plûtôt la malheureuse engeance de la poësie, que non pas fa mere. Õu fi elle est la mere de la poëfie, c'eft d'une poëfic bâtarde & corrompue, qui ne s'eft employée qu'à faire valoir les excés, les folies & les crimes de celle qui l'avoit en gendrée.

Cependant pour dire la verité, c'eft une interpretation benigne que je veux bien donner aux termes de M. Dacier; car le mot de religion fe prend dans cette Preface indifferemment pour la vraye & pour la fauffe. Il y paffe de ce que faifoient les véritables adorateurs en efprit. de reconnoiffance pour les bienfaits de Dieu, à ce que les payens ont fait depuis en l'honneur des faux Dieux; fans

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