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qui n'ont fait qu'en abufer & le corrompre. Il faut le confiderer dans fa premiere inftitution & dans fa nature, qui confifte à traitter les plus grands fujets avec un nombre & des expreffions qui leur conviennent; avec des mefures plus reglées & des figures plus hardies, que celle de la profe; afin de nous rendre ces chofes également venerables & majeftueufes, agreables & faciles à retenir.

Par cette notion conforme aux verirez les plus certaines de l'hiftoire & aux lumieres les plus pures de la raison, la poëfie eft retablie dans la dignité de fon origine. Son fyfteme ne fera plus fabuleux ni payen, mais tout veritable, tout ferieux & tout divin. Ses ouvrages ne vivront plus de fictions ridicules & honteufes, mais de grandes, de belles & de folides veritez. Elle fera propre à parler des grandeurs de Dieu avec la pompe & la majesté dont les hommes font capables; & à celebrer, non les vertus imaginaires des heros de la fable, mais les vertus réelles des grands hommes de l'histoire & des Saints de la religion. M. de faint Evremont parlant de la poëfie, dit, que tantôt c'est le langage des Dieux, tantôt le langage des fols, rarement celui d'un bonaête homme. Elle a été le langage de Dieu

dans les Prophetes; elle eft devenue celui des fols dans les payens, qui ne s'en font fervi prefque que pour reprefenter les fottifes & les crimes de leurs Dieux. Mais elle fera celui de l'honnête homme, de l'homme fage & judicieux, quand on s'en fervira felon les regles que prefcrivent la raison & la nature, parce qu'on y trouvera,non des fictions scandaleuses & dégoûtantes, mais une réalité qui feule, au jugement de ce bel efprit, peut fatisfaire un entendement bien fain. Et on n'aura plus droft de traiter d'ignorant un poëte, qui aura choifi pour le fujet defon poëme des noms & des évenemens de l'histoire; on ne trouvera plus que Childebrand foit un nom moins heureux pour les vers que celui d'Achille.

Le poëte qui avoit pris fon fujet ailleurs que dans la fable, n'en avoit donc que le goût meilleur, pourvû que fon fujet fût affez grand pour foûtenir la majefté de fon poëme ; & fi on demandoit au critique les raifons pourquoi Childebrand lui fonne plus mal à l'oreille qu'Achille,il auroir de la peine à en trouver de bonnes. Car pour le jugement de l'oreille, il ne faut pas y avoir tant d'égard, & d'ailleurs il n'y a pas une fi grande difference entre ces deux noms, que l'un doive être tant méprifé & l'au

tre fi fort exalté. Enfin l'hiftoire nous fournit des noms, ou autant, ou plus agreables à l'oreille que ceux de la fable.

Le critique ne rejette donc le nom de Childebrand, que parce qu'il eft de l'hifoire. Mais quoi! parce que les premiers poëtes du paganifme, n'ont employé la poëfie qu'à chanter des heros imaginaires, il ne fera plus permis de s'en fervir pour en chanter de veritables? Si l'Evangile permettoit la fatyre, & fi l'exemple des payens pouvoit nous fuffire pour la justifier, on pourroit en faire une belle fur une pareille penfée. Eft-il poffible que des hommes fages fe foient imaginé que hors la fable, il n'y avoit rien de grand, rien de digne dans les vers ? C'est faire injure à tous les grands hommes de nôtre hiftoire; c'eft offenfer la verité & la nature même ; c'est montrer qu'on a le goût mauvais, & qu'on ne s'eft nourri l'efprit que de fonges & de chimeres. M. de la Motte le rendra enfin à ce fentiment aprés la déclaration qu'il a faite dans fon Difcours fur la poefie; que quoiqu'il trouve que les regles qui fe font établies fur chaque genre de poësie d'aprés les poëmes des payens, foient utiles & judicieuses, il ne croit pourtant pas qu'on doive exiger pour elles un refpect trop aveugle. Car aprés cette démarche il doit en

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Pref.

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venir enfin à juger de tous les autres poëmes, comme il a fait de l'Ode, qui felon lui, n'a d'effentiel que fa forme, c'eft-àdire un nombre & une cadence qui lui eft particuliere en quelque langue que ce foit, quoique cette cadence varie felon la difference des langues. Il raifonnera fur les caracteres des differens poëmes, indépendemment des opinions, dont on s'eft laiffé prévenir par la lecture des payens, & il ne s'attachera qu'aux principes que dictent la raifon & le bon fens. Il fe fervira lui-même des avis qu'il donne dans fon Ode contre les poètes ampoulez.

XXI.

On dira peut-être que le poëme épique demande des heros bien connus, & que ceux de la fable le font plus que ceux de l'hiftoire. Si c'eft là une des regles du poëme épique, c'eft une regle forgée dans la même boutique qu'une infinité d'autres, c'est-à-dire dans l'imagination de ceux à qui la lecture de la fable avoit gâté le jugement, & qui n'ont non plus de droit de faire des loix dans la republique des lettres, que les Epicuriens dans celle de Platon.

Peut-on lire fans étonnement ce que le traducteur de Virgile dit dans fa Preface, pour autorifer fon jugement fur l'Eneide:

Combien de perfonnes ont lû & même appris Virgile & Homere par cœur en la meilleu re partie de leurs ouvrages, en comparais fon du nombre, quoique grand, de ceux qui ont lu les meilleurs Hiftoriens Grecs & Latins? Qu'on aille aujourd'hui en Forêt défabufer le monde des fictions agreables de l'Affrée, on y trouvera plutôt des perfonnes qui montreront le Saule où Celadon & fa bergere mettoient leurs lettres; qu'on y en rencontrera qui prendront plaifir à fe laiffer dire que ce font de pures imaginations de M. d'Urfé. Et plus l'ouvrage vieillit, & plus l'erreur prend racine. J'ay voulu rapporter toutes ces paroles, pour faire comprendre combien la lecture des poëtes & des Romans eft capable de gâter les meilleurs efprits; car tout ce difcours fait voir qu'elle accoûtume les hommes à Le repaître de fictions, & à les preferer à la verité.

Mais ce qu'il dit qu'on fçait mieux Virgile & Homere que les meilleurs Hiftoriens, eft un grand fujet de confufion pour les maîtres de la jeuneffe, qui l'inftruifent plûtôt de ces fictions, que des faits de I'hiftoire que nous ne fçaurions trop fçavoir. Qu'on ceffe de remplir la memoire des jeunes gens des fornettes de la fable, & qu'on ait plus de foin de leur appren

bien

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