페이지 이미지
PDF
ePub

dre l'hiftoire, & alors l'hiftoire étant plus connuë que la fable, elle deviendra par cette raifon plus propre pour les vers que la fable.

Mais fi c'étoit une raifon de preferer un heros pour les vers, parce qu'il feroit plus connu; il s'enfuivroit que l'on cherchetoit le heros pour faire connoître le poëme & le poëte, & que l'on ne composeroit pas le poëme pour faire connoître le heros. Cela paroît contraire au veritable & legitime deffein qu'on doit avoir, lorf qu'on écrit. Car comme l'Architecture n'eft pas faite pour faire paroître la fcience de l'Architecte, mais pour bâtir des maisons commodes & agreables; l'ufage de l'art poëtique ne doit pas tendre à rendre le poëte celebre, mais à faire valoir les veritables vertus des grands hommes, à nous donner de l'admiration & de l'amour pour ce qui merite d'être admiré & aimé. Un autre deffein feroit le renverfement de l'ordre & de la raison.

Quoiqu'il en foit fi le but de l'art poëtique eft de nous inftruire, il faut choifir des perfonnages veritables, dont les mœurs & les actions ayent quelque proportion avec nos forces, & qui puiffent nous fervir de modelles; non pas des perfonnages imaginaires, que perfonne n'entreprendra

jamais

jamais d'imiter, s'il n'a l'efprit malade comme Dom Guichot. On aura beau nous rebatre les grandes veritez figurées par les contes ridicules de la fable, elles ne ferviront plus à nous rendre fages & vertueux, que les emplâtres de de ce heros à guérir fes bleffures; ces conteurs veulent nous amufer, non pas nous inftruire & nous rendre meilleurs.

XXII.

On dit que c'est une neceffité dé feindre, parce que pour bien inftruire, il faut peindre les hommes comme ils devoient être, & non pas comme ils ont été. Je ne fçai comment des hommes de bon fens ont imaginé une regle fi fauffe. Ont-ils crû que pour nous former à la vertu, il falloit nous donner pour modelles des heros de theatre, à nous qui en avons tant de veritables que nous n'imitons pas ?

Pour inftruire efficacement, il faut peindre les hommes au naturel, & pour cela il faut les peindre d'aprés nature, afin de nous faire voir par ces peintures, ce que l'homme eft capable de faire de bien & de mal; de nous animer à l'imitation des vertus qui ont été en effet pratiquées par des hommes comme nous, & à la fuite des vices dans lefquels des hommes comme nous

D

pro

même. Et l'efprit rempli des idées fecondes de cet agent univerfel, il a enfan1é ces originaux qui ont le même avantage fur les hommes ordinaires, que la nature a fur les êtres qu'elle produit. Car les originaux doivent toujours furpaffer les copies. Tout cela eft dit d'aprés le P. le Boffu. Que ces paroles expriment bien les digieux effets de l'érudition profane fur les meilleurs efprits, & qu'il y auroit de chofes a dire fur tous ces difcours! Mais il les faut paffer legerement. Peindre d'aprés nature, c'eft peindre d'aprés la nature ellemême. Etoù l'a-t'il vûe certe nature pour peindre d'aprés elle-même ? Les Peintres appellent peindre d'aprés nature, peindre d'aprés les objets particuliers, d'aprés les propres ouvrages de la nature.

Apeller les êtres particuliers des copies de la nature imparfaites, confufes & vicienfes; & au contraire donner le nom d'originaux aux peintures d'Homere, c'est dire qu'Homere a fçû peindre & reprefenter la nature mieux qu'elle ne fe reprefente elle-même dans fes productions; c'eft dire que la nature s'égare & fe méprend dans la formation des hommes, & qu'elle ne fuit pas bien fes propres idées; au lieu qu'Homere, comme un ouvrier fuperieur à la nature, la corrige, la redreffe &

qu'en travaillant fur les idées qu'il a puifees en elle, il lui montre ce qu'elle auroit dû faire; c'eft dire enfin ce qu'on n'a jamais dit, que la perfection des ouvrages de l'art confifte, non à imiter, mais à furpaffer ceux de la nature. Je ne fçai à quoi on donnera le nom de chimeres & de vifions, fi ces paroles ne le meritent pas.

D'ailleurs il n'y a point d'agent univerfel autre que Dieu. L'univers tout entier n'eft que l'affemblage des êtres que Dieu a créé, & que fa providence conduit pour produire toutes les chofes qui paffent. Et nous n'avons d'idées de cet agent univerfel, que celles que nous reprefentent fes ouvrages particuliers.

Mais venons à ce qui regarde plus précisement nôtre fujet. Je dis que pour être utile, il faut peindre les hommes comme ils font en effet & en particulier, & non comme ils doivent être. On nous dit fans ceffe que le poëme ou dramatique, ou épique eft une imitation des mœurs des hommes, laquelle a pour fin la guerifon des paffions; mais pour imiter les mœurs des hommes, il faut imiter ce qu'ils ont dit ou fait de bien ou de mal, & non pas une nature vague & indéterminée, qui en elle-même n'a ni vices ni vertus, & ne fait ni bien ni mal. Vous voulez guerir les

hommes de leurs paffions, faites-leur done. voir combien ont été hideux les hommes qui ont été atteints de ces paffions. Vous voulez leur donner de l'horreur d'un vice, reprefentez-leur donc la laideur de ceux qui en ont été entichez. Et loin de vouloir imiter les Peintres qui tâchent de peindre en beau, en confervant pourtant la reffemblance, le poëte doit au contraire peindre les paffions & les vices en laid, quand il reprefente des hommes vicieux & paffionnez; s'il veut que fes portraits faffent le fruit qu'il le propofe, ou bien pour suivre le precepte de Platon, qui dit que la faite imitation confifte à reprefenter les chofes telles qu'elles font en elles mêmes, qu'il peigne, s'il fe peut, les hommes tels qu'on les a connu. Mais enfin s'il veut emBellir, ce ne doit être que ce qui eft deja beau par foi-même, c'eft-à-dire les vertus & non pas les vices, puifqu'en embellifLant & déguifant les vices, il ne pouroit que nuire.

par

A la verité il eft permis à un peintre qui ne vit jamais ni Hector, ni Achille, de leur donner l'air, la taille & la mine qu'il lui plaît & de prendre dans differens hommes les plus beaux traits qu'il a pû remarquer, pour en compofer leurs portraits. Ces beautez idéales & artificielles font pa

[ocr errors]
« 이전계속 »