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roître fa fcience & fon adreffe; elles plaisent aux connoiffeurs, & ne peuvent faire de mal à perfonne. Mais que les poëtes en puiffent ufer ainsi, pour reprefenter les mœurs de leurs heros, parce que Horace de fon autorité leur accorde cette hardieffe ; c'eft une erreur d'autant plus manifefte, qu'ils fo vantent de fuivre cette methode pour corriger les hommes, & les guérir de leurs paffions; & que c'est justement ce qui contribue à les pervertir, & à les autorifer dans les entreprises les plus opofées à la raifon & à la juftice.

Pour prouver la verité de ce que je dis, je ne veux que me fervir de ce que M. Dacier ajoûte enfuite fur l'exemple d'Arifto te. C'est ainsi qu'en a ufé Homere pour Achille, il a gardé dans ce caractere tout ce que la fable y mettoit indispensablement; mais en ce qu'elle lui a laiffe de libre; il en a ufé tellement à l'avantage de son herós, & la fi fort embelli, qu'il a prefque fait difparoître fes grands vices par une vaillanlance miraculeu fe qui a trompé une infinité de gens. Ces paroles femblent être dites exprés pour apuïer mon fentiment, & pour prouver que ces portraits flattez où on tâ che de faire difparoître les vices, nuifent plus qu'ils ne fervent à la guerifon des paffions; puifque l'artifice du poëte à faire

difparoître les vices par l'éclat de quelques vertus, ne peut fervir qu'à tromper & à gâter les Princes qui prendront ces vices déguisez pour de veritables vertus ; ou qui croiront que les grandes vertus ne peuvent être fans vices; qui enfin s'imagineront être vaillans comme Achille, parce qu'ils feront en effet coleres, injuftes, emportez & vindicatifs comme lui. Voila ce qu'ils prendront de ce portrait. Et la moindre reflexion que nous puiffions faire fur ce que nous aprenons par l'hiftoire & par nôtre propre experience des maux dont le monde eft affligé, nous perfuadera qu'une des caufes qui les produit, eft l'envie de

reffembler à ces faux heros.

Cela prouve encore que les poëtes ne fe font jamais rien moins propofé que de travailler à guerir les paffions, & à rendre les hommes meilleurs. Leur veritable but comme celui des Peintres, eft leur propre gloire, & ils s'imaginent que pour arriver à cette gloire, ils doivent s'efforcer d'en donner beaucoup à leurs heros en déguisant leurs vices, & en leur donnant des vertus qu'ils n'eurent jamais.

XXIII.

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La voye que j'ay marquée, eft done celle qu'il faut prendre, fi on veut gue

rir les vices & former les mœurs, au lieu de s'alambiquer la cervelle pour nous.compofer des vertus idéales & imaginaires, aufquelles l'humanité ne fçauroit jamais atteindre. Car c'eft propofer à des pigmées les allures des géans. Mais cette voye eft l'hiftoire que l'on appelle pour cette raison: la maîtreffe de la vie ; parce que l'on y voit les hommes tels qu'ils font par euxmêmes, & tels qu'ils peuvent être par le fecours de la grace de celui qui les a fait. Car fi les preceptes ont befoin de la force des exemples pour fe faire goûter, ces exemples doivent être réels, effectifs, &. veritables,& non pas faits à plaifir; de peur que le mépris que l'on ne peut manquer d'avoir pour des exemples feints, ne falle ou méprifer ou négliger les precepres même, comme il arrive toûjours.

Ainfi les raifons de M. Dacier pour ap puïer le fentiment d'Ariftote, qui veue que la fable foit plus inftructive & plus morale que l'hiftoire, n'ont aucun fondement folide. Les faits de l'hiftoire (dit-il}} font particuliers, & il arrive rarement qu'ils foient proportionnez à ceux qui les lifent, au lieu que la fable reprefente des chofes generales qui conviennent à tout le monde. Je foûtiens au contraire qu'il n'y que les faits particuliers comme ceux de

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l'hiftoire, qui foient proportionnez aux particuliers, & que ceux de la fable qui font compofez de pieces raportées & inventées à plaifir, ne font proportionnez à perfonne; puifqu'il eft certain que les hommes ne fe forment point fur le vraifemblable, mais fur le vrai ; cela eft fi conftant & fi connu même des poëtes, qu'ils particularifent leurs faits tant qu'ils peuvent en prenant des noms de l'hiftoire, comme le dit M. Dacier; afin de faire croire que ce ne font pas des chofes feulement vrai-femblables & de leur façon mais des chofes trés-vrayes & trés-réelles.

J'avoue que tous ceux qui lifent l'hiftoire, n'y trouvent pas à chaque page des faits qui leur conviennent.. Mais chacun y en rencontre de temps en temps, qui le regardent & qui peuvent lui fervir d'exemple. Au lieu que ceux de la fable, que tour le monde fçait bien n'être que des fictions: ne font utiles à perfonne, parce que la na ture d'un homme particulier ne fe me furera jamais qu'à la nature d'un homme particulier comme lui; & que la raifon ne propofera jamais à un homme particulier de compofer les mœurs, que fur celles d'un autre homme, qui a existé & qui a fait effectivement ce que l'hiftoire en rapporte

Enfin s'il eft vrai que la poëfie foit une imitation, il ne fçauroit y avoir de veritable imitation, que des faits qui font veritablement arrivez, que des vertus qui ont été réellement pratiquées, & les faits univerfels, les actions allegoriques, ni les vertus des heros de la fable ne font point certainement des imitations, mais des fi Яtions toutes pures. C'eft confondre toutes les idées & tous les termes du langage,, que d'apeller imitation la reprefentation d'une chofe qui ne fut jamais.

L'Auteur du Traité du Poëme épi- part. 23 que s'eft fi bien aperçu de la verité de ce pag. 394 que je dis, que les vertus que décrivent les poëtes, ne font point des vertus que jamais perfonne fe propofe d'imiter, qu'il diftingue entre les vertus poëtiques relles qu'Homere & Virgile en ont fait paroître dans leurs heros, & les veritables & réelles; & qu'il ne fait point de difficulté d'avouer qu'on ne doit point chercher dans les poëtes d'exemples de ces dernieres. On lui eft obligé de cet aveu, qui détruit abfolument tous les beaux pretextes, fous lefquels il a employé tant d'étude & de travail à nous inftruire des regles de ce poëme felon le genie des poëtes payens les preceptes d'Ariftote & d'Horace; mais qui fait voir en même temps les égaremon

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