페이지 이미지
PDF
ePub

de ces poëtes, l'illufion & la fauffeté de tous leurs preceptes.

XXIV.

Il eft donc certain que les Auteurs dont on vient de parler, ne fe font imaginez que ces noms des grands hommes celebrez dans l'hiftoire ne convenoient pas au poëme épique, & que ce poëme devoit fe foûtenir par la fiction, qu'à caufe des faux préjugez qu'ils le font formez dans la leeture des profanes, qu'ils ont regardez comme des Auteurs infpirez, dont il ne leur étoit pas permis de méprifer ni les preceptes, ni les exemples. Et fans doute c'eft cette imagination qui eft en partie caufe que les poëtes qui ont voulu compofer en ce genre dans notre langue, n'ont pas réüffi, parce que la raifon eft choquée de l'affemblage monftrueux que l'on fait de noms connus par l'hiftoire avec des évenemens fabuleux. Il eft vrai qu'on ne fent pas cette incongruité dans les poëmes des Grecs & des Latins, parce que s'ils ont broüillé les anciennes hiftoires avec les fables; ces hiftoires étant éloignées de nous & peu connues, les fables & elles font prefque la même chofe pour nous. C'eft ee qui fait que ce mélange bizarre de la fable & de ces hiftoires anciennes ne nous

bleffe pas; mais quand on veut faire une confufion de la fable avec des hiftoires plus proches de nous, des hiftoires bien certaines & bien connuës, la raifon ne la peut goûter.

On eft de même choqué de ces fictions, où les poëtes Chrétiens font agir les Anges & les Saints. On fent que c'eft manquer de refpect pour la religion, que d'af fujettir aux caprices de l'imagination d'un poëte des perfonnages, qui font l'objet de nôtre veneration. On a encore plus de dégoût pour ces ouvrages, où on mêle les demons & les Dieux de la fable dans des fujets faints & ferieux.

Voila en partie ce qui rend dégoûtans: tous les poemes épiques, dont les poëtes ont pris le fond dans nôtre hiftoire. Quand

il

y auroit infiniment plus d'efprit, de jugement & de fcience dans leur compofitfon, qu'il ne s'en trouve dans les anciens, ils ne nous plairoient pas. Nous connoiffons trop nos heros, pour croire: tout ce qu'ils en débitent; & ce qui s'en dit, qui n'eft pas croyable, nous paroît ridicule, & l'eft en effet.

J'ajoûterois à cette caufe du peu d'eftime que l'on a fait de ces poëmes, le penchant que l'on a pour les anciens au pré judice des modernes, & l'admiration

perpetuelle qu'on nous infpire au Colle ge pour les langues dans lefquelles les anciens ont écrit. De plus ces langues nous étant moins familieres que le François, elles nous mettent ces ouvrages dans un certain éloignement, d'où nous n'en jugeons pas avec la même éxactitude que nous faifons des pieces Françoifes. De forte que nous admirons dans celles que nous connoiffons le moins, les perfections qui n'y font point en effer.

Enfin je pourrois alleguer la fimplicité & la modeftie de nôtre langue & de nôtre verfification, ou plûtôt la folidité du genie François, qui ne peut fouffrir les fottifes & les badineries de la fiction. Mais ce n'eft pas ici le lieu de faire voir que c'eft beaucoup moins par jugement, que par préjugé, que l'on a mis les poemes épiques de nôtre temps fi fort au-deffous des

anciens.

Si les poëtes qui ont travaillé en ce genre, ne meritent donc pas la gloire qu'ils ont recherchée, c'eft parce qu'ils ont voulu imiter les fictions des anciens. Cars'ils s'étoient uniquement attaché à la verité, s'ils l'avoient fuivie auffi fcrupuleufement qu'on le fait dans l'hiftoire, fe contentant d'exercer leur genie dans les embelif-femens que fourni fent les vers >> c'eft-à

[ocr errors]

dire, dans les expreffions& les figures qui forment le fyfteme poëtique; ils auroient merité les louanges des perfonnes judicieufes & de bon goût. Nos poëtes (dit M. de faint Evremont) font de mauvais poëmes ajustez à ceux des anciens, & conduits par des regles qui font tombées avec des chofes que le temps a fait tomber ; c'est à une imitation fervile & trop affectée qu'eft due la difgrace de tous nos poemes.. Nos poëtes n'ont pas eû la force de quitter les Dieux de la fable, ni l'addresse de bien employer ce que nôtre religion leur pouvoit fournir. Le genie de nôtre fiecle est tout oppofé à cet efprit de fables & de faux Difcoure fur les myfteres. Nous aimons les veritez décla poëmes rées; le bon fens prévant aux illufions de anciens»la fantaifie; rien ne nous contente aujour➡ d'huy que la folidité de la raison.

S'il eft vrai qu'il n'y ait rien de grand dans les chofes que la verité & la juftice;+ rien de grand dans les fentimens que nô. tre amour pour l'un & pour l'autre ; rien de grand enfin dans les actions, que ce que font les hommes par la force de cet amour; il s'enfuit que la fublimité de l'expreffion que demande la poëfie, ne fçauroit confifter qu'à faire paroître la verité & las juftice auffi grandes qu'elles font, à pein-dre parfaitement les grands perfonnages

qui les ont aimées & preferées à toutes chofes qui ont répandu leur fang pour rendre témoignage à la verité, ou pour défendre les interêts de fa juftice. Et rien de tout cela ne demande la fiction. De forte que fi on s'eft imaginé qu'il y avoit quelque repugnance entre le genie de la poëfie & l'exacte verité; c'eft qu'on ne s'eft plû à lire que celle qui étoit profanée par les fujets vains & méprifables de la fiction & que l'on fent qu'il y a quelque indécence à étaler la majefté de la verité & les vertus des grands hommes, avec un langage que l'on n'employe ordinairement, qu'à débiter le menfonge & à faire valoir des bagatelles. Mais ce fentiment ne peut point venir de la nature de la poëfie, qui étant un langage plus élevé que la prose„ doit par confequent être encore plus propre que la profe à décrire les plus grandes chofes.

X X V.

Il eft vrai que l'on s'efforce de juftifier ce monftrueux affemblage de menfonge & de verité par cette licence que l'on appelle poëtique, & que l'on veut qui permette aux poëtes de tout ofer, comme il eft permis aux Peintres. Mais bien loin que cette licence foit une regle, c'eft au con

« 이전계속 »