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traire le renversement des veritables regles, qui ne veulent pas que la parole telle qu'elle puiffe être ferve à autre chofe qu'à inftruire les hommes de la verité. On fçait bien que la contrainte des mefures & de la cadence des vers, a fait difpenfer les poëtes de la feverité des regles du langage ordinaire. On leur a permis des conftructions irregulieres, des expreffions défectueufes, des termes extraordinaires, pour donner plus de nombre & de grandeur à leurs vers. Nous en avons des exemples dans les poëtes facrez. Maist on abufe de cette licence, quand on la veut étendre du ftile aux chofes. Et fi une fois cette extenfion eft permife, il n'y a plus. rien de fi extravagant, que les poëtes ne puiffent dire. Car à qui fera- ce de donner des bornes à cette licence? Quand on a une fois franchi les loix de la raison & de la verité, rien n'eft plus capable de

nous retenir.

Cette licence peut avoir fes limites dans le ftile, parce qu'il faut toûjours parler de maniere à pouvoir être entendu. Mais dans les chofes on ne fçauroit lui en marquer de certaines, puifqu'aucun poëte n'est obligé de s'affujettir aux regles d'un autre ; fi un poëté fait rencontrer des hommes qui n'ont jamais pû fe voir, des hom

mes éloignez d'un ficcle; pourquoi un autre n'en pourra-t'il pas faire rencontrer d'éloignez de deux, de trois, de quatre & de plus ?

On dira peut-être que l'on demande du vrai-femblable dans ces fictions, & qu'il n'y en auroit point dans ces rencontres d'hommes, qu'on fçauroit avoir été fi éloignez les uns des autres. Je ne veux que cette réponse, pour prouver que la fiction dans les poëmes eft tout-à-fait oposée au bon fens & à la raifon Si l'homme ne peut goûter les chofes où il n'y a point de vrai-femblance, c'eft qu'il n'aime en effet que la verité, & que ce qui n'en a aucune apparence ne lui fçauroit plaire. La raifon veut donc qu'on lui prefente plûtôt la verité que la vrai-femblance, qui no fçauroit non plus raffafier nôtre ame affa mée de la verité, que les feftins en peinture nourrir nôtre corps.

XXVI.

Les poëtes Chrétiens auroient donc dû corriger par les lumieres de la raifon & de la religion les erreurs des payens fur le fyfteme de la poëfje, au lieu de les fuivre aveuglément & fans aucune reflexion. Ces lumieres nous montrent, qu'il ne peut y avoir d'art pour celebrer le menfonge & pour rendre les vices aimables. Et l'expe

rience nous fait voir que bien loin que les états ou les hommes en particulier puiffent tirer aucun avantage des réveries & des faletez de la fable; les uns & les autres au contraire en fouffrent une infinité de maux. Les fables n'ont jamais fait que corompre les mœurs, amollir les hommes, & les rendre auffi incapables de fe foûmettre aux loix de la police, que de fuivre les precepres graves & feveres de l'Evangile.

On pardonne à Ariftote & à Horace. qui ne connoiffoient rien de meilleur, de s'être imaginé que la fable peut fervir à la guerifon des paffions, & que le theatre' peut être une école de vertu ; mais que cela ait pû entrer dans la penfée des Chrétiens, c'eft ce qui ne fe peut comprendre. Quoi ! des Chrétiens être moins fages fur ce chapitre, que Platon & que. Ciceron; qui le pourroit croire x

Saint Evremont fe mocque de cette gue rifon des vices, fous pretexte de laquelle les fectateurs d'Ariftote & d'Horace pretendent juftifier la fable. L'Auteur du Parrhafiana ou penfées diverfes, ne juge pas autrement de tous les poëmes de quelque nature qu'ils foient. De la maniere qu'ils font faits, il ne les croit propres qu'à nuire aux bonnes mœurs, & à gâter le jugement de la jeuneffe..

Quelque chofe que puiffent donc dire tous ces Auteurs entêtez de la manie des poëtes payens, ils ne fçauroient faire voir d'incompatibilité entre le poëme épique & la verité; fans fe fonder fur des préjugez vifiblement faux & tout-à-fait pueriles. Ce font tous gens élevez dans le païs de la fable, qui ne raifonnent que fur des fonges, & qui ne veulent pas qu'on les éveille pour leur en faire voir les illufions. Ils ont trop refpiré ce mauvais air, pour fe plaire dans celui du bon fens & de la verité toute pure.

XXVII.

Ces Auteurs auroient in finiment mieux fait, s'ils avoient fuivi la methode des Phifofophes de ce fiecle; c'est-à-dire, s'ils s'étoient mis au-deffus des préjugez de la mauvaise éducation, & qu'ils ne fe fuffent pas foûmis aveuglément à ce qu'ils avoient reçû de quelques anciens. Avec leur fcience & leur efprit, ils auroient trouvé dans les lumieres de la raifon & dans les fources de la nature, les regles veritables de la poëfie, ils en auroient trouvé de veritables modelles dans les poëtes facrez; les livres de l'ancien & du nouveau Teftament, Phiftoire fainte & profane, les arts & les fciences, le ciel & la terre, la nature &

les mœurs, la pieté & la patience des Saints, les merveilles & les prodiges de la puiffance de Dieu, fa fageffe & fa bonté, fa juftice & la mifericorde leur en auroient fourni autant de dignes fujets, qu'ils en auroient pû fouhaiter. Et fi tant de mariere ne leur avoit pas encore fuffi, on leur auroit pardonné d'en chercher dans la fable, , ou dans les fictions de leur propre imagination.

la rai

Le Journal de Trevoux du mois de Mai 1706. nous apprit que le P. Leva Jefuite, poëte & philofophe diftingué, employe le talent qu'il a pour la poëfie, à rendre la philofophie & la Mathematique moins feches. C'eft (dit l'Auteur du Journal) le veritable ufage du langage des Dieux. Il ne devroit être employé que par Son & en faveur de la verité. C'est dégrader un art fi noble & fi utile, que de le reduire à faire valoir le mensonge, ou à à dire pompeufement des bagatelles. Celui du mois de Juin de l'année 1708. en nous aprenant que l'illuftre M. l'Abbé Geneft travaille à un poëme François contre les impies, & que M. l'Abbé de Polignac, qui fait admirer dans tout ce qu'il écrit & la beauté & la folidité de fon genie, en a compofé un Latin fur le même fujet, ajoûte ces paroles; Le feu divin de la poe

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