corps de fon maître felon fon ordre, il en fit tirer & embaumer le cœur pour s'acquitter de la promeffe qu'il luy avoit faite d'exécuter fes dernieres volontés, & revint en France: mais lorsqu'il fut auprès du château de la Dame du Fayel, dans un bois où il s'étoit caché pour obferver le moment de pouvoir fatisfaire aux ordres de feu fon maître, il eut le malheur d'être rencontré par le mari de cette Dame qui le connoiffoit, & qui fe douta bien qu'il venoit trouver sa femme de la part de fon maître; il le menaça de le tuer, s'il ne luy difoit le fujet qui l'avoit amené en ce lieu. L'Ecuyer luy fit réponse que fon maître étoit mort: mais du Fayel ne voulant pas le croire, fe mit en état de le tuer. Cet homme effrayé du péril où il fe trouvoit, luy conta tout & luy mit entre les mains le cœur & la lettre de fon maître. Du Fayel fit hacher ce cœur par fon cuifinier & apprêter avec quelques autres viandes dont il fit compofer un ragoût qu'il fçavoit être du goût de fa femme, & le fit fervir devant elle; cette Dame mangea avidement de ce mets: mais après dîné du Fayel demanda à fa femme fi elle avoit trouvé ce mets de fon goût, elle luy répondit qu'elle l'avoit trouvé excellent; c'est, repliqua-t'il, par cette raifon que je vous l'ay fait fervir; car c'eft une viande que vous avez beaucoup 1 beaucoup aimée : Vous avez, luy dit-il, Madame, mangé le cœur du Châtelain de Coucy; mais elle ne le crut que lorfqu'il luy eur fait voir la lettre de fon amant avec ·le cordon de fes cheveux & les diamans qu'elle luy avoit donnés. Elle luy dit: !! eft vray, Monfieur, que j'ay beaucoup aimé ce cœur qui méritoit de l'être, puifqu'il n'y en cut jamais de plus généreux; & puisque j'ay mangé d'une viande fi noble & que mon eftomac eft le tombeau d'une chofe fi precieuse, je me garderay bien d'en mêler d'autres avec cellelà. La douleur & la colere luy coupérent la parole, elle fe retira dans fa chambre avec beaucoup de larmes, où elle s'enferma, & n'ayant rien voulu manger pendant quatre jours qu'elle y demeura, elle finit ainsi sa vie parmi les fanglots & les foupirs. Il y eut enfuite de grandes querelles entre le Seigneur du Fayel & les parens & amis de fon epoufe, qui vouloient venger fa mort. Mais cette querelle fut terminée par l'autorité du Roy, qui employa pour cet effet les grands Seigneurs du païs. Bocace qui mourut l'an 1376. écrit prefque la même hiftoire, qu'il attribue à la femme du Comte de Rouffillon; mais il y a apparence qu'il voulut déguifer fous d'autres noms l'histoire que nous venons de rapporter, par des confidérations particu, L Leres. On Iz aut une hiftoire à peu près femblable, ecrite par Noftradamus Mèdecin & fameux Aficlogue, qu'il attribuë à Chriftine Carbonnelle, femme de Raimond de Sillans, amie de Guillaume de Cabestan, pocte Provençal, qui l'avoit empruntée de Bocace. Quov-qu'il en foit, il n'eft pas impofiole qu'il fe foit rencontré des perfonnes à qui les mêmes événemens soient arrivés ; on sçait affez qu'il n'y a rien de nouveau fous le foleil, & perfonne n'ignore que l'amour porte les plus grandes aines jusqu'à l'extravagance. Cette hiftoire eft rapportée par le Président Fauchet, la Croix du Maine, & autres, & par l'Auteur d'une ancienne chronique écrite plus de deux cens ans avant luy. On dira peut-être qu'il n'eft point parlé de cet événement dans l'hiftoire des Seigneurs de Coucy, où la mort de ce Châtelain est rapportée: mais cet argument négatif ne prouve rien. Il ne convient qu'aux Novateurs, qui font gloire aujourd'huy de tâcher par ces fortes d'argumens de détruire tout ce qui n'eft pas de leur goût. Ainfi fi quelque critique d'inclination plutôt que de raison veut contefter ce fait, il doit faire réflexion qu'il n'eft pas furprenant que ceux qui travaillent à l'hiftoire des familles illuftres, paflent fouvent fous filence leurs foibleffes & leurs éga remens. Le Comte Henry décéda en l'année 1197. dans le château d'Acre, ville de la Palestine, par un accident funefte, étant tombé d'une fenêtre de ce château, dont l'appuy fondit tout d'un coup fous luy dans le temps qu'il regardoit pafler fes troupes & donnoit fes ordres à ceux qui les conduifoient. Il fut inhumé dans l'Eglife de fainte Croix d'Acre. La nouvelle de cette mort imprévuë ayant été portée à la Comteffe fa mere, elle en mourut de douleur dans le moment qu'elle l'apprit. L'an 1198. Thibault frere d'Henry, & Garnier foixante-uniéme Evêque de Troyes, n'étant pas encore informés de la mort d'Henréfolurent d'aller en la Terre fainte pour ry le voir & conférer avec luy: mais comme ils étoient en chemin, ils apprirent cette mort funefte & ne pafférent pas outre. Henry laiffa deux filles de fa femme Ifabelle: Alix, qui fut mariée à Amaulry Roy de Chypre, dont elle eut une fille nommée Alix comme elle, Reine de Chypre. Cette Reine fit la guerre à Thibault IV. du nom, Comte de Champagne avec l'affiftance de plufieurs grands Seigneurs du Royaume, prétendant que ce Comté luy appartenoit du côté de fa mere; parce qu'alors toutes les Souverainetés, fi vous en exceptez le Royaume de France, romboient en quenoüille. Elle s'accorda Thibault III. douziéme néanmoins avec ce Prince l'an 1234. ainfi que nous le dirons dans la fuite. La feconde fille du Comte Henry fut Philippote, qui malgré la défenfe que luy en avoit faite Louis, fils aîné de Philippe Augufte, fut mariée l'an 1214. à Errard de Brienne ou de Rameru, fils d'André, qui perdit fa caufe par Arreft du Parlement tenu à Melun l'an 1216. THIBAULT troifiéme du nom, douzième Tle Hibault, fils du Comte Henry I. dit le Large, fucceda au Comte Henry II. Comte de fon frere l'an 1197. gne.' Champa- Il y a diverfes opinions parmi les Hiftoriens touchant la maniere dont cette fuc.ceffion luy arriva. 1197. 1193. Quelques-uns prétendent qu'il ufurpa le Comté de Champagne pendant l'abfence de fon frere Henry; d'autres, qu'il en traita par lettres mais l'opinion la plus vrayfemblable eft que le Comte Henry l'inftitua fon héritier. L'an 1198. le Pape Innocent III. adreffa un Bref à l'Evêque de Soiffons & à l'Abbé de S. Germain des prés, & les commit pour informer des ufurpations que faifoient Thibault Comte de Champagne & plufieurs autres tant eccléfiaftiques que laïques qui y font |