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Que je m'en aille: & je len remercie. Quand à mon gré ma dame me châtie, J'aurois grand tort d'en avoir du fouci. Les chanfons fuivantes ont été faites par Gaces Brulez, favori du Comte & par fon ordre.

One n'ama en fa vie:
Si fait trop nice folie,
Qui s'entremet du mestier
Dont il ne fe fcait aidier.

Traduction.

Quiconque veut me blâmer
De ce que je fçay aimer,
Naima jamais en fa vie;
Celny-là fait une folie,

Qui veut d'un métier se mêler,
Dont il ne fait pas travailler.

Il dit dans une autre où il fe plaint

D'amors me plain & dis pourquoy
Car ceux qui la trahiffent voy
Souvent à leur joye venir.
Et gi faille par ma bonne foy:
Qu'amors por efancier fa loy
Veut fes ennemis retenir.
De fens li vient fi com je croy
Qu'as fiens ne puet elle faillir.

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Traduction.

Je me plains de l'amour, & le sujet pourquoy,
C'est que ceux qui le trahiffent,
"Dans leurs deffeins réuffiffent:

Et moy je ne le puis par ma trop bonne foy ;
Pour mieux affermir fa puissance,
Il ménage fes ennemis :

Et la raifon comme je penfe,
C'est que les fiens luy font acquis.

Dans une autre chanfon il eft plus gay, & il fe contente d'aimer.

Pay oublié poine & travaux,
Say de fine joye chanté.
Defor ne fui-je mes de caux,
Ki por n'oyant ayent aimé.

Traduction.

Dans l'éternel oubli j'ay mis peine & travaux, Et j'en ay chanté d'allégreffe.

Je ne fuis plus de ceux qui fouffrent tant de

maux

Pour mériter de la tendreffe.

Enfin dans une autre chanson il se plaint

en ces termes :

Si Diex plut que je feusse
De ma dame le plus baus:
Gertes bon gré l'en fceuffe,

Mes

Mes trop pareft communaux.
Moult ja de caux
Qui deflient aulmoniere :
S'en font l'or aniaux,
Et g'en fui bouté arriere.

Traduction.

Si Dieu permettoit par bonheur Que feul je plusse à ma maitresse, Je le remerciereis d'une telle faveur; Mais pour trop de galans elle a de la tendreffe. Combien eft-il de fes amans

Qui trouvent auprès d'elle un accès trop fa

cile,

Y paffent de très-doux momens,

Tandis que je me donne une peine inutile.

Le Comte de Champagne eut affez d'adreffe pour faire paffer ces chanfons jufques dans les mains de la Reine. On les mit en mufique, on les ajufta à toutes fortes d'inftrumens de ce temps -là ; & pour les remettre dans l'idée après qu'elles auroient perdu la grace de la nouveauté, ou pour en conferver la mémoire après la mort de l'Auteur & de la Princeffe qui luy fervoit de fujet, il les fit graver fur le bronze & exposer aux yeux de tout le monde dans les galeries de les Palais de Troyes & de Provins, comme s'il eût eû peur que les fiécles à venir ng

M

fattent alez inftruirs de fa pailion. Je n'ay pas rapporté toutes tes chantons, qui auroient trop groti cet ouvrage, & peutérre ennuye les lecteurs, & qui n'auroient fervi qu'à faire connoitre jufqu'à quel excès ce Comte ofa porter fes extravagances. Varillas prétend que Thibault compofa toutes ces chansons avant la mort du Roy Louis VIII. mais Fauchet & Mezeray les renvoyent au temps qui fuivit l'abandonnement que le Comte fit en l'année 1235. de Montercau-faut-Yonne & de Bray fur Seine. Ce qui eft de certain c'eft que le Roy n'ignoroit pas la paffion du Comte pour la Reine Blanche fon époufe; mais il n'étoit pas alors en état de faire éclater fon reflentiment, & il affecta de faire croire qu'il n'en fçavoit rien, & c'étoit fans doute le feul parti qu'il devoit prendre, pour ne pas expofer la réputation.

La guerre qu'il avoit alors contre les Anglois l'obligeoit à ménager ce rival, ayant befoin des forces de tous fes Feudataires, pour les employer contre ces anciens enneinis du nom François. Le Comte qui étoit très-brave de fa perfonne & qui étoit accompagné de très belles troupes compofées de celles de fes vaflaux, dont il avoit grofli l'armée Françoife, combattit à leur tête en amant paflionné, qui cherche à mourir glo

rieufement, ou à fe rendre digne des faveurs de fa Dame. Les Anglois qui prétendoient attaquer les François, furent contraints de fe tenir fur la défenfive, & on s'empara de plusieurs de leurs places.

Le Roy qui crut qu'il luy étoit avantageux d'hiverner dans les Provinces voisines du Languedoc, propofa fon deffein aux Princes qui l'avoient fuivi; tous y consentirent à l'exception du Comte de Champagne; & ce qui le porta à s'oppofer en cette rencontre à la volonté du Roy, c'eft que la Reine étant demeurée à Paris, il ne pouvoit feulement perfer, fans entrer dans une efpece de défefpoir, qu'il feroit par là privé pendant une année de la fatisfaction de voir fa maitreffe, retardement que cet amant impatient ne pouvoit feuffrir. Aufli réponditil en pleine affemblée qu'il étoit libre aux autres Feudataires d'avoir cette complaifance pour le Roy de le fuivre par tout où il les voudroit-mener, mais qu'à fonégard il prétendoit jouir de fon privilége dans toute fon étendue, & emmener fes troupes en Brie.

Cette maniere de parler à fon Roy fut trouvée bien hardie, & ce Prince en connut affez la véritable caufe, aufli le mit-elle d'autant plus en colere, qu'outre l'amour du Comte pour la Reine, qui luy causoit an chagrin mortel, il craignoit qu'un

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