Que je m'en aille: & je len remercie. Quand à mon gré ma dame me châtie, J'aurois grand tort d'en avoir du fouci. Les chanfons fuivantes ont été faites par Gaces Brulez, favori du Comte & par fon ordre. One n'ama en fa vie: Traduction. Quiconque veut me blâmer Qui veut d'un métier se mêler, Il dit dans une autre où il fe plaint D'amors me plain & dis pourquoy Traduction. Je me plains de l'amour, & le sujet pourquoy, Et moy je ne le puis par ma trop bonne foy ; Et la raifon comme je penfe, Dans une autre chanfon il eft plus gay, & il fe contente d'aimer. Pay oublié poine & travaux, Traduction. Dans l'éternel oubli j'ay mis peine & travaux, Et j'en ay chanté d'allégreffe. Je ne fuis plus de ceux qui fouffrent tant de maux Pour mériter de la tendreffe. Enfin dans une autre chanson il se plaint en ces termes : Si Diex plut que je feusse Mes Mes trop pareft communaux. Traduction. Si Dieu permettoit par bonheur Que feul je plusse à ma maitresse, Je le remerciereis d'une telle faveur; Mais pour trop de galans elle a de la tendreffe. Combien eft-il de fes amans Qui trouvent auprès d'elle un accès trop fa cile, Y paffent de très-doux momens, Tandis que je me donne une peine inutile. Le Comte de Champagne eut affez d'adreffe pour faire paffer ces chanfons jufques dans les mains de la Reine. On les mit en mufique, on les ajufta à toutes fortes d'inftrumens de ce temps -là ; & pour les remettre dans l'idée après qu'elles auroient perdu la grace de la nouveauté, ou pour en conferver la mémoire après la mort de l'Auteur & de la Princeffe qui luy fervoit de fujet, il les fit graver fur le bronze & exposer aux yeux de tout le monde dans les galeries de les Palais de Troyes & de Provins, comme s'il eût eû peur que les fiécles à venir ng M fattent alez inftruirs de fa pailion. Je n'ay pas rapporté toutes tes chantons, qui auroient trop groti cet ouvrage, & peutérre ennuye les lecteurs, & qui n'auroient fervi qu'à faire connoitre jufqu'à quel excès ce Comte ofa porter fes extravagances. Varillas prétend que Thibault compofa toutes ces chansons avant la mort du Roy Louis VIII. mais Fauchet & Mezeray les renvoyent au temps qui fuivit l'abandonnement que le Comte fit en l'année 1235. de Montercau-faut-Yonne & de Bray fur Seine. Ce qui eft de certain c'eft que le Roy n'ignoroit pas la paffion du Comte pour la Reine Blanche fon époufe; mais il n'étoit pas alors en état de faire éclater fon reflentiment, & il affecta de faire croire qu'il n'en fçavoit rien, & c'étoit fans doute le feul parti qu'il devoit prendre, pour ne pas expofer la réputation. La guerre qu'il avoit alors contre les Anglois l'obligeoit à ménager ce rival, ayant befoin des forces de tous fes Feudataires, pour les employer contre ces anciens enneinis du nom François. Le Comte qui étoit très-brave de fa perfonne & qui étoit accompagné de très belles troupes compofées de celles de fes vaflaux, dont il avoit grofli l'armée Françoife, combattit à leur tête en amant paflionné, qui cherche à mourir glo rieufement, ou à fe rendre digne des faveurs de fa Dame. Les Anglois qui prétendoient attaquer les François, furent contraints de fe tenir fur la défenfive, & on s'empara de plusieurs de leurs places. Le Roy qui crut qu'il luy étoit avantageux d'hiverner dans les Provinces voisines du Languedoc, propofa fon deffein aux Princes qui l'avoient fuivi; tous y consentirent à l'exception du Comte de Champagne; & ce qui le porta à s'oppofer en cette rencontre à la volonté du Roy, c'eft que la Reine étant demeurée à Paris, il ne pouvoit feulement perfer, fans entrer dans une efpece de défefpoir, qu'il feroit par là privé pendant une année de la fatisfaction de voir fa maitreffe, retardement que cet amant impatient ne pouvoit feuffrir. Aufli réponditil en pleine affemblée qu'il étoit libre aux autres Feudataires d'avoir cette complaifance pour le Roy de le fuivre par tout où il les voudroit-mener, mais qu'à fonégard il prétendoit jouir de fon privilége dans toute fon étendue, & emmener fes troupes en Brie. Cette maniere de parler à fon Roy fut trouvée bien hardie, & ce Prince en connut affez la véritable caufe, aufli le mit-elle d'autant plus en colere, qu'outre l'amour du Comte pour la Reine, qui luy causoit an chagrin mortel, il craignoit qu'un |