le Roy pour fon accommodement avec la Reine de Chypre, n'étoit point une vente, mais feulement un engagement de ces fiefs, avec pouvoir de les retirer en rendant la fomme d'argent que le Roy avoit donnée pour luy. Il entreprit donc de l'obliger de les luy rendre, il leva une armée, & pour engager le Comte de Bretagne dans fes interêts, il maria Blanche fa fille unique, qu'il avoit eûe d'Agnès de Beaujeu fa premiere femme, à Jean fils du Comte & héritier de Bretagne. Le Roy affembla fon armée dans le bois de Vincennes dans la réfolution de fondre dans la Champagne & dans la Brie. Le Comte de Champagne eut recours à la foumiffion; le Roy la reçut à ces conditions: La premiere, qu'il renonceroit à fes prétentions fur les Comtés de Blois, de Chartres, de Sancerre, & fur les autres fiefs qu'il avoit cedés par un traité folemnel. La feconde, que pour affurance de fa fidélité il luy mettroit inceffamment entre les mains quelques places de fes frontieres de Champagne & Brie. La troifiéme, qu'il accompliroit au plutôt fon vou d'aller en la Terre fainte. Et la quatriéme, que de fept ans il ne mettroit le pied en France, Le Comte de Champagne confentit à fout. Il vint à la Cour où il fit encore fes remontrances. La Reine, qui ce jour-là étoit richement parée, luy dit qu'il devoit fe fouvenir que le Roy fon fils l'étoit allé fecourir jufques dans fon païs, & luy reprocha fon ingratitude en des termes fi forts, que ne pouvant rien refufer à cette Princeffe qui tenoit toûjours fon cœur enchaîné, il luy répondit avec un profond foupir: Madame, mon cœur, mon corps & toutes mes terres font à votre commandement, & il n'y a rien qui vous put plaire que je ne fisse volontiers; jamais, fi Dien plaît, contre vous les vôtres je n'iray; & il ceda encore au Roy pour fureté de fa parole les villes de Bray, Nogent fur Seine & Montereau-fautYonne. Peu de temps après ce Comte eut ordre de la Reine de fe retirer de la Cour, choquée apparemment de la liberté qu'il prenoit de luy témoigner fa tendreffe. Quelque férieufe que fût cette affaire, le Comte la mit en chanfon (chofe pour laquelle il avoit un grand talent) & rien n'étoit plus en vogue que les chanfons du Roy de Navarre; qui en cette occasion dit: Amour le veult, & ma dame m'en prie. Que je m'en part: je moult l'en merci, Quand par le gré ma dame m'en chasti; Meilleur raifon ny voy à ma partie. 1238. Traduction. L'amour le vent & ma maitresse aussi Robert frere du Roy haïffoit toûjours le Comte de Champagne; les domeftiques de Robert ayant fçu que ce Comte devoit aller au Palais pour prendre congé du Roy, l'attendirent fur le chemin, ils l'infultérent jufqu'à couper la queuë de fon cheval, & à le charger luy-inême d'ordures. Quelques-uns ayant été faifis par ordre du Roy furent condamnés à la mort; mais Robert pour leur fauver la vie, avoüa qu'il étoit le principal coupable, & que tout s'étoit fait par fon ordre ; ce qui ne ne caufa pas peu d'embarras. On fit à Thibault toutes les fatisfactions qu'on put s'imaginer: le Roy le combla d'amitié & d'honneur, & luy promit de prendre la Champagne fous fa protection & de la défendre comme fon propre bien pendant le voyage qu'il alloit faire dans laPaleftine. Thibault retourna en Navarre, & enfin il partit pour la Terre fainte l'an 1238. après avoir engagé par fon exemple les Ducs de Bourgogne & de Bretagne & quantité d'autres Princes & Seigneurs à cette entreprife. Tous le reconnurent d'abord pour leur Général, mais il n'en eut que le titre, chacun de ces Princes voulut commander fes propres troupes indépendainment d'aucun chef. Ils furent obligés à caufe des guerres entre les Princes d'Italie, de prendre leur route par l'Allemagne, la Hongrie & la Thrace, d'où ils pafférent en Afie: & après avoir avec des travaux & des fatigues incroyables paffé le détroit du mont Taurus & furmonté les obftacles que leur apporta le Sultan de Cogny, ils arrivérent enfin à Jaffé. La défobéiffance, le peu de difcipline, & le déreglement des mœurs mirent le défordre dans toute cette armée commandée par tant de chefs, dont les efprits étoient fi différens. Une nuit les Comtes de Montfort & de Bar furent furpris à l'écart & battus par les Infideles, le Comte de Bar fe perdit fans que depuis on n'en ait pu avoir aucunes nouvelles, & pour comble de malheur les chefs de cette armée, comme s'ils euffent appréhendé que leur défaite ne vînt pas affez tôt, prirent les uns avec les Templiers le parti du Soudan de Damas contre celuy d'Egypte, & les autres avec les Hofpitaliers de S. Jean celuy du Soudan d'Egypte contre celuy de Damas: de maniere que ces deux Ordres militaires, bien-qu'établis pour défendre la cause commune des Chrétiens contre les Infideles (toûjours jaloux l'un de l'autre à caufe de leurs différens interêts) achevérent de ruiner tous les vastes defseins des Princes croifés, qui furent obligés de ramener en France les débris de leurs troupes. L'an 1241. Thibault, qui étoit revenu 1241. depuis quelque temps de la Terre fainte, fut préfent avec quelques Seigneurs confidérables lorfque le Roy S. Louis déclara Alphonfe fon frere Comte de Poitiers & d'Auvergne ce qui fe fit avec beaucoup d'éclat. Après la cérémonie il y eut un grand repas à deux tables: le Roy étoit à la premiere avec les Princes fes freres, & Thibault Comte de Champagne Roy de Navarre avec plufieurs Seigneurs confidérables étoit à la feconde. En l'année 1244. Nicolas de Motis, Sé1244. néchal de Gascogne pour le Roy d'Angleterre gagna une bataille contre Thibault. On ignore le fujet de cette guerre: on croit néanmoins que Thibault vouloit ufurper le païs de Mixe & d'Oftanaret fur Arnauld Ramon, Vicomte de Tartas, parce qu'en conféquence de ce combat il ceda fes droits fur ce païs, & donna encore deux places à Gafton Seigneur de Bearn par traité de l'an 1247.1247. Thibault cut dans fes derniers jours de grands démêlés avec les Eccléfiaftiques. Il 1 |