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VUES GÉNÉRALES.

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goût général; on ne fut plus rien quand on n'avoit point orné fon efprit, & les Grecs commencèrent alors d'avoir une littérature, c'est-à-dire, un dépôt de connoiffances, amaffé par un certain nombre de citoyens, pour l'inftruction & l'avantage de tous.

par

Voyez la Perse, voisine de la Grèce,

fes Etats fi étendus & fi floriffaus. Elle ne fit rien pour les lettres; elle se borna à la culture des arts de luxe & à la recherche de nouveaux plaifirs; il sembloit que la molleffe du climat & l'abus des fuperfluités de la vie n'eût laiffé aucun efprit à cette grande nation. Il s'écoula plufieurs générations d'hommes fans qu'elle empruntât aucune connoiffance agréable de fes voifins fi ingénieux & fi polis. Cependant la Perfe étoit un pays policé, dont l'adminiftration étoit ferme autant qu'elle peut l'être dans un Etat defpotique ; mais le mépris qu'elle faifoit des arts & des lumières des Grecs, l'achemina peu-à-peu vers fa ruine, lorfqu'Alexandre, muni de toutes les connoiffances de la Grèce,

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foutenu par une armée de trente mille hommes, pénétra dans l'intérieur de la Perfe, & renverfa dans une bataille ce coloffe d'une grandeur effrayante.

La Perse ne fut pas le feul grand Etat de l'antiquité, qui ne fit rien pour les lettres. La Macédoine elle-même fembla les dédaigner depuis la mort d'Alexandre. Elles fleurirent un moment en Egypte, fous les Ptolémées; mais on peut dire que les monarchies leur furent moins favorables que la liberté; tant les fucceffeurs d'Alexandre entendoient mal leurs intérêts! Il n'en fut pas de même des rois de Sicile, plus anciens qu'eux, & appliqués à attirer les arts & les favans dans leur fle; auffi lui donnèrent-ils un éclat prodigieux; la Sicile dans ce temps-là attira les regards de tout l'univers.

Rome, plus éclairée que ne l'étoient communément les Etats anciens, quand elle eut un maître dans Augufte, elle eut en même-temps un zélé protecteur des lettres. Le goût du prince contribua au règne des arts; il s'y connoiffoit, & il

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étoit trop habile pour n'en pas fentir toute l'importance. Si fes fucceffeurs avoient penfé comme lui; s'ils avoient confervé les établiffemens fondés pour les favans; fi au lieu de les perfécuter comme ils firent, ils avoient continué de les attirer à leur cour, de les confulter fur les chofes qui étoient de leur reffort, il est probable que le gouvernement fe feroit bien évité des fautes, & auroit reculé l'inftant de la décadence de l'empire.

C'est en quoi la fageffe de Louis XIV a été admirable. Il a formé des académies, c'est-à-dire, des compagnies de gens éclairés, qui font dans l'Etat des dépôts vivans des connoiflances humaines, le foyer des lumières de la nation, d'où les rayons fe répandent à toute la circonférence. Les avantages de ces corps ont été fi bien fentis que tous les Etats de l'Europe ont voulu en avoir à notre exemple. C'est ce qui fait que l'Europe eft aujourd'hui dans un degré de civilisation, de lumières & de grandeur, dont on ne fe feroit point douté il y a un fiècle, quand on auroit eu toute

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la fagacité imaginable pour lire dans l'avenir.

Comparez l'état de l'antiquité à celuilà, vous ferez étonné de la différence. Quelques parties éclairées qui s'obscursisfent, à mesure que d'autres s'éclairent à leur tour; les ténèbres répandues fur la plus grande partie des pays connus & fréquentés par les Grecs & les Romains; point de communication de lumières entre des Etats voifins & liés d'intérêts; des barrières infurmontables oppofées au favoir, par la barbarie des peuples & l'ignorance des princes; l'efprit militaire & le goût des plaifirs, incompatible chez la plupart avec les arts de l'efprit & les moyens de civilifation; il fembloit qu'un génie, ennemi du genre humain, étoit par-tout pour croifer les opérations de la penfée, & déconcerter les efforts des fages, qui n'avoient pas feulement en vue leur patrie, mais le bien général des peuples. Platon & Xénophon, dont les ouvrages instruifent aujourd'hui toutes les nations; Hérodote, qui avoit voyagé chez tant de peu

ples; Thucydide, qui dans une feule histoire, avoit ouvert une école de politique à tout l'univers, ces grands hommes n'étoient connus que dans Athènes & dans la Grèce. Une indifférence ftupide étoit le triste appanage des autres nations; mais les Romains eurent le bon efprit d'étudier, les Grecs, dès qu'ils leur furent connus; ils les imitèrent même avec fuccès; l'Europe fembla s'affranchir des préjugés de l'ignorance & des chaînes de la barbarie. Malheureusement que cet état ne fut pas de longue durée.

Voici, ce me femble, quel fut le tort des Romains. Ils donnèrent trop aux arts d'agrément, & pas affez à l'efprit de philofophie. Une multitude de poetes & d'orateurs, peu d'hommes curieux des fciences naturelles, que la poéfie & l'éloquence auroient également embellies. Les Romains étudièrent les livres des Grecs; mais ils ne suivirent point la marche de cette nation curieufe & toujours avide de nouvelles connoiffances. Lorsqu'Alexandre parcouroit le monde en conquérant", il

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