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CHAPITRE VI.

DE LA FRANCE.

ON ignore quel étoit l'état des lettres

dans les Gaules fous les Druïdes ; il ne paroît pas qu'elles y fuffent beaucoup cultivées. Ce qu'on en avoit, fe bornoit probablement aux befoins de la religion & à des chanfons qui chez les peuples barbares, font la feule littérature. Il faut aller jufqu'à l'établissement de la puissance romaine dans ce pays, jufqu'au règne des empereurs, pour y trouver des gens de lettres & un certain goût des arts dans les villes. J'en excepte Marseille qui étoit une colonie grecque où les lettres s'étoient toujours maintenues & avoient fleuri depuis fon berceau, heureuse habitude qu'elle avoit reçue des Phocéens, & où elle s'étoit entretenue par le commerce des Grecs.

Ce fut fous les empereurs que les Gaules commencèrent à figurer dans les lettres,

lorfque plufieurs grandes villes eurent acquis le droit de cité, & qu'il s'établit des académies, des fpectacles à Vienne, à Lyon, à Bordeaux. Il n'est pas surprenant qu'une nation ingénieufe comme celle des Gaulois, continuellement mêlée avec les Romains, ait fait des efforts heureux, adopté le goût de leur langue & réuffi dans les productions qui plaifoient aux maîtres du monde. On aima les vers dans les Gaules, on en faifoit, & les premiers génies de Rome tenoient à honneur que leurs ouvrages fuffent recherchés & lus dans certaines villes plus opulentes & plus lettrées. L'é'mulation s'en mêla; il y eut des concours pour l'éloquence & la poéfie. Celui de Lyon eft affez fameux par les conditions qu'on imposoit aux vaincus. Nous avons perdu prefque tous les monumens de ce -tems-là; mais les hiftoriens nous en difent affez pour nous donner une idée de l'état des lettres dans les pays arrofés par le Rhône, la Garonne & la Loire. 2 L'établissement de la religion chrétienne dans les Gaules, y donna naiffance à un

genre de littérature qui devint riche dans les mains des hommes célèbres dont nous avons encore les ouvrages. Saint Céfaire, faint Hilaire de Poitiers, faint Profper, Sulpice Sevère furent des hommes trèséloquens. Salvien, prêtre de Marseille, qui écrivoit auffi en latin, les furpaffa tous par la force de fon ftyle, la grace & la vivacité de fes tours. Son traité de la Providence mérite d'être lu en entier. Maffillon faifoit gloire d'y avoir pris fes tours les plus éloquens : il eft aifé de s'en convaincre, quand on connoît cet admirable ouvrage de Salvien.

Les lettres profanes ne fleuriffoient pas moins dans les Gaules. Les poéfies d'Aufone font encore ce qui nous refte de mieux écrit & de plus agréablement pensé de ces fiècles-là. Nous avons auffi des ouvrages de Sidoine Appollinaire, qui, quoiqu'inférieurs à ceux d'Aufone, se font lire avec plaifir.

Les inondations des barbares ruïnèrent les lettres dans les Gaules, comme dans les autres provinces de l'Empire. La retraite

des empereurs à Conftantinople, enfuite la foibleffe de l'Empire en Occident, les malheurs de tout genre qui accablèrent les Gaulois, la domination des Francs, peu favorable aux lettres, dans les com mencemens de la conquête, les guerres fanglantes de la famille de Clovis, mille causes détruifirent ce qui reftoit de beaux arts, & mille causes les empêchoient de renaître. L'époque brillante du règne de Charlemagne ne fut pas de longue durée. Qu'auroient fait les lettres fans ce prince? Il n'exiftoit point de langue, fi ce n'eft un latin déjà fort altéré, & qu'il eût été prefque impoffible de rétablir, même en rappellant les meilleurs écrivains de l'ancienne Rome. Ce ne fut que fous la troifième race de nos rois, que reparut l'aurore des belles connoiffances & du goût; encore fut-il très-imparfait dans fes premières tentatives; il n'y a qu'à lire nos vieux romanciers.

Tous les ouvrages d'efprit, fi nous pouvons donner ce nom à des productions informes, fe faifoient alors dans les cloîtres,

Point de connoiffance des règles, point d'exactitude à obferver le peu qu'on s'en étoit fait, nulle délicateffe dans les peintures; un ftyle diffus qui décrivoit tout fans difcernement, une exactitude qui ne fongeoit qu'à dire les chofes, fans s'embarraffer de la manière de les dire, négligeant de revêtir d'images nobles ou gracieufes les fujets qui en étoient fufceptibles; point de deffin, point de plan, des chroniques en vers comme en profe, des allégories éternelles & forcées; voilà quel fut pendant long-tems l'état de la poéfie & des lettres en France. On écrivoit affez, mais on écrivoit mal.

Les premiers ouvrages intéreffans qu'on puiffe citer avec éloge dans notre littérature moderne, ce font les mémoires de Joinville pour la profe, & les chansons de Thibaud, comte de Champagne, pour la poéfie. Tous deux fe diftinguent par la naïveté & le naturel; leur ftyle est senti & il y a de la pensée. Mais la langue étoit fi imparfaite & fi loin d'être formée, qu'elle reffemble plutôt chez eux aux bégayemens

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