ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

qui m'étonne un peu, je l'avoue, c'est que ee Difcours m'ait fufcité de vrais ennemis, bien réfolus, quoiqu'il arrive, de me refuser à jamais leur approbation, & de m'enlever s'ils le pouvoient, celle que les indifférens croiroient me devoir. Rien ne prouve mieux la mifere de notre efprit, fi follement entêté de fon opinion qu'il s'aigrit & s'irrite contre tous ceux qui la contredifent. On croit voir du mépris dans ceux qui ne penfent pas comme nous; & fur le fimple foupçon, l'amour propre fe hâte de s'en venger par la haine. Pour moi, je ne m'en attirerois pas par mes fentimens même les plus hardis, fi l'on pouvoit lire au fond de ma penfée; car me défiant toujours de ce que je dis quelquefois le plus affirmativement, je conferve encore des égards pour l'opinion contraire. Je foupçonne toujours qu'il y a dans les chofes en queftion quelque face qui nous échape aux uns & aux autres, & qu'il ne manque, pour être plus d'accord, que de fe mieux entendre. Mais on fe plaît à fe croire plus éloigné qu'on ne T'eft: on fe partage légerement en plufieursfectes; & par exemple fur les Anciens, on compte d'un côté des admirateurs idolâtres, & de l'autre des critiques envenimés. Je crois cependant que ces deux prétendues fectes ne font pas fi nombreufes qu'on fe

l'imagine. J'ai vu plufieurs de ces Sçavans qu'on rangeroit dans la premiere, parler auffi tranquillement d'un Ancien que d'un Moderne, y reconnoître librement des défauts, & les qualifier quelquefois avec auffi peu d'égard qu'auroit pû faire le Critique le plus déterminé. J'ai vû auffi de ces prétendus Critiques fe récrier ingénûment fur le génie, la jufteffe ou l'élégance de bien des Ouvrages anciens, & en relever beaucoup d'endroits avec toute la paffion: d'un admirateur. Le malheur eft que quand on vient à fe regarder comme adverfaires, l'efprit de parti vient tout déranger. On ne parle plus comme on faifoit entre gens. non fufpects; & de peur de laiffer prendre le moindre avantage, on paroît divifé furtout, quoiqu'au fond, on foit d'accord. fur bien des chofes. Il me femble pourtant. que de jour en jour les efprits deviennent plus moderés fur cette matiere. On convient affez qu'il faut examiner indiftincte-ment tous les Ouvrages fans acception de pays ni de fiécle; qu'à juger naturellement des grands génies répandus dans les diffé rens âges, le mérite de l'invention doit être d'un côté, & que celui du progrès doit être de l'autre ; qu'en regardant les Anciens comme nos Maîtres, on peut croire que plufieurs de leurs difciples ont été plus loin

qu'eux, fans même avoir été d'auffi grands hommes ; qu'il faut enfin les étudier les uns & les autres, fentir & aprécier le beau par tout où il fe trouve, fans que le refpect de l'Antiquité nous le furfaffe, ou que pour être plus voifin de nous & même notre contemporain, nous rabattions rien de fon prix. En un mot, il ne nous importe que de bien juger; & toutes nos études, toutes nos réflexions font vaines, fi elles ne nous conduifentace but.

Ce font ces principes qui m'ont guidé dans mon Imitation d'Homere & dans les jugemens que j'ai portés de lui. J'ai diftingué l'Auteur & l'Ouvrage. Homere, en le regardant comme inventeur, m'a paru perfomellement admirable par le génie fupérieur qu'il lui falloit pour s'ouvrir une fi belle carriere : mais ce qu'il a inventé m’a paru défectueux en bien des chofes, parce qu'il ne pouvoit s'élever alors au point de justesse & de beauté où eft parvenu depuis fa propre invention par l'accroiffement de l'art & des lumieres, qui ne pouvoit être que le fruit du temps, & auquel fon Ou-vrage même a donné lieu.

J'ai changé ces défauts, qui le font du moins à mes yeux, dans les fept derniers Livres de mon Imitation : mais j'en ai laiffé dans les premiers qui m'ont attiré de quel-

ques gens des reproches de timidité, tandis que d'autres m'en faifoient de mes hardieffes. J'ai foufcrit aux premiers reproches. J'ai même indiqué dans mes Réflexions fur la Critique, les changemens que j'aurois dû faire ; & je les ai faits enfin dans cette édition. Je n'entrerai là-deffus dans aucun détail pour éviter tout air de difpute. En expofant ce qui m'a paru vicieux dans Homere, & ce que je crois y avoir fubftitué de raifon nable, j'exciterois encore des contradictions; & je facrifie de bon cœur à l'amour de la paix le plaifir de faire valoir le peu d'art que je puis avoir mis dans mes corrections. Mes Confreres les Auteurs fentent bien ce que coûte ce facrifice; mais je m'en dédommage avantageufement par l'honneur de leur donner un bon exemple.

[blocks in formation]
« ÀÌÀü°è¼Ó »