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« Dès que l'obscurité régnera dans la ville,
⚫ Je me veux introduire au logis de Lucile;
• Va vite de ce pas préparer pour tantôt,

⚫ Et la lanterne sourde, et les armes qu'il faut. »>
Quand il m'a dit ces mots, il m'a semblé d'entendre:
Va vitement chercher un licou pour te pendre.
Venez çà, mon patron; car, dans l'étonnement
Où m'a jeté d'abord un tel commandement,

Je n'ai pas eu le temps de vous pouvoir répondre ;
Mais je vous veux ici parler, et vous confondre :
Défendez-vous donc bien, et raisonnons sans bruit.

MOLIÈRE

Vous voulez, dites-vous, aller voir cette nuit
Lucile? << Oui, Mascarille. » Et que pensez-vous faire?
« Une action d'amant qui se veut satisfaire. >>
Une action d'un homme à fort petit cerveau,
Que d'aller sans besoin risquer ainsi sa peau.

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« Mais tu sais quel motif à ce dessein m'appelle;
Lucile est irritée. » Eh bien! tant pis pour elle.
« Mais l'amour veut que j'aille apaiser son esprit.
Mais l'amour est un sot qui ne sait ce qu'il dit.
Nous garantira-t-il, cet amour, je vous prie,
D'un rival, ou d'un père, ou d'un frère en furie?
« Penses-tu qu'aucun d'eux songe à nous faire mal?»
Oui vraiment, je le pense; et surtout ce rival.
« Mascarille, en tout cas, l'espoir où je me fonde,
« Nous irons bien armés; et si quelqu'un nous gronde,
« Nous nous chamaillerons. » Oui? Voilà justement
Ce que votre valet ne prétend nullement. [maître,
Moi, chamailler1, bon Dieu! Suis-je un Roland, mon
Ou quelque Ferragus? C'est fort mal me connaître.
Quand je viens à songer, moi qui me suis si cher,
Qu'il ne faut que deux doigts d'un misérable fer
Dans le corps, pour vous mettre un humain dans la
Je suis scandalisé d'une étrange manière. [bière,
« Mais tu seras armé de pied en cap. >> Tant pis :
J'en serai moins léger à gagner le taillis 2;
Et de plus, il n'est point d'armure si bien jointe
Où ne puisse glisser une vilaine pointe.

<< Oh! tu seras ainsi tenu pour un poltron! »>
Soit, pourvu que toujours je branle le menton.
A table comptez-moi, si vous voulez, pour quatre,
Mais comptez-moi pour rien s'il s'agit de se battre.
Enfin, si l'autre monde a des charmes pour vous,
Pour moi, je trouve l'air de celui-ci fort doux.
Je n'ai pas grande faim de mort ni de blessure,
Et vous ferez le sot tout seul, je vous assure.

SCÈNE II.

VALÈRE, MASCARILLE,

VALÈRE.

Je n'ai jamais trouvé de jour plus ennuyeux.
Le soleil semble s'être oublié dans les cieux;
Et jusqu'au lit qui doit recevoir sa lumière,
Je vois rester encore une telle carrière,
Que je crois que jamais il ne l'achèvera,
Et que de sa lenteur mon âme enragera.

1 Chamailler, c'est frapper à coups d'épée ou de hache sur une armure de fer. Il semble que le mot soit ainsi dit, parce que anciennement les hommes d'armes étaient armés de hauberts, qui étaient faits de mailles de fer. Les combattants tàchaient de les démailler et ouvrir. ( NIC.)- Il ne se dit plus guère aujourd'hui qu'en parlant d'une dispute bruyante.

2 Prendre la fuite, gagner un bois pour échapper à un danger; le sens de cette expression proverbiale en explique assez P'origine.

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Moi, je ne suis pour rien dans tout cet embarras.
Qu'ai-je fait pour me voir rouer jambes et bras?
Suis-je donc gardien, pour employer ce style,
De la virginité des filles de la ville?
Sur la tentation ai-je quelque crédit?
En puis-je mais, chétif, si le cœur leur en dit?
VALÈRE.

Oh! qu'ils ne seront pas si méchants qu'ils le disent!
Et quelque belle ardeur que ses feux lui produisent,
Eraste n'aura pas si bon marché de nous.
LA RAPIÈRE.

S'il vous faisait besoin, mon bras est tout à vous.

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Ascagne vient ici, laissons-le; il faut attendre Quel parti de lui-même il résoudra de prendre. Cependant avec moi viens prendre à la maison Pour nous frotter...

MASCARILLE.

Je n'ai nulle démangeaison. Que maudit soit l'amour, et les filles maudites Qui veulent en tåter, puis font les chattemites *!

SCÈNE V.

ASCAGNE, FROSINE.

ASCAGNE.

Est-il bien vrai, Frosine, et ne rêvé-je point?
De grâce, contez-moi bien tout de point en point.

FROSINE.

Vous en saurez assez le détail, laissez faire.
Ces sortes d'incidents ne sont, pour l'ordinaire,
Que redits trop de fois de moment en moment.
Suffit que vous sachiez qu'après ce testament
Qui voulait un garçon pour tenir sa promesse,
De la femme d'Albert la dernière grossesse
N'accoucha que de vous, et que lui, dessous main,
Ayant depuis longtemps concerté son dessein,
Fit son fils de celui d'Ignès la bouquetière,
Qui vous donna pour sienne à nourrir à ma mère.
La mort ayant ravi ce petit innocent
Quelque dix mois après, Albert étant absent,
La crainte d'un époux et l'amour maternelle,
Firent l'événement d'une ruse nouvelle.

Sa femme en secret lors se rendit son vrai sang,
Vous devîntes celui qui tenait votre rang;
Et la mort de ce fils mis dans votre famille
Se couvrit pour Albert de celle de sa fille.
Voilà de votre sort un mystère éclairci,
Que votre feinte mère a caché jusqu'ici ;

Elle en dit des raisons, et peut en avoir d'autres,
Par qui ses intérêts n'étaient pas tous les vôtres.
Enfin cette visite, où j'espérais si peu,
Plus qu'on ne pouvait croire a servi votre feu.
Cette Ignès vous relâche, et, par votre autre affaire,
L'éclat de son secret devenu nécessaire,
Nous en avons nous deux votre père informé;
Un billet de sa femme a le tout confirmé;
Et poussant plus avant encore notre pointe,
Quelque peu de fortune à notre adresse jointe,
Aux intérêts d'Albert, de Polidore, après,
Nous avons ajusté si bien les intérêts,

'Ce mot signifie l'affectation d'une contenance humble, douce

Si doucement à lui déployé ces mystères,
Pour n'effaroucher pas d'abord trop les affaires;
Enfin, pour dire tout, mené si prudemment
Son esprit pas à pas à l'accommodement,
Qu'autant que votre père il montre de tendresse
A confirmer les nœuds qui font votre allégresse.
ASCAGNE.

Ah! Frosine, la joie où vous m'acheminez...
Eh! que ne dois-je point à vos soins fortunés!

FROSINE.

Au reste, le bon homme est en humeur de rire, Et pour son fils encor nous défend de rien dire. SCÈNE VI.

POLIDORE, ASCAGNE, FROSINE.

POLIDORE.

Approchez-vous, ma fille, un tel nom m'est permis,
Et j'ai su le secret que cachaient ces habits.
Vous avez fait un trait qui, dans sa hardiesse,
Fait briller tant d'esprit et tant de gentillesse,
Que je vous en excuse, et tiens mon fils heureux
Quand il saura l'objet de ses soins amoureux.
Vous valez tout un monde, et c'est moi qui l'assure.
Mais le voici; prenons plaisir de l'aventure.
Allez faire venir tous vos gens promptement.

ASCAGNE.

Vous obéir sera mon premier compliment.

SCÈNE VII.

POLIDORE, VALÈRE, MASCARILLE.

MASCARILLE, à Valère.

Les disgrâces souvent sont du ciel révélées.
J'ai songé cette nuit de perles défilées

Et d'œufs cassés; monsieur, un tel songe m'abat.
VALÈRE.

Chien de poltron!

POLIDORE.

Valère, il s'apprête un combat Où toute ta valeur te sera nécessaire. Tu vas avoir en tête un puissant adversaire.

MASCARILLE.

Et personne, monsieur, qui se veuille bouger
Pour retenir des gens qui se vont égorger?
Pour moi, je le veux bien; mais au moins, s'il arrive
Qu'un funeste accident de votre fils vous prive,
Ne m'en accusez point.

POLIDORE.

Non, non; en cet endroit

et flatteuse, pour tromper quelqu'un, ou pour attraper quelque Je le pousse moi-même à faire ce qu'il doit.

chose. C'est un composé de cata, chatte, et de mitis, doux Rien ne pouvait mieux exprimer une mine douce et flatteuse que ces deux mots joints ensemble. (MÉN.)

Père dénaturé!

MASCARILLE.

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SCÈNE VIII

ALBERT, POLIDORE, LUCILE, ÉRASTE, VALÈRE, MASCARILLE.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ.

Eh bien! les combattants? On amène le nôtre.
Avez-vous disposé le courage du vôtre?
VALÈRE.

Oui, oui, me voilà prêt, puisqu'on m'y veut forcer;
Et si j'ai pu trouver sujet de balancer,
Un reste de respect en pouvait être cause,
Et non pas la valeur du bras que l'on m'oppose;
Mais c'est trop me pousser, ce respect est à bout;
A toute extrémité mon esprit se résout,
Et l'on fait voir un trait de perfidie étrange,
Dont il faut hautement que mon amour se venge.
(à Lucile.)

Non pas que cet amour prétende encor à vous:
Tout son feu se résout en ardeur de courroux :
Et quand j'aurai rendu votre honte publique,
Votre coupable hymen n'aura rien qui me pique.
Allez, ce procédé, Lucile, est odieux :

A peine en puis-je croire au rapport de mes yeux;
C'est de toute pudeur se montrer ennemie,
Et vous devriez mourir d'une telle infamie.
LUCILE.

Un semblable discours me pourrait affliger,
Si je n'avais en main qui m'en saura venger.
Voici venir Ascagne, il aura l'avantage
De vous faire changer bien vite de langage,
Et sans beaucoup d'effort.

SCÈNE IX.

ALBERT, POLIDORE, ASCAGNE, LUCILE, ÉRASTE, VALÈRE, FROSINE, MARINETTE, GROS-RENÉ, MASCARILLE.

VALÈRE.

Il ne le fera pas,
Quand il joindrait au sien encor vingt autres bras.
Je le plains de défendre une sœur criminelle;
Mais puisque son erreur me veut faire querelle,
Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi.
ÉRASTE.

Je prenais intérêt tantôt à tout ceci;
Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire,
Je ne veux plus en prendre, et je le laisse faire.

VALÈRE.
C'est bien fait; la prudence est toujours de saison.
Mais...

ÉRASTE.

Il saura pour tous vous mettre à la raison.

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Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait;
Et, dans cette aventure où chacun m'intéresse,
Vous allez voir plutôt éclater ma faiblesse,
Connaître que le Ciel, qui dispose de nous,
Ne me fit pas un cœur pour tenir contre vous,
Et qu'il vous réservait, pour victoire facile,
De finir le destin du frère de Lucile.

Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras,
Ascagne va par vous recevoir le trépas :
Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire
Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire,
En vous donnant pour femme, en présence de tous,
Celle qui justement ne peut être qu'à vous.

VALÈRE.

Non, quand toute la terre, après sa perfidie Et les traits effrontés...

ASCAGNE.

Ah! souffrez que je die, Valère, que le cœur qui vous est engagé D'aucun crime envers vous ne peut être chargé; Sa flamme est toujours pure et sa constance extrême; Et j'en prends à témoin votre père lui-même.

POLIDORE.

Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur,
Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur.
Celle à qui par serment ton âme est attachée
Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée;
Un intérêt de bien, dès ses plus jeunes ans,
Fit ce déguisement qui trompe tant de gens,
Et depuis peu l'amour en a su faire un autre
Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre.
Ne va point regarder à tout le monde aux yeux.
Je te fais maintenant un discours sérieux.
Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile,
La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile,

Et qui, par ce ressort qu'on ne comprenait pas,

A semé parmi vous un si grand embarras.
Mais puisque Ascagne ici fait place à Dorothée,
Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée,
Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Et c'est là justement ce combat singulier
Qui devait envers nous réparer votre offense,
Et pour qui les édits n'ont point fait de défense.

POLIDORE.

Un tel événement rend tes esprits confus : Mais en vain tu voudrais balancer là-dessus.

VALÈRE.

Non, non, je ne veux pas songer à m'en défendre;
Et si cette aventure a lieu de me surprendre,
La surprise me flatte, et je me sens saisir
De merveille à la fois, d'amour et de plaisir :
Se peut-il que ces yeux...

ALBERT.

Cet habit, cher Valère, Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire. Allons lui faire en prendre un autre, et cependant Vous saurez le détail de tout cet incident.

VALÈRE.

Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée...

LUCILE.

L'oubli de cette injure est une chose aisée.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ.

Allons, ce compliment se fera bien chez nous,
Et nous aurons loisir de nous en faire tous.
ÉRASTE.

Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage.
Qu'il reste encore ici des sujets de carnage.
Voilà bien à tous deux notre amour couronné;
Mais de son Mascarille et de mon Gros-René,
Par qui doit Marinette être ici possédée?
Il faut que par le sang l'affaire soit vidée.

MASCARILLE.

Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop
Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien. [bien;
De l'humeur que je sais la chère Marinette,
L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette.

MARINETTE.

Et tu crois que de toi je ferais mon galant?
Un mari, passe encor; tel qu'il est, on le prend;
On n'y va pas chercher tant de cérémonie :
Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie.
GROS-RENÉ.

Écoute, quand l'hymen aura joint nos deux peaux,
Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaux.

MASCARILLE.

Tu crois te marier pour toi tout seul, compère?

1 Anciennement merveille signifiait admiration, étonnement. Merveille ne se dit plus de l'admiration elle-même, mais seulement de ce qui la produit. (A.)

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