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traction de toute forte d'utilité, & fans aucune vûë d'intérêt, il eft de lui-même loüable & eftimable: & quoi que la définition que je viens d'en donner faffe concevoir à peu près ce que c'eft, on le connoît encore davantage, par le fentiment univerfel de tout le monde, & par l'exemple de tant de gens de bien, qui fans aucun autre motif que celui de l'honnêteté, & de la droiture, ont fait quantité de chofes dont ils voyoient bien qu'ils n'avoient nul avantage à: efpérer. Car les hommes différent prin-cipalement des bêtes, en ce que la nature leur a donné la raifon, & une in-telligence vive & perçante, qui péné tre, qui examine plufieurs chofes en même temps; & une fagacité d'efprit, pour ainfi dire, qui voit les caufes, & les conféquences de chaque chofe; qui transporte la reffemblance d'une chofe à l'autre, qui joint celles qui font féparées; qui affemble l'avenir avec le préfent; & qui comprend l'état de tout le cours de la vie.

Par la raifon l'homme recherche la fociété des autres hommes, & il fe conforme à leurs maniéres, à leur langage, & à leurs coûtumes; en forte que de l'amitié de fes domeftiques, & de fa far

mille, il paffe à celle de fes citoyens, & s'étend enfin à celle de tous les mortels. Car l'homme, ainfi que Platon écrivoit à Architas, doit fe fouvenir qu'il n'eft pas né feulement pour lui, mais pour les fiens & pour la patrie; & qu'il ne lui refte qu'une petite portion de luimême, dont il puiffe difpofer.

De plus, comme l'envie de découvrir la vérité lui eft naturelle (ce qui fe voit aifément, lorfque n'ayant rien à faire nous cherchons même à favoir ce qui fe fait dans le ciel) de là vient que nous aimons tout ce qui eft vrai, comme la fidélité, la fimplicité, la conftance; & que nous haïffons tout ce qui eft faux & qui nous trompe, comme la fraude, le parjure, la malignité, & l'injustice. Enfin la raifon a je ne fai quoi de noble & de grand en elle-même; elle eft plus portée à commander qu'à obéir: elle regarde tous les accidens humains, non. feulement comme tolérables,mais com me de peu d'importance; & par la fu blimité & l'élévation qui lui eft propre, elle n'a peur de rien, elle ne fuccombe à. rien, & elle demeure toûjours invinci ble.

A ces trois genres de chofes honnêtes que nous venons de marquer, qui font

la fageffe, l'amour de la droiture, & la grandeur de courage, fe joint un quatriéme genre, qui eft celui de l'ordre & de la modération, par le moyen duquel on régle de telle forte fes paroles & fes actions, qu'on évite la témérité en toutes chofes, qu'on s'empêche de nuire à perfonne, ni de paroles ni autrement, & qu'on fe garde bien de rien faire & de rien dire qui puiffe être indigne d'un homme. Voilà précisément, Torquatus, ce que c'est que l'honnêteté, qui confifte dans - les quatre vertus dont vous avez aussi parlé. Votre Epicure dit qu'il ne fait ce que c'eft, ni ce que veulent dire ceux qui réglent le fouverain bien par là. Car il prétend que de rapporter toutes chofes à l'honnêteté, fans y joindre la volupté, c'eft dire des paroles vui des de fens (ce font fes propres termes) & qu'il ne fauroit comprendre ce qu'on peut entendre par le mot d'honnêteté; puifque, fuivant l'ufage ordinaire de parler, on n'appelle honnête que ce que l'opinion publique estime glorieux: & cela, ajoute-t-il, peut à la vérité être quelquefois plus agréable que certaines voluptez; mais il n'est jamais recherché que pour la volupté qui y eft attachée.

Vous voyez maintenant quelle différence il y a entre nos opinions. Un grand Philofophe qui a ébranlé, nonfeulement la Gréce & l'Italie,mais pref que toutes les Nations bar bares, dit qu'il ne peut pas comprendre ce que c'eft que l'honnêteté fans la volupté, à moins que peut-être on n'entende parler de ce qui eft loüé par le bruit commun du Peuple; & moi je dis que cela même eft fouvent honteux : que fi quelquefois il ne l'eft pas, cependant il ne laiffe pas d'être honteux d'eftimer une chofe honnête, parcequ'elle eft loüée du public.. Quant à ce qui eft bon & loüable de foi, ce n'eft pas à caufe des loüanges du public qu'il devient honnête, mais à caufe qu'il eft effectivement tel: en forte que quand les hommes, ou n'en connoîtroient rien, ou n'en diroient rien, il ne laifferoit pas d'être loüable & eftimable par fa beauté propre.

C'eft pourquoi la force de la vérité, à laquelle on ne peut réfifter, a fait dire en un autre endroit à Epicure, ce que vous avez déjà dit vous-même, qu'on ne peut vivre agréablement, fi en ne vit honnêtement. A votre avis, felon lui, honnêtement veut-il dire la même chofe qu'agréablement? Ce feroit

dire qu'on ne peut vivre honnêtement, fi on ne vit honnêtement. Ou veut-il dire, fi on n'eft loué du Public? Si cela eft, il dit donc que fans la réputation de la multitude on ne peut vivre agréablement ; & cela étant, il fait dépendre de l'opinion des fous le bonheur de la vie d'un homme fage.

Qu'entend-il donc en cet endroit par le mot d'honnête? Rien affurément que ce qui mérite par foi-même d'être loué: car s'il n'entend que ce que la volupté fait rechercher, qu'y a-t-il de loüable dans ce qu'on peut trouver au marché & à la boucherie? Il n'eft pas homme non plus, ni à vouloir entendre par l'honnêteté l'approbation du Peuple, ni à prétendre que fans l'approbation de la multitude, il foit impoffible de me-. ner une vie agréable; puifqu'il fait affez de cas de l'honnêteté, pour dire que fans cela on ne peut vivre agréablement; & par conféquent il n'a pû entendre par le mot d'honnêteté autre chofe que ce qui eft véritablement jufte & raisonnable, & qui de lui-même & par fa propre nature mérite d'être loüé.

Auffi, lorfque vous difiez qu'Epicure ne ceffoit de crier, qu'on ne peut vivre agréablement, fi on ne vit honnête

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