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ment, fagement & juftement, il me fembloit, Torquatus, que vous triomphiez; & la dignité des chofes qu'on a accoûtumé d'entendre par là, donnoit tant de force à vos paroles, que vous en deveniez plus grand; & qu'infistant avec ardeur, & me regardant vous fembliez me dire: Vous voyez donc qu'Epicure loue quelquefois l'honnêteté & la justice. Que vous aviez bonne grace de vous fervir de ces termes, fans l'ufage defquels il ne feroit plus queftion "ni de Philofophie ni de Philofophes ! Car apparemment vous avez crû que ce font les termes de 'fageffe, de juftice, de force, & de tempérance, fi peu familiers pourtant à Epicure, qui ont fait que tant de grands hommes d'un excellent efprit fe font adonnez à l'étude de la Philofophie.

Quoi que le fens de la vûë foit extrêmement perçant, ce n'eft point pourtant par les yeux, dit Platon, qu'on peut appercevoir la fageffe: & quel ardent amour n'exciteroit-elle point dans le cœur des hommes, fi on la voyoit ! Mais pourquoi dit-il cela, à votre avis? Eft ce parce que c'eft une habile ouvrière de voluptez? Pourquoi loüe-t-on auffi la justice? Et d'où vient qu'on dit ordi

nairement d'un homme de bien, que c'est un homme avec qui on pourroit joüer (20) au nombre dans les ténébres? Ce proverbe, qui eft ancien, ne peut-il pas s'étendre à tout, pour montrer que ce n'eft point la confidé ̈ation des hommes, mais uniquement celle des chofes mêmes, qui doit régler nos

actions?

Quant à ce que vous avez dit, que les méchans font tourmentez, non-feulement par les remords de leur propre confcience, mais encore par la frayeur des peines que les loix leur font quel quefois fouffrir ; ou qu'ils craignent d'avoir à fouffrir tôt ou tard; pourquoi n'avez-vous parlé que d'un méchant homme,qu'on fuppofe foible & timide? Imaginez-vous un homme adroit, qui rapporte tour à fes fins, un homme rufé, fourbe, corrompu, & toûjours at

tentif

(20) Le proverbe Latin eft, Quicum in ten br's mices, j'en ai déjà parté dans ma traduction de la Divination de Ciceron, où j'ai marqué que c'est un jeu qui eft encore fort en ufage à Rome par mi le peuple. De deux hommes qui y veulent jouer, l'un, tenant la main fe mée, éleve tout d'un coup un do:gt ou deux, ou trois ou quatre, ou toute la main, comme il lui plaît: & l'autre, dans le même temps, doit pour gagner, dire quel nombre de doigts celui contre qui il joue a élevé.

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tentif à tromper, lorfqu'il peut le faire fans témoins, & fans qu'on s'en aperçoive: que fera fur lui la frayeur des peines?

Croyez-vous que je vous veuille parler Lucius Tubulus Préteur, qui étant chargé de faire le procès à des affaffins, prit fi ouvertement de l'argent pour les juger favorablement, que l'année d'après Publius Scévola Tribun porta l'affaire au Peuple, pour favoir s'il ne vouloit pas qu'on la pourfuivît? Dès que le Séfur le Decret du Peuple, eut ordonné à Cnéïus Cépion Conful, d'en faire informer, Tubulus prit auffi-tôt le parti d'aller de lui-même en éxil, fans ofer se défendre d'une chose qui étoit manifeste à tout le monde.

nat,

Ce n'eft donc pas feulement d'un homme, qui ne foit que méchant, qu'il faut parler; mais d'un homme méchant & habile, comme Quintus (21) Pompéïus,

dans

(21) Il fut le premier Conful de la famille des Pompées après avoir été défait par les Nu mantins, contre lefquels il avoit été envoyé, il fit avec eux une paix honteuse, dans laquelle il avoit eu l'adreffe de fe fervir de termes ambigus; & qui fut blámée par la Republique. Il fut pere, les autres difent grand-pere de Pompée Strabon, qui après avoir triomphé des ennemis dans la guerre So

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dans le Traité de Numance ni d'un homme qui ait peur de tout; mais d'un homme qui compte pour rien les reproches de fa confcience, qu'il n'a pas de peine à faire taire. Car bien loin qu'un homme méchant, couvert & caché, fe laiffe découvrir, il fera fi bien qu'il paroîtra indigné du crime d'autrui, & c'eft en quoi confifte l'habileté des fourbes.

Je me fouviens d'avoir affifté à une confultation que faifoit Publius Sextilius Rufus: il difoit qu'il étoit héritier de Quintus Fadius Gallus, dans le teftament duquel il étoit porté, que lui Sextilius l'avoit prié de laiffer toute fa fucceffion à fa fille Fadia. Sextilius le nioit, & il pouvoit le nier impunément; car qui l'auroit pû convaincre ? Cependant, comme il s'agiffoit de fon intérêt, il y avoit apparence que c'étoit lui qui mentoit, & non pas non pas celui qui avoit écrit que Sextilius l'avoit prié d'une chofe dont il auroit dû le prier: & il ajoûtoit de plus, qu'ayant promis d'obferver la

Loi

tiale, prit les armes contre Cinna, qui s'étoit emparé de l'autorité fouveraine dans Rome. Les deux armées en vinrent aux mains, & après un fanglant combat qui fe donna prefque fous les murailles de la ville, la pefte s'étant mife dans l'une & dans L'autre, Pompée en fut emporté.

Loi (22) Voconia, il n'ofoit pas aller contre, à moins qu'on n'en jugeât au

trement.

Il fe trouva à cette confultation affez d'autres jeunes gens comme moi; & de tous ceux qu'on confultoit là-deffus qui étoient de grands perfonnages, il n'y en eut aucun qui ne fût d'avis que Fadia ne pouvoit pas hériter de fon pére, plus qu'il n'étoit permis par laLoi. Ainsi Sextilius retint une hérédité immenfe, dont il n'auroit pas touché un écu, s'il avoit fuivi le fentiment de ceux qui tiennent qu'il faut toûjours préférer l'honnête à l'utile.Vous imaginez-vous qu'il en ait eu après cela quelque remords, quelque inquiétude? Rien moins. Il ne vouloit que devenir riche, il le devint, & par conféquent il en fut très-aife: car il faifoit grand cas de l'argent, & fur-tour d'un argent qui n'étoit point acquis contre la Loi, mais par la Loi. Et ne devezvous pas auffi, vous autres, vous expofer à toute forte de dangers pour acquérir des richeffes, puifqu'elles fervent à

procurer

(22) Cette Loi fut proposée l'an 124. de Rome par Voconius Saxa Tribun du Peuple: par cette Loi, que Ciceron marque ailleurs avoir été confeillée par Caton le Cenfeur, les filles étoient excluës des grandes fucceffions de leurs peres.

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