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& qu'il n'y en avoit que quant aux termes. Pour moi, il me femble que rien n'eft plus évident que la différence de leurs opinions là-deffus : & je trouve que les Stoïciens différent encore bien plus des Péripatéticiens par les chofes que par les noms ; puifque ceux-ci prétendent que tout ce qu'ils appellent du nom de bien, contribue à rendre la vie heureufe: & que nos gens au contraire foûtiennent, que tout ce qui peut rendre heureux, eft renfermé dans ce qui eft digne d'eftime. De plus, les Péripatéticiens mettent la douleur au nombre des maux : & ne s'enfuit-il pas de là que par conféquent le Sage ne peut pas être heureux fur le chevalet ? Mais pour nous qui ne mettons pas la douleur entre les maux, notre principe vous force d'avouer qu'au milieu même des tourmens le Sage eft toûjours heureux. Et ce qui prouve que c'eft l'opinion, & non la nature, qui augmente ou qui diminuë la force de la douleur ; on voit que ceux qui fouffrent pour leur patrie, fouffrent avec plus de fermeté les mêmes douleurs, & les trouvent bien moins vives, que ceux qui les fouffrent pour une moindre caufe.

Il est même impoffible que nous

la nature

foyons d'accord avec les Péripatéticiens, qui admettent trois fortes de biens, & qui difent que plus un homme eft avantagé des biens du corps ou des biens de la fortune, plus il eft heureux. Pourrions nous approuver leur opinion,nous qui tenons tout le contraire; & qui bien loin de croire, comme eux, que les commoditez du corps puiffent rendre la vie du Sage plus heureufe, ne croyons pas même que les biens, que nous appellons les premiers biens de puiffent rendre la vie ni plus heureufe, ni plus eftimable, ni plus à rechercher? Or les commoditez corporelles y doivent contribuer encore moins. Il est vrai que fi la fageffe eft à rechercher, & que la fanté de foit auffi, l'une & l'autre ensemble feront encore plus à rechercher que la fagelle toute feule. Mais fi l'une & l'au tre font dignes d'eftime, elles n'en seront pourtant pas plus dignes toutes deux enfemble que la fageffe toute feule. Car encore que nous croyions que la fanté eft digne de quelque eftime nous ne la mettons pas pour cela au rang des biens; & ainfi nous ne croyons pas qu'elle puiffe ajoûter aucun degré d'eftime à celle que la vertu mérite par el

le-même. Les Péripatéticiens, qui font d'un autre fentiment, font obligez de dire, qu'une action honnête, & exemte de douleur, eft plus à rechercher que la même action accompagnée de douleur. Nous fommes d'une autre opinion; on verra dans la fuite qui a raifon; cependant peut-il y, avoir entre eux & nous une plus grande différence pour le fond des chofes ?

De même que la lueur d'un flambeau est obscurcie la lumière du Soleil; par qu'une goute de faumure fe perd dans l'étendue de la Mer Egée, & qu'un écu ajoûté aux richesses de Créfus, ni un pas de plus ajoûté au chemin d'ici aux Indes, ne font rien; ainfi le fouverain bien étant tel que les Stoïciens difent, il faut néceffairement que toute l'eftime qu'on foit fait de ce qui a rapport au corps, entiérement obfcurcie par l'éclat & par la majefté de la Vertu. De même auffi que l'opportunité d'une occafion (car c'eft ainfi que j'appelle l'unateia des Grecs) ne devient point plus grande par le temps, parce qu'elle eft toûjours renfermée dans de certaines bornes; même une action jufte & droite ( j’appelle aiufi κατόρθωσις, à caufe que και

de

wua eft ce qui eft fait avec droiture)

de même, dis-je, une action jufte & droite, ou, fi vous voulez, une convenance, enfin le bien même qui confifte en ce qui eft conforme à la nature, ne peut croître par aucune augmentation; parce qu'il ne peut jamais devenir plus grand dans un plus long efpace de temps, non plus que l'opportunité d'une occafion devenir plus grande.

C'est pourquoi les Stoïciens ne croient pas qu'une vie heureufe foit plus à defirer, ni plus à rechercher longue, que courte; & ils fe fervent pour cela d'une comparaifon. Suppofé, difent-ils, que le mérite d'un cothurne (6) foit d'être bien fait à la jambe, mille cothurnes bien faits ne feront pas mieux faits, ni plus à eftimer qu'un feul cothurne bien fait, ni les plus grands que les plus petits. Il en eft de même du fouverain bien, qui eft toûjours renfermé dans ce qui est convenable, & à propos; le plus & le moins, foit par rapport à la multitude des chofes, foit par rapport à la durée du temps, n'y font rien: & l'objection

qu'on

(6) Les Stoïciens avoient accoûtumé de fonder la plupart de leurs argumens fur des comparaisons familieres, comme on le pourra voir dans tout ce que Caton dis pour établir & pour prouver leus deftring.

K;

qu'on fait à cela n'eft prefque rien. Si la bonne fanté, dit-on, eft plus eftimamable, quand elle dure long-temps, que quand elle dure peu; on doit auffi faire plus de cas de la fageffe, quand on en joüit long-temps, que quand on en jouit peu. Mais ceux qui parlent de la forte ne prennent pas garde, que c'eft le long efpace du temps qui fait le mérite de la fanté, & que ce n'eft.nullement la durée du temps qui fait le mérite de la vertu. Ainfi ils feroient également bien fondez à dire qu'une mort eft d'autant meilleure qu'elle dure davantage, & un accouchement tout de même. Ils ne confidérent pas qu'il y a des chofes d'autant plus à eftimer qu'elles durent peu ; & d'autres que la durée du temps fait eftimer davantage.

Une autre erreur à peu près de même efpèce que l'opinion de ceux qui penfent que le fouverain bien puiffe rece-. voir quelque augmentation, c'eft de croire qu'un Sage puiffe être plus fage qu'un autre, ou qu'un vicieux puiffe être plus vicieux. Pour nous, qui croyons que le fouverain bien ne peut recevoir d'augmentation, il ne nous eft pas permis de parler de cette forte. Car, de même que ceux qui fe noient ne font

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