페이지 이미지
PDF
ePub

qu'elle dure, & la longueur par le peu qu'on fouffre. Que fi vous joignez à cela que l'homme, dont nous parlons, ne fe laiffe point inquiéter mal-à-propos par l'appréhenfion des Dieux, & que même il fache jouir des voluptez paffées, en les rappellant fans ceffe dans fon fouvenir; encore une fois, que pourroit-il y avoir à ajoûter à un état fi heureux ?

Supofons au contraire un homme accablé de toutes fortes de douleurs d'efprit & de corps, fans espérer qu'elles puiffent jamais diminuer; fans avoir jamais goûté aucun plaifir, & fans s'attendre à en avoir jamais aucun ; pourrat-on jamais fe figurer un état plus miférable? Que fi une vie remplie de douleurs eft ce qu'il y a de plus à craindre, fans doute le plus grand des maux eft de paffer fa vie dans la douleur ; & par la même raison le plus grand des biens eft de vivre dans la volupté. Car notre efprit n'a rien autre chofe où il puiffe s'arrêter comme à fa fin, que la volupté ; & toutes nos craintes, tous nos chagrins fe raportent à la douleur : fans naturellement nous puiffions être, ni follicitez à rien que par la volupté, ni détournez de rien que par la douleur.

que

Outre cela, la fource de tout ce que nous defirons, & de tout ce que nous craignons eft dans la volupté, ou dans la douleur : & cela étant, il eft clair que tout ce qu'on fait de plus loüable & de plus honnête, fe fait par raport à la volupté. Comme donc, felon tous les Philofophes, le plus grand de tous les biens eft ce qui ne fe raporte à aucune autre chofe, & à quoi toutes chofes fe raportent, il faut néceffairement avoüer que le fouverain bien eft de vivre agréa blement. Ceux qui le font confifter dans la vertu, & qui, féduits par le feul éclat du nom, ne comprennent pas ce que la nature demande, fe trouveroient dé livrez d'une grande erreur, s'ils vouloient croire Epicure.

Pour vos vertus, qui font fi excellentes, & fi belles qui pourroit les trouver telles, & les defirer, fi elles ne produifoient de la volupté ? Car de même que ce n'eft point à caufe de la Médecine qu'on eftime la science de la Médecine, mais à cause de la fanté qu'elle procure; & que dans un Pilote ce n'eft point l'art de naviger dont on fait cas, mais l'utilité qu'on en retire: de même fi la fageffe, qui eft l'art de la vie, n'étoit bonne à rien, on n'en voudroit

2

point; on n'en veut, que parce qu'elle nous procure l'acquifition & la joüif fance de la volupté.

Vous voyez de quelle nature eft la volupté dont j'entens ici parler,afin qu'un mot qu'on prend fouvent en mauvaise part, ne me faffe point de tort. En effet, l'ignorance de ce qui eft bon ou mauvais, est le principal inconvénient de la vie; & comme l'erreur où on eft là-deffus, prive fouvent les hommes des plaisirs les plus fenfibles, & les livre fouvent auffi à des peines inconcevables, il n'y a que la fageffe, qui nous dépouillant de toutes fortes de mau vaises craintes, & de mauvais defirs. & nous arrachant le bandeau des fauf fes opinions, puiffe nous conduire fûre ment à la volupté.

Il n'y a que la fageffe, qui banniffe le chagrin de notre efprit, qui nous empêche de nous abandonner à de mauvaises frayeurs, & qui éteignant en nous, par fes préceptes, l'ardeur des cupiditez, puiffe nous faire mener une vie tranquille. Car les cupiditez font infatiables, & non feulement elles perdent les particuliers, mais fouvent elles ruinent les familles entiéres, & même les républiques. De-là viennent les hại

nes, les diffenfions, les difcordes, les féditions, les guerres. Et ce n'est point feulement au dehors, que les cupiditez agiffent avec une impétuofité aveugle; elles combatent les unes contre les autres au-dedans de nous-mêmes, & elles ne font jamais d'accord. Comme il feroit donc impoffible que la vie ne devint par-là très-amére, il n'y a que le fage, qui retranchant en lui toute forte de crainte frivole & d'erreur, & fe renfermant dans les bornes de la nature, puisse mener une vie exempte de crainte & de chagrin.

Or, qu'y a-t-il de plus utile, & de plus propre à contribuer à la félicité de la vie, que la partition qu'Epicure a faite des cupiditez ; les unes naturelles & néceffaires; les autres naturelles, mais non pas néceffaires ; & les autres ni naturelles, ni néceffaires. On fatis fait les néceffaires, fans beaucoup de peine, & fans beaucoup de dépense; les naturelles n'en demandent pas même beaucoup; parce que les choses dont la nature fe contente, font aisées à acquerir, & ont leurs bornes; mais les cupiditez inutiles n'en ont point.

[ocr errors]

Si toute la vie des hommes eft donc: troublée par l'erreur, & par l'ignoran

ce, & fi la fageffe feule peut nous exempter de la guerre des paffions nous délivrer de toute forte de terreur, nous aprendre à fuporter les injures de la fortune, & nous enfeigner tous les chemins, qui vont au repos & à la tranquilité; pourquoi ferons-nous diffi culté de dire, qu'il faut rechercher la fageffe, à caufe de la volupté, & qu'il faut éviter l'ignorance & la folie, à caufe des maux qu'elles entraînent avec elles?

Jedirai par la même raifon, qu'il ne faut point rechercher la tempérance pour elle-même, mais pour le calme qu'elle aporte dans les efprits, en les mettant dans une affiette douce & tranquile. Car j'apelle tempérance ce qui nous fait juger qu'il faut fuivre la raifon dans les chofes qui font à rechercher,ou à craindre. Ce n'eft pas pourtant affez qu'elle. nous faffe juger ce qu'on doit faire, ou ne faire pas; il faut de plus favoir s'en tenir à ce qu'on a jugé. Mais combien y a-t-il de gens, qui ne pouvant demeu rer fermes dans aucune résolution, & féduits par quelque aparence de volupté, fe livrent de telle forte à leurs paffions, qu'ils s'y laiffent emporter, fans prendre garde à ce qui leur en peute

"

« 이전계속 »