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fans faire tort à perfonne; & il ne faut pas fe laiffer aller aux autres, qui ne portent à rien qui foit de foi-même à rechercher ; & on ne fauroit faire d'injuftice qu'on n'y perde plus qu'on n'y gagne. De forte qu'on ne peut pas dire que la juftice foit à rechercher par ellemême, mais feulement par l'avantage qu'on en retire. Car il eft agréable d'etre aimé & eftimé de tout le monde ;" parce qu'alors on eft plus à couvert de toutes fortes d'infultes, & que la vie en eft plus remplie de volupté. Ce n'eft donc pas feulement pour éviter les inconvéniens du dehors, que nous croyons qu'il faut s'empêcher d'être injufte; mais principalement parce que l'injuftice ne laille jamais refpirer en paix ceux qui lui donnent entrée.

Que fi les vertus mêmes, dont les autres Philofophes ont accoûtumé de faire fonner la loüange fi haut, ne peuvent avoir pour derniére fin que la volupté, & fi la volupté eft la feule qui nous appelle & qui nous attire naturellement à elle, il n'y a point de doute que la volupté ne foit naturellement le plus grand de tous les biens, & que par conféquent ce ne foit vivre heureufement que de vivre toute fa vie dans la volupté.

J'expliquerai dans peu ce qui eft inféparable de cette maxime indubitable. Ce n'eft point en établissant la volupté pour le plus grand des biens, & la douleur pour le plus grand des maux, qu'on fe trompe; c'eft en ignorant quelles font les chofes qui peuvent veritablement procurer de la volupté, ou causer de la douleur. J'avoue cependant que les plaifirs & les peines de l'efprit viennent des plaifirs & des peines du corps, & je demeure d'accord de ce que vous difiez tantôt, que ceux d'entre nous qui penfent autrement, & qui font en affez grand nombre, ne peuvent jamais foûtenir leur opinion. Mais quoi que la volupté de l'efprit donne de la joie, & que la trifteffe de l'efprit caufe de la douleur; & quoi que la volupté & la trifteffe de l'efprit aient leur fource dans le corps, & aient rapport au corps, cela n'empêche pas pourtant que les voluptez & les peines de l'efprit ne foient en effet plus grandes que celles du corps. Car par le corps nous ne pouvons avoir de fenfation que des chofes préfentes: par l'efprit nous fentons & les paffées & les futures: & fuppofant les douleurs de l'efprit égales à celles du corps, c'est toujours un grand fur

croît de douleur que de s'imaginer que le mal qu'on fent n'aura point de fin. Et ce que je dis de la douleur, on peut l'appliquer à la volupté, lorfqu'on en jouit fans crainte: par où il eft clair qu'une extrême volupté d'efprit, ou une extrême douleur contribue encore plus à rendre la vie heureuse ou misérable, que les mêmes impreffions, quand elles fe rencontrent également dans le corps.

Nous ne prétendons pas, au refte, que dès qu'on n'a plus de volupté,la douleur fuccede auffitôt à la volupté; au con-traire nous tenons que c'eft une joic que l'abfence de la douleur, quand même cette abfence ne feroit fuivie d'au cune volupté fenfible; & par là on peut juger quelle grande volupté c'eft que de ne fentir aucune douleur. De plus, comme l'attente des biens que nous efpérons nous donne de la joie, le fouvenir de ceux dont nous avons joüi nous en donne aussi : mais au lieu que les gens fages favent fe faire un plaifir de leurs plaifirs paffez, les fous fe font un tourment des maux qu'ils n'ont plus. Or il ne dépend que de nous d'enfevelir en -quelque forte dans, un perpétuel oubli les chofes fâcheufes ; & de rappeller

agréablement les autres dans notre efprit. Quel chemin court & facile de vivre heureux! Car puifqu'il n'y a rien de meilleur que de vivre fans douleur & fans chagrin, & de joüir des plus grands plaifirs du corps & de l'efprit, peut-on dire que nous avons rien oublié ici de tout ce qui peut rendre la vie agréable, & faire parvenir au fouverain bien dont il s'agit ?

Epicure, que vous accufez d'être trop adonné à la volupté, ne ceffe de dire qu'on ne peut vivre agréablement, à moins qu'on ne vive fagement, honnêtement, & juftement; ni vivre fagement, honnêtement, & juftement, que dès lors on ne vive agréablement. Car puifqu'il ne peut y avoir de calme dans une ville où il y a fédition, ni dans une maifon dont les maîtres font mal enfemble, comment un efprit qui n'est pas d'accord avec lui-même peut-il jouir de quelque volupté qui foit pure? Tant qu'il fe trouvera agité de divers fentimens, il eft impoffible qu'il foit tranquille, & qu'il juge tranquillement de rien. Que fi les maladies du corps font un obstacle à l'agrément de la vie, à combien plus forte raifon les maladies de l'efprit en feront-elles un? Or

les maladies de l'efprit font les exceffives convoitifes des richeffes, de la domination, & des voluptez fenfuelles: ajoutez-y les chagrins & les ennuis dont fe laiffent continuellement ronger ceux qui ne veulent pas concevoir qu'il ne faut jamais fe tourmenter de ce qui n'eft point une douleur du corps actuelle, ou qui ne traîne point infailliblement une douleur à fa fuite: & vous verrez qu'il y a peu de gens qui ne foient attaquez de quelqu'une de ces maladies, & qui ne foient malheureux par conféquent. A tout cela ils joignent la peur de la mort, que quelques-uns regardent fans ceffe comme le rocher de Tantale, toujours prêt à les écrafer. Ils y joignent auffi le malheur de la fuperftition, qui ne laiffe jamais en repos ceux dont elle s'eft une fois emparée. Ils ne favent ni fe reffouvenir avec plaifir dcs biens qu'ils ont eu, ni joüir comme il faut de ceux qu'ils ont: & ils tremblent à toute heure dans la crainte d'un avenir, dont l'incertitude les tient dans de contiuelles angoiffes. Sur-tout quand ils viennent à s'appercevoir qu'ils ont travaillé inutilement pour acquérir des richeffes, du pouvoir, de l'autorité & de lagloire, & que tous les plaisirs dont ils fe pro

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