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pofoient de jouir,& dans l'efpérance defquels ils s'étoient donné tant de peines, leur échapent fans retour; ils s'abandonnent alors à une entiére défolation. On en voit d'autres d'un efprit foible & bas, qui n'ont d'eux-mêmes nul fonds; d'autres qui defefpérent de tout; d'autres qui font malins, envieux, difficiles à vivre, médisans, fuyant le monde, & toûjours chagrins; d'autres qui font continuellement adonnez à des amourettes frivoles; d'autres qui font turbulens, audacieux, injuftes, emportez, & en même temps légers & intempérans, & dont l'efprit n'eft jamais dans une même affiette. Or tout ce qui eft fait de la forte ne peut jamais ceffer de fouffrir. Mais comme il n'y a aucun de tous ces fous-là qui foit heureux, il n'y a auffi aucun fage qui ne le foit ; & nous fommes mieux fondez que les Stoïciens à le foûtenir. Car ils difent qu'il n'y a de vrai bien que je ne fai quoi qu'ils appellent honnête, en lui donnant un nom plus beau que folide: & ils prétendent que la vertu appuyée là-deffus ne cherche aucun autre bien, & qu'elle fe fuffit à elle-même pour être heureufe. Ce n'eft pas pourtant qu'ils ne puiffent: avancer une pareille doctrine, non

feulement fans que nous nous y oppofions, mais même avec approbation de notre part: car voici quel eft le Sage,felon Epicure.

Le Sage eft borné dans fes defirs; il méprife la mort; il penfe des Dieux immortels ce qu'il en faut croire, mais fans aucune mauvaise frayeur;& s'il faut fortir de la vie, il n'en fait nulle difficulté. Et moyennant cela il est toûjours dans la volupté; parce qu'il n'y a aucun temps où il n'ait plus de voluptez que de douleurs. Il fe reffouvient du paffé avec plaifir; il joüit du préfent avec d'agréables réfléxions, & fans nulle inquiétude de l'avenir: comme il eft trèséloigné de tous les défauts & de toutes les erreurs dont nous venons de parler, il fent une volupté inconcevable quand il compare fa vie avec celle des fous: & lorfqu'il lui furvient des douleurs, il fait en faire la compenfation, & il trouve qu'elles ne font jamais fi grandes, qu'il n'ait toujours plus de quoi fe réjouir que de quoi fouffrir.

C'est encore un très-beau mot d'Epieure, qu'une médiocre fortune convient à un homme fage 3 mais qu'il n'y a point d'affaires fi importantes que le fage ne puiffe manier heureusement par la force de fa rai

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fon; & qu'on ne peut pas recevoir de plus grande volupté dans toute l'infinité des temps, qu'il en reçoit dans l'efpace du temps dans lequel il eft renfermé.

Quant à la Dialectique, il l'a regardée comme ne fervant de rien ni à vivre plus heureusement, ni à mieux raifonner, quoi qu'elle puiffe fervir à faire connoître la force des mots, le genre de la question dont il s'agit, & les conféquences qu'on peut, ou qu'on ne peut pas en tirer. Pour la Phyfique, qui peut être d'une grande utilité, il s'y est fort attaché, parce que lorfqu'on connoît bien la nature de toutes chofes, on est défait de toute fuperftition, on eft délivré de la crainte de la mort, on n'est plus fujet à être troublé par l'ignorance qui eft la fource de tant de frayeurs ; & qu'enfin, quand on eft parvenu à savoir bien ce que la nature defire, on en eft beaucoup plus réglé dans tout le cours de fa vie. De plus, s'il arrive que nous parvenions à une véritable connoiffance des chofes, il eft für que par là, comme par une régle descenduë du Ciel, & en y rapportant tous nos jugemens, nous demeurerons toûjours fermes & inébranlables dans nos fentimens, fans qu'aucune force d'éloquence, puiffe nous

en faire défifter; au lieu que fi nous n'avons pas cette connoiffance, nous ne pourrons jamais maintenir la vérité de nos fens dans leur jugement. Car tout ce que nous connoiffons par l'intelligence, a fa fource dans les fens, avec lefquels, fi leur rapport eft fidéle, comme Epicure l'enfeigne, on peut avoir une véritable perception de quelque chofe; au lieu que ceux qui difent que par les fens on ne peut avoir de véritable perception, & qui les récufent pour juges, ne fauroient jamais démêler ce qu'ils veulent dire.

Outre cela, fans la connoiffance des chofes de la nature, il n'y auroit rien fur quoi on pût fonder la conduite de la vie. C'eft de là qu'on tire la fermeté d'efprit contre la peur de la mort, & contre les vaines frayeurs de la fuperftition. C'eft en pénétrant dans les fecrets de la nature, qu'on parvient à avoir l'efprit tranquille: c'eft en approfondiffant bien ce que c'eft que les cupiditez, qu'on devient modéré ; & enfin c'est en connoiffant bien, comme je l'ai déjà dit, la regle que la nature a établie en nous pour juger de toutes chofes, qu'on peut démêler le faux d'avec le vrai..

Il me reste maintenant à parler d'une chofe qui appartient nécessairement à la queftion que nous traitons, c'est l'amitié, que vous prétendez qui seroit. anéantie, s'il étoit vrai que la volupté fût le plus grand des biens; mais bien loin qu'Epicure donne aucune atteinte à l'amitié, il a dit au contraire que de tout ce que la fageffe peut acquérir pour rendre la vie heureufe, l'amitié eft ce qu'il y a de plus excellent, de plus agréable, & de plus avantageux. Ce qu'il a enfeigné par fes difcours, il l'a confirmé par fa vie & par fes mœurs; & pour voir combien il s'eft diftingué en cela, il ne faut que recourir à ce qu'on nous rapporte de l'antiquité, dans toute laquelle, en remontant d'Orefte jufqu'à Théfée, on trouve à peine trois (19) couples d'amis. Quelle nombreufe

(19) Il n'eft pas mal aisé d'entendre quels font les deux premiers couples d'amis dont Torquatus entend parler en cet endroit. Les premiers font Thefée & Pirithoüs, & les feconds font Orefte Pylade: comme ils font connus de tout le monde il eft inutile d'en rien dire ici. Du refte, je ne fai qui font les autres qu'il faut entendre; fi ce n'eft peut être Achille & Patrocle. Alde Manuce dans fes Commentaires marque Damon & Pythias ; mais je ne.comprens pas comment il peut les citer ɔ en.rc

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