페이지 이미지
PDF
ePub

d'un même nom des chofes fi différen tes? Eft-ce, répondit-il, que vous avez déjà oublié ce que j'ai dit, que dès qu'on n'a plus de douleur, la volupté peut bien recevoir quelque variété ; mais de l'accroiffement, non. Je m'en fouviens, lui dis-je, & vous l'avez dit en termes très-purs, mais ambigus, Car le mot de variété fe dit au propre, de plufieurs couleurs, & fe tranfporte à beaucoup d'autres chofes très-différentes les unes des autres, On le dit d'un poëme & d'un difcours, on l'appli que aux mœurs & à la fortune, & on l'applique auffi à la volupté, lorsqu'on reçoit de la volupté de plufieurs chofes différentes, qui en peuvent donner, Si vous me difiez que c'eft de cette volupté-là que vous voulez parler, je vous entendrois; & même je vous entends, fans que vous me le difiez,

Mais je ne faurois comprendre ce que vous entendez par variété, lorfque vous dites, que, quand on eft fans douleur, on eft dans une extrême volupté, & que quand, par exemple, on mange quelque chofe qui excite une fenfation agréable, la volupté eft alors en mouvement: ce qui fait bien une variété de volupté, mais qui n'augmente point

la volupté d'indolence, à laquelle je ne fai pourquoi vous donnez le nom de volupté. Eft-ce, reprit-il, qu'il peut y avoir rien de plus doux que de n'avoir point de douleur? Je le veux bien, lui dis-je: car ce n'eft point encore là de quoi il eft queftion; mais cela fait-il que la volupté foit la même chofe que Findolence? La même, repliqua-t-il, & fi fort la même, que ce n'eft qu'un.

Pourquoi donc, lui dis-je, en mettant ainfi le fouverain bien à n'avoir point de douleur, ne vous attachezvous pas à foûtenir uniquement cela feul Et qu'eft-il néceffaire d'amener la volupté au milieu des vertus, comme une courtifane, dans une affemblée d'honnêtes femmes ? Mais vous direz qu'il n'y a rien d'odieux dans la volupté que le nom, & que nous n'entendons point de quelle volupté Epicure parle. Toutes les fois qu'on me dit une chofe de cette nature (& on me la dit fouvent j'avoue que quelque modéré que je fois dans la difpute, je ne laisse pas de me mettre en quelque forte de colére.

Quoi je n'entendrois pas ce que le mot on veut dire en Grec, & celui de volupté en notre langue! Laquelle

donc des deux langues eft-ce que je n'entends pas ? Et puis comment fe pourroit-il faire que je ne le fûffe point, & que tous ceux qui voudront être Epicuriens le fachent; quoi que vos gens foûtiennent que pour l'être on n'a que faire d'être favant. De forte, que comme nos ancêtres tirérent (7) Cincinnatus de la charrue pour le faire Dictateur; de même vous prenez les plus fimples & les plus groffiers de tous les Grecs, pour en faire vos difciples. Et ces gens-là entendront ce qu'Epicure dit; moi je ne l'entendrai pas ! Pour vous montrer que je l'entends, je vous dis encore une fois que volupté dans notre langue est la même chofe que ce qu'Epicure appelle dorn.

Quelquefois nous fommes en peine. de trouver parmi nous un mot qui rende parfaitement un mot Grec; ici il n'y a pas de quoi l'être. Il n'y a aucun terme qui puiffe mieux répondre à novù, que celui de volupté. Tout ce qu'il y a de gens au monde entendent deux chofes par ce mot, une grande joie dans l'efprit, une fenfation agréable dans le

corps.

(7) Cincinnatus s'appelloit Lucius Quintius Cin cinnatus. Il étoit de famille Patricienne.

corps. Ainfi, dans (8) Trabée, ce jeune homme appelle du nom de joie une extrême volupté d'efprit; de même que cet autre dans Cécilius,qui s'écrie, qu'il eft rempli de toute forte de joie. Il y a cependant cette différence, que la volupté, même par rapport à l'efprit, eft une chofe vicieufe, felon les Stoïciens, qui parlant de cette volupté, difent que c'eft une enflûre d'efprit dans celui qui croit fans raison jouir d'un grand bien : mais pour ce qui eft des mots de joie & de gaieté, ils ne fe difent point proprement du corps.

Or, de l'aveu de tous ceux qui parlent bien, volupté fe dit du plaifir qui eft excité dans le corps par quelque fenfation agréable, & le mot de plaifir peut, fi on veut, s'appliquer auffi à l'efprit; & il s'applique également à l'un & à l'autre ; pourvû que vous conveniez qu'entre celui qui dit :

Fe fuis fi transporté de joie

Que je ne fai plus où je fuis.

Et celui qui dit :

Maintenant je fuis tout en feu, dont

(8) Trabée étoit un ancien Poëte comique dont il ne refte rien que le vers qui eft cité ici par Ciceron. Des autres vers qu'il rapporte peu après, les premiers font attribuez à Plante, & les derniers font de Terente.

D4

ya

dont l'un ne fe fent pas de joie, & l'autre est déchiré de douleur, il y a un troifiéme perfonage qui dit : Encor que notre connoissance

Soit toute nouvelle entre nous.

& qui n'eft ni dans la joie ni dans la douleur. Enfin il eft certain qu'entre celui qui eft dans la joüiffance des plaifirs qu'il a ardemment defirez, & celui qui fouffre de cruelles douleurs, il y a encore celui qui n'eft ni dans l'un ni dans l'autre état.

Vous femble-t-il maintenant que j'en tende affez la force des mots, & que j'aie encore befoin d'apprendre à parler Grec ou Latin? Cependant, comme je croi favoir parfaitement bien le Grec, prenez garde qu'en cas que je n'entendiffe pas ce qu'Epicure a voulu dire, ce ne fût fa faute. Or il y a deux maniéres de parler obfcurement fans qu'on y trouve à redire : l'une, quand on parle de cette forte tout exprès, comme on dit que fit (9) Héraclite,

qu'on

(9) Héraclite étoit d'Ephese : & il fut en réputation quelques années après Pythagore. La severité de fon bumeur l'a fait regarder de quelques-uns comme un Misantrope; & l'obscurité de fa doctrine & de fon ftyle lui fit donner le furnom de Téné breux. Diogene Laërce dans la vie de Socrates

« 이전계속 »