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qu'on furnomme l'Obfcur ou le Ténébreux, parce qu'il avoit parlé très-obfcurement des chofes de la nature; l'autre, quand l'obscurité d'une matiére, & non pas celle des paroles, fait qu'on n'entend pas trop bien ce qui a été dit, comme dans le Timée (10) de Platon. Pour Epicure, il me paroît qu'il a parlé le plus intelligiblement qu'il a pû; & qu'il n'a parlé ni de quelque chofe d'obfcur, comme les Phyficiens, ni de quelque chofe de recherché, comme les Mathématiciens; mais d'un fujet facile & connu de tout le monde.

Je voi bien cependant qu'au fond vous ne niez pas que j'entende ce que veut dire volupté; mais feulement ce qu'E

picure raconte qu'Euripide lui ayant montré quelques ouvrages d'Héraclite, & lui en ayant demandé fon fentiment, il répondit: Ce que j'entends eft plein de force, je croi qu'il en eft de même de ce que je n'entends pas. Le même Diogene, dans la vie d'Héraclite, rapporte une lettre que le Roi Darius lui écrivit pour l'inviter de l'aller trouver en Perfe

la réponse par laquelle Héraclite refufe d'y aller.

(10) C'est un des Dialogues de Platon, ainfi intitulé du nom de Timée de Locres Philofophe Pythagoricien, dont nous avons un Traité de l'Ame du monde, qui eft comme le fondement de toute la doctrine que Platon lui fait debiter dans ce fameux dialogue.

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picure a voulu dire par là. De forte que ce n'eft pas moi qui ne fais pas la force du mot; c'est lui qui a voulu parler à fa maniére, & qui s'eft peu foucié de l'ufage. Mais s'il a voulu dire la même chofe qu'Hieronyme, qui dit que le fouverain bien eft de vivre fans douleur, pourquoi le met-il dans la volupté, & non pas dans la privation de la douleur, comme lui, qui du moins fait entendre ce qu'il veut dire ? Que s'il croit qu'il confifte dans la volupté qu'il dife, fi c'eft dans la volupté en mouvement, car c'eft ainfi qu'il appelle une fenfation agréable; ou fi c'eft dans une volupté tranquille & ftable, qu'il met à n'avoir point de douleur ?

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Que prétend-il faire en parlant comme il fait; puifqu'il eft impoffible que qui que ce foit qui fe connoiffe lui-même, c'est-à-dire qui fente fes propres fenfations, croie que la privation de la douleur, & la volupté foient la même chofe? C'est vouloir faire violence à nos fens, que de vouloir arracher de nos efprits la notion attachée aux termes que nous avons reçûs de l'usage. Et qui ne voit pas qu'il y a trois états dans notre nature? L'un, quand nous fommes dans la volupté; l'autre, quand

nous fommes dans la douleur ; & celui où nous fommes maintenant. Car eroi que vous n'êtes tous deux ni dans la douleur, comme ceux qui fouffrent, ni dans la volupté, comme lorfqu'on eft dans le plaifir de la bonne chére: & entre ces deux états-là, il y a une infinité de gens qui ne font dans l'un ni dans l'autre.

Nullement, repartit Torquatus, & je dis que tout homme, qui eft fans douleur, eft dans la volupté, &'même dans une extrême volupté. Cela étant, repris-je, celui qui n'ayant aucune foif verse à boire à celui qui a grand' foif, & qui boit, ont tous deux le même plaifir? Laiffons-là les interrogations, repliqua-t-il, comme je voulois que d'abord on les laifsât, prévoyant bien ce qu'il y a de captieux dans votre Dialectique. Vous voulez donc, répondisje, que je parle plûtôt en Orateur qu'en Dialecticien Comme fi un difcours continu, repartit-il, ne convenoit pas auffi-bien aux Philofophes qu'aux Rhé

teurs.

Zénon le Stoïcien, repris-je, a dit après Ariftote, que tout ce qui regarde le difcours eft diftribué en deux parties; la Rhétorique, qu'il comparoit à la

paulme de la main, parce que les Ora teurs s'étendent dans leurs difcours ; & la Dialectique, qu'il comparoit à la main fermée, parce que les Dialecticiens font plus ferrez dans ce qu'ils difent. Je vous obéïrai donc, & je parlerai, fi je puis, en Orateur qui traite un fujet de Philofophie, & non pas en Orateur dans le Barreau, où il faut quelquefois être diffus, parce qu'on parle pour être entendu de tout le mon de. Mais, Torquatus, lorfqu'Epicure méprife la Dialectique, qui feule ap prend à bien connoître l'état d'une question, à en bien juger, & à en bien difcourir ; & quand il ne veut pas qu'on faffe aucune diftinction dans les choses qu'il enfeigne; il me femble qu'il ne peut jamais fe foûtenir..

Il dit que la volupté eft le fouverain bien. Il faut donc éclaircir ce que c'est que la volupté; autrement on ne fauroit parvenir à ce qu'on cherche ; & s'il l'avoit bien expliqué, il ne hésiteroit pas comme il fait. Car, ou il foutiendroit, comme Ariftippe, la volupté qui chatouille les fens, & que les bêtes mêmes appelleroient volupté, fi elles pouvoient parler; ou, s'’il avoit mieux aimé parler fa langue par

ticuliére que celle de toute la Grèce, il n'auroit appellé volupté, que la privation de la douleur, & il auroit méprifé la volupté d'Ariftippe : ou enfin s'il avoit tenu pour l'une & pour l'autre, il auroit joint la privation de la douleur à la volupté, & il auroit regardé l'une & l'autre comme deux grands biens.

Plufieurs grands Philofophes ont joint enfemble deux fouverains biens. Ariftote a joint la profpérité de la vie avec la pratique de la vertu ; Calliphon (11) à l'honnêteté d'une vie heureuse a joint la volupté; Diodore y a joint la pri

vation

(11) Calliphon étoit d'une ville de Carie, paffoit pour un grand Dialecticien. Mais étant allé à la Cour de Ptolemée Soter, ou Sauveur, fils de Ptolemée Philadelphe : & Stilpon qui y étoit, lui ayant fait en prefence du Roi, des questions anf quelles il ne put répondre, & pour lesquelles il des manda du temps, il en fut appellé Kevos, comme qui diroit le Temporifeur. Cela lui attira enfuite une Epigramme, dont le fens étoit, que pour le mieux nommer, il falloit êter du nom de Keovos les deux premieres lettres; & qu'alors on trouveroit fon nom veritable, ovos en Grec fignifiant Ane. Quelque temps après il écrivit un Traité fur la question qui lui avoit été proposée; mais il conçut un fi grand dépit de n'y avoir pú répondre fur le champ, qu'on prétend qu'il en mourut de dé plaifir.

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