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M DUFRÉNOY.

Pour bien des esprits la production littéraire est de peu d'influence par rapport au bonheur; elle n'est précédée ou suivie d'aucune douloureuse atteinte. Mais, pour d'autres d'une nature à part, il semble que le simple talent même soit inséparable du trouble, de l'agitation, de la peine. Une solidarité intime existe entre la faculté de s'émouvoir et le don de s'exprimer; il y a une réaction continue de l'ame sur la vie extérieure, et de la vie extérieure sur l'ame. Rarement ces êtres, doués avant tout de sensibilité, goûtent-ils le repos dans sa plénitude sereine. Il est peu de leurs jours qui ne soient traversés par quelque éclair et par quelque orage. Leur propre cœur est un foyer ardent qui les consume; quelque chose toujours vibrant en eux les maîtrise; ils portent au flanc un aiguillon qui les harcèle sans relâche. Le bonheur même, chez eux, participe de la souffrance, et leur joie la plus pure a comme un levain d'amertume. Tout leur devient cause inépuisable d'émotion, leurs liens de famille et leurs rapports de société, les circonstances privées non moins que les évènemens publics. Surtout, une fois en vue sur ce théâtre dévorant de la publicité, la calme possession d'eux-mêmes ne leur appartient plus. Ni le sexe, ni la modestie de la condition ne sauraient les soustraire aux épreuves sans nombre qui les attendent dans l'arène semée d'écueils.

Aussi, lorsque ces écrivains viennent à faire œuvre d'art, partout ils laissent des traces vives de ce qu'ils ont ressenti. Ils ne sauraient faire abandon de leurs impressions et de leurs souvenirs personnels.

-Les mille accidens dont leur route a été marquée se réfléchissent naturellement dans les teintes du tableau. S'ils sont poètes, à tout instant ils seront tentés de se traduire dans leurs vers, de chanter d'un accent ému leurs propres joies et leurs propres douleurs. Ils mettront à découvert, sans réserve, les plaies saignantes des blessures reçues; ils trahiront aussi le secret des félicités savourées à longs traits dans le doux mystère. Tout ce qu'il y a d'amassé au fond de leur vase, miel ou absinthe, s'épanchera à flots pressés. Femmes, elles déchireront d'une main indiscrète le voile qui protégeait les coins les plus dérobés, les portions les plus délicates et les plus fragiles de la vie intime. En vain voudrait-on s'enquérir jusqu'à quel point il convient de mettre à nu son ame devant la foule et de dicter sa confession à haute voix. Chez certaines natures, il existe quelque chose de plus puissant que la froide raison, quelque chose de supérieur aux lois de la morale vulgaire : c'est la force d'un sentiment qui s'élance pour trouver issue. Il y a de plus le droit imprescriptible de l'art, qui, dans une chaste limite, divinise tout.

Mme Dufrénoy s'est fait connaître par les tourmens d'une vie agitée dont elle nous a transmis l'expression. De bonne heure elle brille dans les cercles ou languit dans la solitude; elle reçoit tour à tour les caresses et les dédains de la renommée; chacun de ses accens qui retentit provoque comme un double écho d'admirations et de médisances. Tandis que, de toutes parts, le bonheur lui échappe, la muse française reconnaît en elle la plus glorieuse de ses filles, celle qui a renoué, en l'embellissant, la chaîne des accords depuis long-temps brisés. Et non-seulement Mme Dufrénoy réveille parmi nous les soupirs douloureux de la lyre lesbienne, elle est encore un soldat des plus actifs dans la phalange littéraire de son temps. Elle touche sensiblement à tout, à la poésie, au roman, à la critique, au théâtr. Le tourbillon pressant et rapide qui l'entraîne la jette même en des sentiers qui ne semblent point faits pour elle, c'est-à-dire jusque ans les rangs de la discussion périodique. Elle a un peu de tous les succès et de tous les revers, prenant sa part des afflictions aussi bien que des joies communes, tour à tour portée ou précipitée par le flot des é ènemens. Rien de ce qui s'accomplit autour d'elle ne lui demeure étranger, nulle émotion qui lui soit indifférente. Les sentimens d'amour, d'amitié, de famille, ont un facile accès dans son cœur; les choses publiques la passionnent et l'enflamment. En un mot, par ce qu'elle sent, réalise ou exprime, elle donne cours à toutes les nobles impulsions qui honorent à la fois le poète, la femme et le citoyen.

Sans être d'origine lettrée ou patricienne, Mme Dufrénoy fut entourée dès le berceau de circonstances extrêmement favorables à l'essor et au développement de l'esprit. Elle naquit le 3 décem→ bre 1765, à Paris, en pleine cité, c'est-à-dire au cœur même de la civilisation. Elle vit les premiers rayons du jour à travers une maison de la rue de Harlay, près des lieux où furent élevés Boileau et Mme Roland. Son père, Jacques Billet, joaillier de la cour de Pologne et de plusieurs grandes maisons de France, s'était acquis une fortune considérable dans son commerce. Homme de sens et d'esprit, à un degré remarquable pour sa profession, il était devenu, dans son quartier, une sorte d'oracle souvent consulté; il arrangeait, dit-on, à lui seul plus d'affaires que n'en dérangeaient tous les procureurs réunis de la rue de Harlay et des rues adjacentes. En sa qualité d'artiste distingué, il aimait les lettres, les arts, et plus encore ceux qui les cultivent avec gloire. Son inclination pour la littérature lui avait valu l'amitié de plusieurs hommes célèbres, qu'il s'estimait heureux de recevoir chez lui. Sa maison était ainsi devenue un foyer de réunions et de causeries où s'agitaient les questions du jour. On y parlait de la cour, de la ville et du parlement Maupeou. On y narrait mainte anecdote; parfois l'épigramme s'y décochait en traits acérés; les productions littéraires nouvelles avaient surtout une grande part dans le débat (1).

Ce fut là le cénacle où Mme Dufrénoy reçut les premières initiations. Bien que très jeune alors, son imagination dut être vivement frappée du ton et de l'accent de ces entretiens fréquemment renouvelés. Autour d'elle en effet discouraient des hommes brillans par le goût, l'esprit et les talens. L'urbanité de Rochon de Chabannes, la morgue décisive de La Harpe, les saillies ingénieuses de Chamfort, les dissertations poétiques d'André Murville, faisaient assaut et se disputaient tour à tour la préséance. La jeune fille était à même, presque chaque jour, de saisir le talent dans son attitude la plus familière, elle palpait pour ainsi dire la célébrité sous sa forme incarnée et vivante. Dès-lors elle put s'accoutumer à unir ensemble les idées d'existence et de renom, à ne point séparer le bonheur de la gloire. On sent combien plus tard ces impressions premières durent influer sur sa destinée.

Son instruction élémentaire et positive fut tout uniment celle des

(1) Avant d'aller plus loin, nous devons déclarer avoir consulté avec fruit, pour bon nombre de ces détails biographiques, les Observations de M. Jay, placées en tête de l'édition posthume des œuvres de Mme Dufrénoy.

couvens d'alors. On la confia aux soins d'une tante qui était religieuse et supérieure de la maison des sœurs hospitalières de la Roquette, Cette tante, nommée la mère Saint-Félix, chérissait tendrement sa nièce et eut pour elle des égards tout maternels. Mais, soumise à la routine de l'époque, elle craignait d'étendre au-delà des strictes bornes le cercle des connaissances de la jeune fille. Mme Dufrénoy nous a appris, dans des notes manuscrites, qu'elle fut obligée de pratiquer en cachette certaines lectures fort morales pourtant et même très pieuses. Elle se retirait pendant les heures de récréation sous les beaux ombrages du couvent, afin de s'y livrer à loisir à ses lectures favorites. Ce fut à la dérobée et comme en bonne fortune qu'elle lut les sermons de Massillon, ceux de Bourdaloue, l'Imitation de JésusChrist et la Vie des Saints. Ce dernier livre la remplit d'enthousiasme. Elle relut plus de vingt fois, nous dit-elle, l'histoire de sainte Geneviève et celle de sainte Cécile; elle s'extasia devant leurs vertus, leur courage, leur dévouement religieux, et dès-lors eût voulu cueillir sur leurs traces la palme du martyre. Tous ces détails, du reste, ont fort peu d'importance en eux-mêmes. On en retrouve de tels à l'origine d'une infinité de personnes dont la vie est demeurée obscure et pour qui ces prémisses n'ont marqué aucun horoscope certain. En général, quand la gloire nous a sacrés, nous nous refaisons à travers une perspective irisée de couleurs un peu fantasques une enfance et une jeunesse assorties à notre âge mûr. Nous proportionnons en quelque sorte le début à la fin; nous essayons d'harmoniser les teintes de notre aurore avec celles de notre couchant, afin que la vérité idéale ait tout son ensemble continu et sa majestueuse unité. Dèslors surgissent, en des saillies un peu exagérées, des faits qui, sans le renom postérieur, fussent demeurés à jamais enfouis ou tout au moins à demi flottans dans leur vague insignifiance. Dès-lors revivent embellis et accrus des traits dont nous eussions à peine discerné les imperceptibles linéamens. Ces sortes d'arrangemens, faits au surplus dans un sentiment de bonne foi incontestable qui n'entame en rien la véracité du narrateur, ne sauraient être prisés au-delà de leur valeur réelle, et ne méritent pas qu'on y insiste.

Rappelée du cloître, la jeune fille, en dépit de quelques préoccupations et de quelques regrets religieux, était rentrée avec joie pourtant sous le toit paternel. A quinze ans au plus, grace à la double séduction de sa beauté et de sa dot, elle fut mariée à M. Petit Dufrénoy, riche procureur au Châtelet de Paris. C'était un homme d'esprit et de plaisir, menant un grand train de maison, voyant beau

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