페이지 이미지
PDF
ePub

:

daise elle dégoûte, car elle mendie avec impudence et semble se complaire dans ses haillons. Eh bien! rien que je sache n'accuse plus haut l'odieuse tyrannie qui a travaillé pendant plusieurs siècles à réduire une race si heureusement douée dans le passé à cet abrutissement. Cela est trop vrai, l'oppression laisse derrière soi, long-temps même après qu'elle a disparu, une déperdition morale chez l'homme, dont il faut du moins renvoyer la responsabilité aux vrais coupables.

Parmi les classes ouvrières dont la situation empire de jour en jour, il y en a une surtout qu'on dirait vouée à la destruction. Ce sont les tisserands à la main. Ces pauvres ouvriers, que la grande industrie écrase, qui succombent à lutter comme ils font jusqu'au bout, contre les agens de fer et de feu des manufactures, excitent le plus douloureux intérêt. L'auteur assure que tous ceux qui les ont visités ont été vivement étonnés de leur force morale et de leur intelligence; il en cite plus d'un exemple; j'en prends un entre bien d'autres. M. Buret, visitant le district de Bethnal-Green, à Londres, en compagnie du distributeur des secours (relieving-officer), pénétra chez plusieurs familles. L'un de ces pauvres ménages était celui d'un tisserand en velours, jeune encore et Anglais de naissance. Hormis le métier, il n'avait pas un meuble, ni chaise, ni table, ni lit; dans un coin était un gros tas de paille hachée où étaient enfouis trois enfans tout nus. La femme tournait le dos, essayant de s'attacher les débris de ses vêtemens. L'homme était vêtu d'un habit bleu après lequel pendaient encore deux ou trois boutons ciselés. Il n'avait pas de chemise quand les visiteurs entrèrent. Il tenait une bible à la main. Il nous reçut poliment, dit l'auteur, et nous exposa avec tristesse, mais avec calme, l'horreur de sa condition. Cette chambre, disait-il, n'a pas toujours été aussi vide que vous la voyez; il fut un temps où j'aurais pu vous offrir un siége, mais tout a passé pièce à pièce chez le pawn-broken (1). Cet homme, pas plus que d'autres tisserands, n'implora de secours; il resta indifférent aux promesses de l'agent de charité, «< comme s'il eût compris, dit M. Buret, qu'à une misère si grande l'aumône était un remède insuffisant. » L'officier de la paroisse rendait bon témoignage de l'honnêteté de cette pauvre famille. Cette condition désespérée est, à peu de chose près, celle de tous les tisserands en soie et en velours.

Si l'action terrible de la misère n'a pas encore effacé tout sentiment moral chez cette classe d'artisans, cela tient à la vie de famille et à un travail qui les retient chez eux. Quant à ces masses que la grande industrie entasse dans ses ateliers, où tous les vices qui sont la cause ou l'effet de la misère se provoquent et fermentent par le contact, l'Anglais et l'Irlandais y sont marqués d'un sceau à peu près pareil, et chaque jour travaille à effacer les derniers vestiges de la distinction qu'on a pu faire entre eux.

Et quelle place faut-il assigner maintenant à nos populations laborieuses dans cette confrontation économique? M. Buret n'a pas rencontré de ce côté

(1) Prêteur sur gages.

cette assistance des enquêtes et des documens de toute espèce qui ont rendu si complète dans son travail la part de nos voisins. Nous sommes loin de posséder, comme eux, le diagnostique de nos maux; nous en savons assez pourtant pour n'être pas exempts de soucis sur ce côté de notre état social. Notre industrie manufacturière s'avance aussi avec son cortège de souffrances, moins vaste, il est vrai, moins étendu; mais elle n'est pas sans traîner aussi quelque petite Irlande à sa suite. Plus d'un pauvre canut de Saint-Étienne ou de Lyon nous offrirait un intérieur non moins délabré que le tisserand en velours des jardins de Bethnal-Green. Les courrées de Rheims, les caves de Lille, les chambrées de Mulhouse, cachent des souillures comparables à tout ce qui est rapporté sur les wynds de Glascow. Mais, hâtons-nous bien de le dire, le mal n'a rien de comparable en étendue. L'industrie, chez nous, n'est pas une toute puissante souveraine qui convoque si largement des masses d'hommes et les licencie selon ses brusques besoins. Les fluctuations chez nous sont un peu moins fréquentes, et le mouvement de la production, s'il est bien moins rapide, y est encore du moins un peu plus régulier. La masse des classes ouvrières est donc chez nous moins cruellement éprouvée. M. Buret a tiré le meilleur parti des documens trop peu nombreux que l'administration ou les particuliers ont publiés sur ces questions. L'ouvrage du docteur Villermé, les travaux de M. de Villeneuve-Bargemont étaient à consulter en première ligne. M. Buret en tire des enseignemens précieux. La question de la mortalité chez les classes ouvrières, traitée par l'auteur avec une rare sagacité, aboutit à des résultats dont on est étrangement frappé. Mais, si notre sort est moins désastreux que celui de nos voisins, par rapport à l'état économique des classes industrielles, la situation agricole serait-elle à l'avantage de l'Angleterre? Nous ne le pensons pas. M. Buret dit que le paupérisme couvre de sa lèpre toute la surface de l'Angleterre. La grande industrie, en effet, s'y est appliquée pour ainsi dire à l'agriculture; la classe des petits fermiers disparaît pour faire place à des entrepreneurs de grandes cultures; il ne reste plus au-dessous d'eux que des journaliers dont le travail est aussi précaire que celui des ateliers. « Autrefois, écrivait Walter Scott dans le Quarterly Review, chaque villageois avait sa vache et son porc, et un enclos autour de la maison. Là où un seul fermier laboure aujourd'hui, trente petits fermiers vivaient autrefois; de sorte que, pour un individu plus riche, il est vrai, à lui seul que les trente fermiers d'autrefois, il y a maintenant vingt-neuf journaliers misérables, sans emploi pour leur intelligence et pour leurs bras. » L'illustre auteur cite, entre mille faits du même genre, « quatre paroisses du comté de Sussex, où il n'y avait plus un seul acre de terre à bail, pas un seul petit fermier, pas de communaux, et par conséquent pas de bétail. »>

"

C'est ici qu'il y a, comme l'exprime M. Buret, entre la France et l'Angleterre, toute la différence d'une grande révolution. La loi civile travaille depuis un demi-siècle, chez nous, à multiplier les propriétaires. Le fermage aussi devient plus accessible, à mesure que la terre obéit à ce mouvement. Et certes,

si cet excellent principe de la division du sol n'est pas exempt d'inconvéniens sous le rapport économique, on peut mettre en regard ce qu'y ont gagné nos populations agricoles en instincts d'ordre, en habitudes sociales et en sécurité. Et quels sont les fruits qu'a portés le principe contraire chez nos voisins? La grande propriété a réduit le cottager anglais à la condition du salarié des manufactures; son travail est aussi précaire, aussi incertain; on le voit quelquefois envier le sort du pauvre fermier d'Irlande et demander en vain « un petit champ à loyer pour y planter des pommes de terre. » M. Buret abonde partout en détails d'une extrême gravité sur cette condition des campagnes anglaises, et, par bonheur, il n'y a pas d'illusion à conclure avec lui que le sol nourricier de la France, qui occupe les deux tiers de nos populations, ne les laissera jamais descendre au degré d'épuisement où se trouve le peuple des campagnes

chez nos voisins.

Sortons, il en est temps, de cette partie descriptive du sujet, où l'intérêt retiendrait long-temps, ne fût-ce que pour suivre jusqu'au bout, bien qu'à grands pas, la méthode de l'auteur. M. Buret procède en cela avec une rigueur toute scientifique. Les phénomènes, il les a vus, décrits, exposés au grand jour le plus complètement qu'il lui a été possible. Puis, l'expertise consommée, l'économiste s'est livré à la recherche des causes du paupérisme, et cette partie de son travail est la plus importante à ses yeux.

Le paupérisme, étudié sur des sociétés telles que la France et l'Angleterre, tient à des causes nécessairement diverses, comme l'état social des deux pays. Tout au plus y a-t-il quelques causes générales et communes, celles qui se retrouvent au fond de toutes les nations. « Il y a, dans l'existence et le développement de la misère, quelque chose que l'on ne peut pas attribuer seulement aux vices du pauvre ni à la cupidité des riches : à moins que ce fait n'ait sa source unique dans la nature même de l'homme, il faut la chercher au dehors, dans l'histoire, dans les institutions politiques et économiques. »

En effet, il y avait à établir d'abord la part du passé; nous sommes fils d'une société dont toutes les institutions ont travaillé pendant des siècles à produire l'inégalité, en d'autres termes la pauvreté et la richesse; et il y avait à étudier comment ce passé étend son influence jusqu'à nous et nous a légué ce vieux fonds du paupérisme, dont les générations, après s'y être invétérées, ont tant de peine à s'arracher.

Les institutions politiques sont comme l'histoire, complices pour leur part de cette mauvaise répartition de la richesse publique. M. Buret, tout en reconnaissant que nos lois sont encore celles qui font le moins de pauvres, poursuit attentivement les conséquences économiques de notre système électoral et de l'assiette de nos impôts. La mendicité manque encore chez nous d'une véritable loi; il y a justice à rappeler toutefois que l'administration se préoccupe en ce moment de cette question, et poursuit une enquête qui doit fournir les élémens d'un projet de loi.

M. Buret n'a pas eu de peine à faire ressortir les pernicieuses conséquences

économiques de la législation anglaise. La constitution toute féodale de la propriété, le système oppressif des taxes qui ne frappent que la consommation des choses de première nécessité, surtout l'écrasante loi des céréales, « cette liste civile de l'aristocratie, » exercent une action terrible sur le sort du travailleur.

Mais la grande cause de la misère, selon l'économiste, et au fond de laquelle il a pris à tâche de pénétrer le plus avant, c'est le régime actuel de l'industrie. De quelle école M. Buret procède, je crois l'avoir indiqué. Il n'appartient pas, de tout point cependant, à l'opposition, à ce que je nommerais volontiers l'école moraliste, en regard de l'autre école qui s'est appelée positive. Mais c'est de ce point de vue moral surtout que M. Buret interroge les principes appliqués aujourd'hui pour leur demander compte du sort de tant de millions d'hommes qui en subissent l'influence. L'œuvre qu'il a entreprise, c'est en effet, comme il le dit, une vérification de l'économie politique par les faits, et les preuves dont il dispose parlent assez haut en plus d'un endroit pour inquiéter, je crois, les partisans du laissez-faire absolu. Le principe de population par exemple, tel que l'ont posé Malthus et ceux de cette école, se trouve condamné par les faits les plus évidens. C'est l'Angleterre qui se charge de signaler aujourd'hui par l'expérience les dangers du système qu'elle a mis en honneur. Ainsi le capital et le travail, ces deux agens indispensables de la production, en d'autres termes, le maître et l'ouvrier, tendent à s'isoler chaque jour davantage. La grande industrie, la seule possible, la seule qui puisse rester debout au milieu des assauts de la concurrence, agrandira de plus en plus cette séparation désastreuse pour l'artisan. L'extrême division du travail perfectionne les produits en dégradant l'homme qui les crée. «< A mesure que le principe de la division du travail reçoit une application plus complète, dit un éloquent publiciste (1), l'ouvrier devient plus faible, plus borné, plus dépendant: l'art fait des progrès, l'artisan rétrograde. »> Et ce funeste désaccord, ce démenti donné à la théorie par la réalité, se reproduit à chaque pas dans le monde de l'industrie. «L'invention des machines, dit M. Buret, est absolument un bien; chaque découverte, chaque application d'une force nouvelle est pour l'homme une précieuse conquête. » Cela est vrai, mais on n'oserait plus nier aujourd'hui que ces puissances merveilleuses n'aient pesé cruellement sur le sort des hommes qui les servent. Qu'en faut-il conclure? Faudra-t-il s'écrier, avec ceux-là qui protestent contre le régime actuel, que ces agens sont essentiellement mauvais? Ou bien dire, comme M. Buret, que ces nobles créations de l'intelligence sont autant de bienfaits, mais que l'application en devient funeste dans l'état de liberté anarchique où l'industrie se débat aujourd'hui ? C'est là en effet ce qu'exprimaient dans leur langage pittoresque ces ouvriers de Brighton dont parle M. Buret : « Les machines, disaient-ils, au lieu de servir docilement comme les fées de la

(1) M. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, tom. III, pag. 323.

si cet excellent principe de la division du sol n'est pas exempt d'inconvéniens sous le rapport économique, on peut mettre en regard ce qu'y ont gagné nos populations agricoles en instincts d'ordre, en habitudes sociales et en sécurité. Et quels sont les fruits qu'a portés le principe contraire chez nos voisins? La grande propriété a réduit le cottager anglais à la condition du salarié des manufactures; son travail est aussi précaire, aussi incertain; on le voit quelquefois envier le sort du pauvre fermier d'Irlande et demander en vain «< un petit champ à loyer pour y planter des pommes de terre. » M. Buret abonde partout en détails d'une extrême gravité sur cette condition des campagnes anglaises, et, par bonheur, il n'y a pas d'illusion à conclure avec lui que le sol nourricier de la France, qui occupe les deux tiers de nos populations, ne les laissera jamais descendre au degré d'épuisement où se trouve le peuple des campagnes chez nos voisins.

Sortons, il en est temps, de cette partie descriptive du sujet, où l'intérêt retiendrait long-temps, ne fût-ce que pour suivre jusqu'au bout, bien qu'à grands pas, la méthode de l'auteur. M. Buret procède en cela avec une rigueur toute scientifique. Les phénomènes, il les a vus, décrits, exposés au grand jour le plus complètement qu'il lui a été possible. Puis, l'expertise consommée, l'économiste s'est livré à la recherche des causes du paupérisme, et cette partie de son travail est la plus importante à ses yeux.

Le paupérisme, étudié sur des sociétés telles que la France et l'Angleterre, tient à des causes nécessairement diverses, comme l'état social des deux pays. Tout au plus y a-t-il quelques causes générales et communes, celles qui se retrouvent au fond de toutes les nations. « Il y a, dans l'existence et le développement de la misère, quelque chose que l'on ne peut pas attribuer seulement aux vices du pauvre ni à la cupidité des riches: à moins que ce fait n'ait sa source unique dans la nature même de l'homme, il faut la chercher au dehors, dans l'histoire, dans les institutions politiques et économiques. »

En effet, il y avait à établir d'abord la part du passé; nous sommes fils d'une société dont toutes les institutions ont travaillé pendant des siècles à produire l'inégalité, en d'autres termes la pauvreté et la richesse; et il y avait à étudier comment ce passé étend son influence jusqu'à nous et nous a légué ce vieux fonds du paupérisme, dont les générations, après s'y être invétérées, ont tant de peine à s'arracher.

Les institutions politiques sont comme l'histoire, complices pour leur part de cette mauvaise répartition de la richesse publique. M. Buret, tout en reconnaissant que nos lois sont encore celles qui font le moins de pauvres, poursuit attentivement les conséquences économiques de notre système électoral et de l'assiette de nos impôts. La mendicité manque encore chez nous d'une véritable loi; il y a justice à rappeler toutefois que l'administration se préoccupe en ce moment de cette question, et poursuit une enquête qui doit fournir les élémens d'un projet de loi.

M. Buret n'a pas eu de peine à faire ressortir les pernicieuses conséquences

« 이전계속 »